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les princes barbares manifester les mêmes dispo

sitions.

En fait donc, et par le concours de causes diverses, la seconde condition de la société spirituelle, la liberté des esprits, fut moins violée à cette époque en Occident qu'en Orient. Il ne faut cependant pas s'y tromper; ce n'était là qu'un accident, un effet temporaire de circonstances extérieures; au fond le principe était également méconnu, et le cours général des choses tendait également à faire prévaloir la persécution.

Vous le voyez, Messieurs, en dépit de quelques différences, l'unité de l'Église, avec les conséquences du sens qu'on y attachait, était partout le fait dominant, en Occident comme en Orient, dans l'état social comme dans les esprits. C'était là le principe qui présidait, dans la société religieuse, aux opinions, aux lois, aux actions, le point duquel on partait toujours, le but vers lequel on ne cessait de tendre. Dès le IVe siècle, cette idée a été, pour ainsi dire, l'étoile sous l'influence de laquelle la société religieuse s'est développée en Europe, et qu'il faut avoir toujours en vue pour suivre et comprendre les vicissitudes de sa destinée.

Ce point convenu et le fait caractéristique de cette époque bien établi, entrons dans l'examen

particulier de l'état de l'Église, et recherchons quels étaient 1° ses rapports avec la société civile et son gouvernement; 2° son organisation propre et intérieure. Nous serons probablement obligés de nous renfermer aujourd'hui dans la première question.

Reportez-vous, je vous prie, Messieurs, à ce que j'ai eu l'honneur de vous en dire en parlant de l'Église au Ve siècle : il nous a paru que ses rapports avec l'État pouvaient être réglés dans quatre systèmes différens: 1° La complète indépendance de l'Église; l'Église inaperçue, ignorée, ne recevant de l'État ni loi ni appui; 2° La souveraineté de l'État sur l'Église; la société religieuse gouvernée, sinon complètement, du moins dans ses principaux élémens, par la puissance civile; 3° La souveraineté de l'Église sur l'État; le gouvernement temporel, sinon directement possédé, du moins complètement dominé par le pouvoir spirituel; 4° Enfin la co-existence des deux sociétés, des deux pouvoirs, séparés mais alliés à certaines conditions diverses, variables, qui les unissent sans les confondre.

Nous avons en même temps reconnu qu'au V° siècle ce dernier système prévalait, que l'église chrétienne et l'empire romain existaient l'une dans l'autre, comme deux sociétés distinctes,

ayant chacune son gouvernement, ses lois, mais s'adoptant et se soutenant mutuellement. Au sein de leur alliance, nous avons démêlé les traces encore visibles d'un autre principe, d'un état antérieur, la souveraineté de l'État sur l'Église, l'intervention et la prépondérance décidée des empereurs dans son administration. Enfin nous avons entrevu, mais dans le lointain, la souveraineté de l'Église sur l'État, la domination du gouvernement temporel par le pouvoir spi

rituel.

Telle nous a paru, au Ve siècle, et dans son ensemble, la situation de l'Église chrétienne dans ses rapports avec l'État.

Au VI° siècle, si nous regardons à l'empire d'Orient, sur lequel il faut toujours porter sa vue pour bien comprendre ce qui s'est passé en Occident, et les changemens qu'y a fait subir au cours des choses l'invasion barbare, deux faits simultanés nous frapperont:

1o Le clergé, surtout l'épiscopat, obtient sans cesse, des empereurs, de nouvelles faveurs, de nouveaux priviléges. Justinien donne aux évêques: 1o la juridiction civile sur les moines et les religieuses comme sur les clercs'; 2° la surveillance

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des biens des cités, et la prépondérance dans toute l'administration municipale '; 3° l'affranchissement de la puissance paternelle'; 4° il défend aux juges temporels de les appeler comme témoins, et de leur demander un serment 3. Héraclius leur accorde la juridiction criminelle sur les clercs '. L'influence et les immunités de la société religieuse dans la société civile vont toujours croissant.

2o Cependant les empereurs se mêlent de plus en plus des affaires de l'Eglise; non-seulement de ses relations avec l'État, mais de ses affaires intérieures, de sa constitution, de sa discipline. Et non-seulement ils se mêlent de son gouvernement, mais ils interviennent dans ses croyances; ils rendent des décrets en faveur de tel ou tel dogme, ils réglementent la foi.

A tout prendre, l'autorité des empereurs d'Orient sur la société religieuse est plus générale, plus active, plus fréquente, plus despotique qu'elle ne l'avait été jusque-là; malgré le progrès de ses priviléges, la situation de l'Église

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"Gieseler, Lehrbuch der Kirchengeschichte, t. 1, p. 602.

envers le pouvoir civil est faible, subalterne, déchue de ce qu'elle était dans l'ancien empire. Deux textes contemporains ne vous permettront pas d'en douter.

Au milieu du VIe siècle, les Francs envoyèrent une ambassade à Constantinople; le clergé d'Italie écrivit aux envoyés francs pour leur donner, sur l'empire d'Orient, les renseignemens qu'il croyait utiles au succès de leur mission :

« Les évêques Grecs, leur dit-il, ont de grandes et opulentes églises, et ils ne supportent pas d'être suspendus deux mois du gouvernement des affaires ecclésiastiques; aussi, s'accommodant au temps et à la volonté des princes, consentent-ils sans débat à faire tout ce qu'on leur deinande

Voici un document qui parle encore plus haut. L'empereur d'Orient, Maurice (582-602) avait interdit, à quiconque occupait des fonctions civiles, de se faire clerc ou d'entrer dans un monastère; il avait envoyé cette constitution à Rome, au pape Grégoire-le-Grand, pour qu'il la répandît dans l'Occident. Rome ne tenait plus à l'empire grec que par un faible lien; Grégoire n'avait vraiment rien à craindre de l'empereur;

1 Mansi, Conc., t. ix, p. 153.

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