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elle reparaît, puissante, féconde; elle exerce sur les institutions et les moeurs qui s'y viennent associer, un prodigieux empire; elle leur imprime de plus en plus son caractère; elle domine, elle métamorphose ses vainqueurs.

Deux causes, entre beaucoup d'autres, ont produit ce résultat : la puissance d'une législation civile, forte et bien liée; l'ascendant naturel de la civilisation sur la barbarie.

En se fixant, en devenant propriétaires, les barbares contractèrent, soit entre eux, soit avec les Romains, des relations beaucoup plus variées et plus durables que celles qu'ils avaient connues jusqu'alors; leur existence civile prit plus d'étendue et de permanence. La loi romaine pouvait seule la régler; elle seule était en mesure de suffire à tant de rapports. Les barbares, tout en conservant leurs coutumes, tout en demeurant les maîtres du pays, se trouvèrent pris, pour ainsi dire, dans les filets de cette législation savante, et obligés de lui soumettre, en grande partie, non sans doute sous le point de vue politique, mais en matière civile, le nouvel ordre social.

Le spectacle seul de la civilisation romaine exerçait d'ailleurs sur leur imagination un grand empire. Ce qui émeut aujourd'hui notre imagination, ce qu'elle cherche avec avidité dans l'histoire, les

poèmes, les voyages, les romans, c'est le spectacle d'une société étrangère à la régularité de la nôtre; c'est la vie sauvage, son indépendance, sa nouveauté, ses aventures. Autres étaient les impressions des barbares; c'est la civilisation qui les frappait, qui leur semblait grande et merveilleuse : les monumens de l'activité romaine, ces cités, ces routes, ces aqueducs, ces arènes, toute cette société si régulière, si prévoyante, si variée dans sa fixité, c'était là le sujet de leur étonnement, de leur admiration. Vainqueurs, ils se sentaient inférieurs aux vaincus; le barbare pouvait mépriser individuellement le romain; mais le monde romain, dans son ensemble, lui apparaissait comme quelque chose de supérieur; et tous les grands hommes de l'âge de la conquête, les Alaric, les Ataulphe, les Théodoric et tant d'autres, en détruisant et foulant aux pieds la société romaine, faisaient tous leurs efforts pour l'imiter.

C'est là, Messieurs, un des principaux faits qui éclatent dans l'époque que nous venons de parcourir, et surtout dans la rédaction et la transformation successive des lois barbares. Nous rechercherons, dans notre prochaine réunion, ce qui restait des lois romaines, pour régir les Romains eux-mêmes, pendant que les Germains s'appliquaient à écrire les leurs.

ONZIÈME LEÇON.

Perpétuité du droit romain après la chute de l'empire. De l'histoire du droit romain dans le moyen âge, par M. de Savigny. Mérites et lacunes de cet ouvrage. 1° Du droit romain chez les Visigoths,- Breviarium Aniani, recueilli ordre d'Alaric. par Histoire et contenu de

ce recueil.

2o Du droit romain chez les Bourguignons. Papiani responsum. — Histoire et contenu de cette loi. -3° Du droit romain chez les Francs.-Point de

recueil nouveau.

La perpétuité du droit romain prou

vée par divers faits. — Résumé.

MESSIEURS,

Nous connaissons l'état de la société germaine et de la société romaine avant l'invasion. Nous connaissons le résultat général de leur premier rapprochement, c'est-à-dire l'état de la Gaule immédiatement après l'invasion. Nous venons 11. HIST. MOD., 1829.

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d'étudier les lois barbares, c'est-à-dire le premier travail des peuples germains pour adapter leurs anciennes coutumes à leur situation nou

velle. Étudions aujourd'hui la législation romaine à la même époque, c'est-à-dire cette partie des institutions et du droit romain qui survécut à l'invasion, et continua de régir les Gaulois-Romains.

C'est là l'objet d'un ouvrage allemand, célèbre depuis quelques années dans le monde savant, l'histoire du Droit Romain dans le moyen âge, par M. de Savigny. Le dessein de l'auteur est plus étendu que le nôtre, car il retrace l'histoire du droit romain, non-seulement en France mais dans toute l'Europe. Il n'en a pas moins traité ce qui concerne la France avec plus de détails que je n'en puis donner ici; et avant d'aborder le fond même du sujet, j'ai besoin de vous entretenir un moment de son travail.

La perpétuité du droit romain depuis la chute de l'empire jusqu'à la renaissance des sciences et des lettres, telle en est l'idée fondamentale. L'opinion contraire a été long-temps et généralement répandue; on croyait que le droit romain était tombé avec l'empire, pour ressusciter au XIIe siècle, par la découverte d'un manuscrit des Pandectes, trouvé à Amalfi. C'est l'erreur que

M. de Savigny a voulu dissiper: les deux premiers volumes sont, entièrement consacrés à rechercher toutes les traces du droit romain du V au XIIe siècle, et à prouver, en retrouvant son histoire, qu'il n'a jamais cessé de subsister.

La démonstration est convaincante; le but est pleinement atteint. Cependant l'ouvrage, considéré dans son ensemble et comme oeuvre historique, donne lieu à quelques observations.

Toute époque, Messieurs, toute matière historique, si je puis ainsi parler, peut être considérée sous trois points de vue différens, impose à l'historien une triple tâche. Il peut, il doit d'abord rechercher les faits mêmes, recueillir et mettre en lumière, sans autre dessein que l'exactitude, tout ce qui s'est passé. Les faits une fois retrouvés, il faut savoir quelles lois les ont régis; comment ils se sont enchaînés; par quelles causes se sont accomplis ces incidens qui sont la vie de la société, et la font marcher, par de certaines voies, vers un certain but. Je voudrais marquer, avec clarté et précision, la différence des deux études. Les faits proprement dits, les évènemens extérieurs, visibles, sont le corps de l'histoire; ce sont les membres, les os, les muscles, les organes, les élémens matériels du passé; leur connaissance et leur description constituent ce qu'on pourrait appeler

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