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Les Visigoths étaient d'abord établis dans le midi de la Gaule; ce fut en 507 que Clovis les en chassa, et leur enleva toute l'Aquitaine; ils ne conservèrent, au nord des Pyrénées, que la Septimanie. La législation des Visigoths n'importe donc à l'histoire de notre civilisation que jusqu'à cette époque; plus tard, l'Espagne y est presque seule intéressée.

Pendant qu'il régnait à Toulouse, Euric fit écrire les coutumes des Goths; son successeur, Alaric, celui qui fut tué par Clovis, fit recueillir et publier, sous le nom de Breviarium, les lois de ses sujets romains. Les Visigoths étaient donc, au commencement du VIe siècle, dans la même situation que les Bourguignons et les Francs; la loi barbare et la loi romaine étaient distinctes; chaque peuple gardait la sienne.

Quand les Visigoths eurent été rejetés en Espagne, cet état changea; leur roi Chindasuinthe (642–652), fondit les deux lois en une seule, et abolit formellement la loi romaine; il n'y eut plus dès lors qu'un seul code, un seul peuple. Ainsi fut substitué, parmi les Visigoths, le système des lois réelles, ou selon le territoire, au système des lois personnelles, ou selon l'origine, selon les races. Ce dernier avait régné et régnait encore chez tous les peuples barbares lorsque

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Chindasuinthe l'abolit chez les Visigoths. Mais ce fut en Espagne que s'accomplit cette révolu tion; c'est là que de Chindasuinthe à Égica (64 ? -701) le Forum judicum se développa, se compléta, et prit la forme sous laquelle nous le connaissons. Tant que les Visigoths occupèrent le midi de la Gaule, la première rédaction de leurs anciennes coutumes et le Breviarium régirent seuls le pays. Le Forum judicum n'a donc, pour la France, qu'un intérêt indirect. Cependant il a été quelque temps en vigueur dans une petite partie de la Gaule méridionale; il occupe dans l'histoire générale des lois barbares une grande place, et y figure comme un phénomène très-remarquable. Permettez-moi donc de vous en faire connaître. l'ensemble et le caractère. Sans cela, notre tableau des législations barbares serait incomplet, et l'idée qui nous en resterait, inexacte.

La loi des Visigoths est incomparablement plus étendue qu'aucune de celles dont nous venons de nous occuper. Elle est composée d'un titre qui sert de préface, et de douze livres, divisés en 54 titres, qui comprennent 595 articles, ou lois distinctes, d'origine et de date diverses. Toutes les lois, rendues ou réformées par les rois Visigoths, d'Euric à Egica, sont contenues dans cette collection.

Toutes les matières législatives s'y rencontrent : ce n'est ni un recueil d'anciennes coutumes, ni une première tentative de réforme civile; c'est un code universel; code de droit politique, de droit civil, de droit criminel; code systématiquement rédigé, et qui a l'intention de pourvoir à tous les besoins de la société. Et c'est non-seulement un code, un ensemble de dispositions législatives, mais aussi un système de philosophie, une doctrine. Il est précédé et mêlé, çà et là, de dissertations sur l'origine de la société, la nature du pouvoir, l'organisation civile, la composition et la publication des lois. Et c'est non-seulement un système, mais encore un magasin d'exhortations morales, de menaces, de conseils. Le Forum judicum, en un mot, porte à la fois un caractère législatif, un caractère philosophique et un caractère religieux; il tient de la loi, de la science et du sermon.

La cause en est simple; la loi des Visigoths est l'oeuvre du clergé; elle est sortie des conciles de Tolède. Les conciles de Tolède ont été les assemblées nationales de la monarchie espagnole. L'Espagne a ce caractère singulier que, dès cette première période de son histoire, le clergé y a joué un beaucoup plus grand rôle que partout ailleurs; ce qu'étaient chez les Francs les

champs de Mars ou Mai, chez les Anglo-Saxons, le Wittenagemot, chez les Lombards l'assemblée générale de Pavie, les conciles de Tolède l'ont été chez les Visigoths d'Espagne. Là se rédigeaient les lois, se débattaient toutes les grandes affaires du pays. Le clergé était pour ainsi dire le centre autour duquel se groupaient la royauté, l'aristocratie laïque, le peuple, la société toute entière. Le code visigoth est évidemment l'ouvrage des ecclésiastiques; il a les vices et les mérites de leur esprit ; il est incomparablement plus rationnel, plus juste, plus doux, plus précis; il connaît beaucoup mieux les droits de l'humanité, les devoirs du gouvernement, les intérêts de la société, il s'efforce d'atteindre à un but plus élevé et plus complexe que toutes les autres législations barbares. Mais, en même temps, sous le point de vue politique, il laisse la société plus dépourvue de garanties; il la livre d'une part au clergé, de l'autre, à la royauté. Les lois franques, saxonnes, lombardes, bour guignonnes même laissent subsister les garanties qui naissaient des anciennes mœurs, de l'indépendance individuelle, des droits de chaque propriétaire dans ses domaines, de la participation plus ou moins régulière, plus ou moins étendue, des hommes libres aux affaires de la

nation, aux jugemens, à la rédaction des actes de la vie civile. Dans le Forum judicum, presque tous ces débris de la société germanique primitive ont disparu; une vaste administration, semi-ecclésiastique, semi-impériale, s'étend sur la société.

Je pourrais, à coup sûr, me dispenser de le dire, et votre pensée a devancé mes paroles : ceci est un pas nouveau, et un pas immense, dans la route où nous marchons. Depuis que nous étudions les lois barbares, nous avançons de plus en plus vers le même résultat ; la fusion des deux sociétés devient de plus en plus générale, profonde; et dans cette fusion, à mesure qu'elle s'accomplit, l'élément romain, civil ou religieux, domine de plus en plus. La loi ripuaire est moins germaine que la loi salique; la loi des Bourguignons moins germaine que la loi ripuaire; la loi des Visigoths bien moins encore que la loi des Bourguignons. Évidemment, c'est en ce sens que coule le fleuve, vers ce but que tend le progrès des événemens.

Singulier spectacle, Messieurs! Tout à l'heure, nous assistions au dernier âge de la civilisation romaine, et nous la trouvions en pleine décadence, sans force, sans fécondité, sans éclat incapable, pour ainsi dire, de subsister. La voilà vaincue, ruinée par les barbares; et tout à coup

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