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3° Quelques écrivains ont pensé que l'indépendance de l'Église eut aussi à souffrir d'une institution qui prit, chez les Francs, plus de développement qu'ailleurs je veux parler de la chapelle du roi et du clerc, qui, sous le nom d'Archi-Capellanus, Abbas regii oratorii, Apocrisiarius, en avait la direction. Chargé d'abord seulement de l'exercice du culte dans l'intérieur du palais, ce supérieur de la chapelle prit peu à peu plus d'importance, et devint, pour parler le langage, si peu applicable, de notre temps, une espèce de ministre des affaires ecclésiastiques de tout le royaume : on suppose qu'elles se traitaient presque toutes par son intermédiaire, et que la royauté y exerçait par là une grande influence. Il se peut que cette influence ait été réelle dans certains momens, sous tel ou tel roi, sous Charlemagne, par exemple; mais je doute fort qu'en général, et par elle-même, l'institution. fût efficace; elle dut servir plutôt le pouvoir de l'Église auprès du roi, que celui du roi dans l'Église.

Entre autres, M. Planck, dans son Histoire de la Constitution de l'Église chrétienne ( en allemand), 'ouvrage d'une science et d'une impartialité rares. Voyez tome 2, p. 149.

4o Il y avait quelque chose de plus réel dans les restrictions que subirent, à cette époque, les priviléges ecclésiastiques. Elles furent nombreuses et importantes. Par exemple, il fut défendu à tout évêque d'ordonner prêtre un homme libre, sans le consentement du roi. Les clercs étaient exempts du service militaire; les rois ne voulaient pas que les hommes libres pussent, à ce titre, s'en affranchir à leur gré. Aussi l'Église, à cette époque, apparaît-elle peuplée d'esclaves; c'est surtout parmi ses propres esclaves, parmi les serfs ou les colons de ses domaines, qu'elle se recrute; et cette circonstance n'est peut-être pas une de celles qui ont le moins contribué aux efforts de l'Église pour améliorer la condition des serfs. Beaucoup de clercs en étaient sortis; et, indépendamment des motifs religieux, ils en connaissaient les misères, ils portaient quelque sympathie à ceux qui y étaient plongés.

En matière criminelle, les clercs n'avaient point obtenu en Occident le privilége qu'en Orient leur accorda Héraclius; ils étaient jugés par les juges ordinaires et laïques. En matière civile le clergé se jugeait lui-même, mais dans les cas seulement où l'affaire n'intéressait que des clercs;

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si le différend avait lieu entre un clere et un laïque, le laïque n'était point tenu de comparaître devant l'évêque; il attirait au contraire le clerc devant ses juges. Quant aux charges publiques, il y avait certaines églises dont les domaines en étaient exempts, et le nombre en croissait chaque jour, mais l'immunité n'était point géné rale. A tout prendre, immédiatement après l'invasion, et dans ses principaux rapports avec le pouvoir temporel, le clergé de la Gaule - Franque semble moins indépendant et investi de moins de priviléges qu'il ne l'avait été dans la Gaule-romaine.

Mais les moyens ne lui manquaient pas, soit pour ressaisir avec le temps ses avantages, soit pour s'assurer de larges compensations. En n'intervenant point dans les affaires de dogme, c'està-dire dans le gouvernement intellectuel de l'Église, les rois barbares lui laissaient la source la plus féconde de pouvoir. Il sut y puiser abondamment. En Orient, les laïques prirent part à la théologie et à l'influence qu'elle conférait. En Occident, le clergé seul s'adressa aux esprits, et les posséda seul. Seul il parlait aux peuples, seul il les ralliait autour de certaines idées qui devenaient des lois. Ce fut surtout par-là qu'il reconquit la puissance, et répara

les échecs que l'invasion lui avait fait subir. Vers la fin de l'époque qui nous occupe, on peut déjà s'en apercevoir. L'Église se relève évidemment des coups que lui ont portés le désordre des temps et l'avidité brutale des Barbares. Elle fait reconnaître et consacrer son droit d'asile. Elle acquiert, sur les juges laïques d'un ordre inférieur, une sorte de droit de surveillance et de révision. Les conséquences de sa juridiction sur tous les péchés se développent. Par les testamens et les mariages, elle pénètre de plus en plus dans l'ordre civil. Des juges ecclésiastiques sont associés aux juges laïques toutes les fois qu'un clerc est en cause. Enfin la présence des évêques, soit auprès des rois, soit dans les assemblées des grands, soit dans la hiérarchie des propriétaires, leur assure une participation puissante dans l'ordre politique; et si le souverain temporel se mêle des affaires de l'Église, l'Église, à son tour, étend de plus en plus, dans les affaires du monde, action et son pouvoir.

son

C'est là, Messieurs, quant à la situation rẻciproque de la société civile et de la société religieuse, le caractère dominant de cette époque. Le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel se rapprochent, se pénètrent, empiètent de plus

coup

en plus l'un sur l'autre. Avant l'invasion, quand l'empire était encore debout, quoique les deux sociétés fussent déjà fort enlacées l'une dans l'autre, cependant la distinction était encore profonde. L'indépendance de l'Église, dans ce qui la concernait directement, était assez grande, et, en matière temporelle, quoiqu'elle eût beaud'influence, elle n'avait guères d'action directe que sur le régime municipal et au sein des cités. Pour le gouvernement général de l'État, l'empereur avait sa machine toute montée, ses conseils, ses magistrats, ses armées; en un mot, l'ordre politique était complet et régulier, à part de la société religieuse et de son gouvernement. Après l'invasion, au milieu de la dissolution de l'ordre politique et du trouble universel, les limites des deux gouvernemens disparurent; ils vécurent l'un et l'autre au jour le jour, sans principes, sans conditions arrêtées, se rencontrant partout, se heurtant, se confondant, se disputant les moyens d'action, luttant et transigeant dans les ténèbres et au hasard. Cette co-existence déréglée du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, cet enchevêtrement bizarre de leurs attributions, ces usurpations réciproques, cette incertitude de leurs limites tout ce chaos de l'Église et de l'État qui a

12. HIST. MOD., 1829.

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