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rieuse, à lire avec attention une grande histoire de France, qui puisse, en quelque sorte, servir de cadre aux faits et aux idées que nous aurons à y placer. Je ne vous raconterai pas les événemens proprement dits; cependant, il est indispensable que vous les connaissiez. De toutes les histoires de France que je pourrais vous indiquer, la meilleure est, sans contredit, celle de M. de Sismondi. Elle n'est point encore terminée; les douze volumes publiés ne vont que jusqu'à la fin du règne de Charles VI; mais, à coup sûr, nos études de cette année ne dépasseront pas ce terme. Je n'ai garde de prétendre discuter ici les mérites et les défauts de l'ouvrage de M. de Sismondi. Cependant j'ai besoin de vous dire en quelques mots ce que vous y trouverez surtout, ce que je vous conseille spécialement d'y chercher. Considérée comme exposition critique des institutions, du développement politique, du gouvernement de la France, l'histoire des Français est incomplète, et laisse, je crois, quelque chose à désirer; dans les volumes qui ont paru, les deux époques les plus importantes pour la destinée politique de la France, le règne de Charlemagne et celui de Saint-Louis, sont au nombre, peut-être, des plus faibles parties du livre. Comme histoire du développement intellec

tuel, des idées, quelque chose manque également à la profondeur des recherches et à l'exactitude des résultats. Mais soit comme récit des évènemens, soit comme tableau des vicissitudes de l'état social, des rapports des différentes classes entre elles, et de la formation progressive de la nation française, l'ouvrage est très-distingué, et vous y puiserez une riche et solide instruction. Peut-être y souhaiterez-vous encore un peu plus d'impartialité et de liberté dans l'imagination; peut-être la réaction des évènemens et des opinions contemporaines s'y laisse-t-elle quelquefois trop entrevoir ce n'en est pas moins un vaste et beau travail, infiniment supérieur à tous ceux qui l'ont précédé; et vous serez, en le lisant avec attention, très-bien préparés aux études que nous avons à faire en

commun.

Je me propose, Messieurs, à mesure que nous aborderons, soit une époque particulière, soit une crise de la société française, de vous indiquer et les monumens originaux qui nous en restent, et les principaux ouvrages modernes qui en ont déjà traité. Vous pourrez ainsi éprouver vous-mêmes, au creuset de vos propres études, les résultats que j'essaierai de vous présenter.

Vous vous rappelez que je me suis promis de

considérer la civilisation dans son ensemble, comme développement social et comme développement moral, dans l'histoire des relations des hommes et dans celle des idées; j'étudierai donc chaque époque sous ce double point de vue. Je commencerai toujours par l'étude de l'état social. Ce n'est pas, à vrai dire, commencer par le commencement: l'état social dérive, entre beaucoup de causes, de l'état moral des peuples; les croyances, les sentimens, les idées, les moeurs précèdent la condition extérieure, les relations sociales, les institutions politiques; la société, sauf une réaction nécessaire et puissante, est ce que la font les hommes. Il faudrait donc, pour se conformer à la vraie chronologie, à la chronologie interne et morale, étudier les hommes avant la société. Mais l'ordre historique véritable, l'ordre dans lequel les faits se succèdent et s'engendrent réciproquement, diffère essentiellement de l'ordre scientifique, de l'ordre dans lequel il convient de les étudier. Dans la réalité, les faits se développent, pour ainsi dire, du dedans au dehors; les causes sont intérieures et produisent les effets extérieurs. L'étude, au contraire, la science, procède et doit procéder du dehors au dedans. C'est du dehors qu'elle est d'abord frappée; c'est le dehors qu'elle atteint du premier

coup, et c'est en le regardant qu'elle avance, pénètre et arrive, par degrés, au-dedans.

Nous rencontrons ici, Messieurs, la grande question, la question si souvent et si bien traitée, mais non encore épuisée peut-être, des deux méthodes, l'analyse et la synthèse. Celle-ci est la méthode primitive, la méthode de création; l'autre est la méthode de seconde date, la méthode scientifique. Si la science voulait procéder suivant la méthode de création, si elle prétendait saisir les faits dans l'ordre suivant lequel ils se produisent, elle courrait grand risque, pour ne pas dire plus, de ne se point placer en débutant à la source pleine et pure des choses, de n'en pas embrasser le principe tout entier, de ne se prendre qu'à l'une des causes d'où les effets dérivent; et, engagée alors dans une voie étroite et fausse, elle s'égarerait de plus en plus; et au lieu d'arriver à la création véritable, au lieu de trouver les faits tels qu'ils se produisent réellement, elle n'enfanterait que des chimères sans valeur, malgré la puissance intellectuelle qu'on aurait dépensée à les poursuivre, mesquines au fond, sous une apparence de grandeur.

D'autre part, si la science, en procédant du dehors au dedans, selon la méthode qui lui est propre, oubliait que ce n'est point là la méthode

primitive et féconde, que les faits en eux-mêmes subsistent et se développent dans un autre ordre que celui où elle les voit, elle pourrait arriver à oublier que les faits la précèdent, à méconnaître le fond même des choses, à s'éblouir d'elle-même, à se prendre, en quelque sorte, pour la réalité, et à n'être bientôt plus qu'une combinaison d'apparences et de termes, aussi vaine, aussi trompeuse que les hypothèses et les déduc tions de la méthode contraire.

Il importe, Messieurs, de ne jamais perdre de vue cette distinction et ses conséquences; nous les rencontrerons plus d'une fois sur notre che

min.

Quand j'ai essayé, l'été dernier, de démêler, dans le berceau de la civilisation européenne, ses élémens primitifs et essentiels, j'y ai trouvé d'une part, le monde romain, de l'autre, les barbares. II faut donc, pour commencer, dans quelque portion de l'Europe que ce soit, l'étude de la civilisation moderne, étudier d'abord l'état de la société romaine, au moment où l'empire romain est tombé, c'est-à-dire vers la fin du IV et au commencement du Ve siècle. Cette étude est particulièrement nécessaire quand il s'agit de la France. Toute la Gaule en effet était soumise à l'empire; et sa civilisation, dans le midi surtout,

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