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avait à cette époque, dans le monde romain, deux sociétés très-différentes, la société civile et la société religieuse. Elles différaient.non-seulement par leur objet, non-seulement parce qu'elles étaient régies par des principes et des institutions diverses, non-seulement parce que l'une était vieille et l'autrejeune; entre elles existait une diversité bien plus importante et plus profonde. La société civile semblait chrétienne comme la société religieuse; les souverains, les peuples avaient en immense majorité embrassé le christianisme; mais, au fond, la société civile était payenne; elle tenait du paganisme ses institutions, ses lois, ses moeurs. C'était la société que le paganisme avait faite, nullement celle du christianisme. La société civile chrétienne ne s'est développée que plus tard, après l'invasion des barbares; elle appartient à l'histoire moderne. Au Ve siècle, malgré les apparences extérieures, il y avait, entre la société civile et la société religieuse, incohérence, contradiction, combat, car elles étaient d'origine et de nature essentiellement diverses.

Je vous demande, Messieurs, de ne jamais oublier cette diversité; elle fait seule comprendre l'état du monde romain à cette époque.

Quelle était donc cette société civile, chré

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tienne de nom, mais au fond payenne encore? Prenons d'abord ce qu'elle a de plus extérieur, de plus apparent, son gouvernement, ses institutions, son administration.

L'empire d'Occident était divisé, au Va siècle, en deux préfectures, celle des Gaules et celle d'Italie. La préfecture des Gaules comprenait trois diocèses : les Gaules, l'Espagne et la GrandeBretagne. A la tête de la préfecture, était un préfet du prétoire; à la tête de chaque diocèse, un vice-préfet.

Le préfet du prétoire des Gaules résidait à Trèves. La Gaule était divisée en dix-sept provinces administrées chacune par un gouverneur particulier, sous les ordres du préfet. De ces provinces, six étaient gouvernées par des consulaires ('); les onze autres par des présidens (*),

Il n'y avait, quant au mode d'administration, aucune différence importante entre ces deux classes de gouverneurs ; ils ne différaient que de

(1) La Viennoise, la 1re Lyonnaise, la 1re et la 2de Germanie, la re et la 2de Belgique.

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(2) Les Alpes maritimes, les Alpes Pennines; la GrandeSéquanoise, la 1o et la 2de Aquitaine, la Novempopulanie, la re et la 2de Narbonnaise, la 2de et la 3e Lyonnaise, la Lyonnaise des Senons.

rang, de titre, et exerçaient au fond le même pouvoir.

Dans les Gaules comme ailleurs, les gouverneurs avaient deux sortes de fonctions:

1o. Ils étaient les hommes d'affaires de l'empereur, chargés, dans toute l'étendue de l'empire, des intérêts du gouvernement central, de la perception des impôts, des domaines publics, des postes impériales, du recrutement et de l'administration des armées, en un mot, de tous les rapports que l'empereur pouvait avoir avec les sujets.

2o. Ils avaient l'administration de la justice entre les sujets eux-mêmes. Toute juridiction civile et criminelle leur appartenait, sauf deux exceptions. Certaines villes des Gaules possédaient ce qu'on appelait jus italicum, le droit italique. Dans les municipes d'Italie, le droit de rendre la justice aux citoyens, au moins en matière civile et en première instance, appartenait à certains magistrats municipaux, duumviri, quatuorviri, quinquennales, ædiles, prætores, etc. On a souvent cru qu'il en était de même hors de l'Italie et dans toutes les provinces; c'est une erreur : dans quelques villes seulement, assimilées aux municipes d'Italie, les magistrats municipaux exerçaient, toujours sauf l'appel au gouverneur, une véritable juridiction.

Il y avait de plus, dans presque toutes les villes, et depuis le milieu du IVe siècle, un magistrat particulier, appelé defensor, élu non-seulement par la Curie ou corps municipal, mais par tout le peuple, et chargé de défendre, au besoin contre le gouverneur même, les intérêts de la population. Le défenseur avait en matière civile la juridiction de première instance; il jugeait même un certain nombre de causes que nous appellerions aujourd'hui de police correctionnelle.

Sauf ces deux exceptions, les gouverneurs jugeaient seuls tous les procès, et les jugeaient sans aucun autre recours que l'appel à l'empereur.

Voici comment s'exerçait leur juridiction. Dans les premiers siècles de l'empire, et conformément aux anciennes coutumes, celui auquel la juridiction appartenait, préteur, gouverneur de province, ou magistrat municipal, ne faisait, quand un procès arrivait devant lui, que déterminer la règle de droit, le principe légal d'après lequel il devait être jugé. Il établissait ce que nous appelons le point de droit, et désignait ensuite un simple citoyen, nommé judex, véritable juré, qui examinait et décidait le point de fait. On faisait l'application du principe posé par le magistrat au fait reconnu par le judex, et le procès était jugé.

Peu à peu, à mesure que le despotisme impérial s'établit, et que les anciennes libertés disparurent, l'intervention du judex devint moins régulière. Les magistrats décidèrent, sans y recourir, certaines affaires qu'on appela extraordinaria cognitiones. Dioclétien abolit formellement l'institution dans les provinces; elle ne parut plus que comme exception, et Justinien atteste que, sous son règne, elle était complètement tombée en désuétude. La juridiction toute entière appartenait donc aux gouverneurs, d'une part agens et représentans de l'empereur en toutes choses, de l'autre, maîtres de la vie et de la fortune des citoyens, sauf l'appel à l'empereur.

Voulez-vous, Messieurs, vous faire, par quelqu'autre voie, une idée de l'étendue de leur pouvoir et de la manière dont il s'exerçait? j'ai tiré de la Notitia imperii romani le tableau des bureaux d'un gouverneur de province; tableau absolument pareil à celui qu'on pourrait tirer aujourd'hui de l'Almanach royal, sur la composition des bureaux d'un ministère ou d'une préfecture. Je vais le mettre sous vos yeux. Ce sont les bureaux du préfet du prétoire qu'il vous fera connaître; mais les gouverneurs subordonnés au préfet du prétoire, consulaires, correcteurs ou présidens, exerçaient, sous sa surveil

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