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abandonne, soit aux barbares, soit à elles-mêmes, les provinces qu'il avait conquises jadis avec tant d'efforts.

Quelle est, Messieurs, dans la Gaule spécialement, cette société ainsi livrée à elle-même et obligée de se suffire? Comment est-elle constituée? quels moyens, quelles forces trouvera-t-elle en elle-même pour se maintenir?

Quatre classes de personnes, quatre conditions sociales différentes, existaient, à cette époque, dans la Gaule: 1° les sénateurs, 2° les curiales, 3o le peuple proprement dit, désigné sous le nom de plebs, 4° les esclaves.

L'existence distincte des familles sénatoriales est attestée par tous les monumens du temps. C'est un nom que l'on rencontre à chaque pas soit dans les documens législatifs, soit dans les historiens. Désignait-il les familles dont les membres appartenaient ou avaient appartenu au Sénat romain, ou simplement les Sénats municipaux des cités gauloises? C'est une question, car le Sénat de chaque ville, le corps municipal connu sous le nom de curia, s'appelait souvent aussi se

natus.

On ne peut guères douter, je crois, qu'il ne s'agit de familles qui avaient appartenu au Sénat romain, et tiraient de-là leur nom de sénato

riales; les empereurs, maîtres de composer le sénat à leur gré, le recrutaient dans toutes les provinces de l'empire, en y appelant les familles considérables des cités. Les hommes qui avaient occupé de grandes charges, par exemple celle de gouverneurs de province, recurent le droit d'entrer au sénat. La même faveur fut bientôt accordée à quiconque tenait de l'empereur seulement le titre honorifique de ces charges. Enfin, il suffit d'avoir obtenu un simple titre, celui de clarissime, qu'on donnait comme on donnerait aujourd'hui celui de baron ou de comte, pour être rangé parmi les sénateurs.

Cette qualité conférait de véritables priviléges qui élevaient les Sénateurs au-dessus du reste des citoyens le titre même; 2o le droit d'être jugé par un tribunal particulier; quand il s'agissait d'un procès capital contre un sénateur, le magistrat était obligé de s'adjoindre cinq assesseurs tirés au sort; 3° l'exemption de la torture; 4° enfin, l'exemption des charges ou fonctions municipales, devenues alors un fardeau trèsonéreux.

Telle était la condition des familles sénatoriales. Il serait peut-être excessif de dire qu'elles formaient une classe de citoyens essentiellement distincte; les sénateurs étaient pris dans toutes les

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classes, même parmi les affranchis; l'empereur pouvait retirer les priviléges qu'il avait donnés. Cependant, comme ces priviléges étaient réels, et de plus héréditaires, du moins pour les enfans nés depuis l'élévation de leur père à la dignité de sénateur, il y avait là une différence réelle de situation sociale, et le principe ou du moins l'apparence d'une aristocratie politique.

La seconde classe des citoyens était celle des curiales ou décurions, c'est-à-dire des propriétaires aisés, membres, non du Sénat romain, mais de la Curie ou corps municipal de leur cité. J'ai essayé de résumer dans mes Essais sur l'Histoire de France, les lois et les faits relatifs aux curiales, et d'en tirer un tableau exact de leur condition : permettez-moi de rappeler ici ce résumé.

La classe des curiales comprenait les habitans des villes, soit qu'ils y fussent nés (municipes), soit qu'ils fussent venus s'y établir (incolæ), qui possédaient une propriété foncière de plus de vingt-cinq arpens ( jugera ) et ne comptaient, à aucun titre, parmi les privilégiés exempts des fonctions curiales.

On appartenait à cette classe, soit par l'origine, soit par la désignation.

Tout enfant d'un curiale était curiale, et tenu de toutes les charges attachées à cette qualité.

Tout habitant, marchand ou autre, qui acquérait une

propriété foncière au-dessus de vingt-cinq jugera, devait être réclamé par la curie, et ne pouvait refuser.

Aucun curiale ne pouvait, par un acte personnel et volontaire, sortir de sa condition. Il leur était interdit d'habiter la campagne, d'entrer dans l'armée, d'occuper des emplois qui les auraient affranchis des fonctions municipales, avant d'avoir passé par toutes ces fonctions, depuis celle de simple membre de la curie jusqu'aux premières magistratures de la cité. Alors, seulement, ils pouvaient devenir militaires, fonctionnaires publics et sénateurs. Les enfans qu'ils avaient eus avant cette élévation demeuraient curiales.

Ils ne pouvaient entrer dans le clergé qu'en laissant la jouissance de leurs biens à quelqu'un qui voulût être curiale à leur place, ou en les abandonnant à la curie même.

Comme les curiales s'efforçaient sans cesse de sortir de leur condition, une multitude de lois prescrivent la recherche de ceux qui ont fui, ou qui sont parvenus à entrer furtivement dans l'armée, dans le clergé, dans les fonctions publiques, dans le sénat, et ordonnent de les en arracher pour les rendre à la curie.

Les curiales ainsi enfermés, de gré ou de force, dans la curie, voici quelles étaient leurs fonctions et leurs charges:

1° Administrer les affaires du municipe, ses dépenses et ses revenus, soit en en délibérant dans la curie, soit en occupant les magistratures municipales. Dans cette double situation, les curiales répondaient, non-seulement de leur gestion individuelle, mais des besoins de la ville, auxquels ils étaient tenus de pourvoir eux-mêmes, en cas d'insuffisance des revenus.

2o Percevoir les impôts publics, aussi sous la responsa

bilité de leurs biens propres, en cas de non recouvrement. Les terres soumises à l'impôt foncier, et abandonnées par leurs possesseurs, retombaient à la curie, qui était tenue d'en payer l'impôt, jusqu'à ce qu'elle eût trouvé quelqu'un qui voulût s'en charger. Si elle ne trouvait personne, l'impôt de la terre abandonnée était réparti entre les autres propriétés.

3° Nul curiale ne pouvait vendre, sans la permission du gouverneur de la province, la propriété qui le rendait curiale.

4o Les héritiers des curiales, quand ils étaient étrangers à la curie, et les veuves ou filles de curiales qui épousaient un homme non-curiale, étaient tenus d'abandonner à la curie le quart de leurs biens.

5o Les curiales, qui n'avaient pas d'enfans, ne pouvaient disposer, par testament, que du quart de leurs biens. Les trois autres quarts allaient de droit à la curie.

6. Ils ne pouvaient s'absenter du municipe, même pour un temps limité, sans en avoir reçu l'autorisation du gouverneur de la province.

70 Quand ils s'étaient soustraits à la curie, et qu'on ne pouvait les ressaisir, leurs biens étaient confisqués au profit de la curie.

8. L'impôt connu sous le nom d'aurum coronarium, et qui consistait en une somme à payer au prince, à l'occasion de certains évènemens solennels, pesait sur les curiales seuls.

Les dédommagemens accordés aux curiales accablés de telles charges étaient :

1° L'exemption de la torture, si ce n'est dans des cas très-graves.

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