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peut porter ce nom, ne fut pas de longue durée. A la mort de Clovis, son fils Théoderic fut roi des Francs orientaux, c'est-à-dire des Francs Ripuaires; il résidait à Metz. C'est à lui qu'on attribue, en général, la rédaction de leur loi: ainsi l'indique en effet la préface de la loi salique que je vous ai déjà lue, et qui se trouve également en tête de la loi des Bavarois'. D'après cette tradition, la loi des Ripuaires devrait donc être placée de l'an 511 à l'an 534. Elle n'aurait pas, comme la loi salique, la prétention de remonter jusqu'à la rive droite du Rhin et dans l'ancienne Germanie: cependant, son antiquité serait grande. Je suis porté à lui retrancher, dans sa forme actuelle du moins, à peu près un siècle de vie. La préface qui la fait rédiger sous le roi Théoderic attribue aussi à ce chef la loi des Allemands: or, il est à peu près constant que celle-ci ne fut rédigée que sous le règne de Clotaire II, de l'an 613 à l'an 628; ainsi donnent lieu de le croire les meilleurs manuscrits. L'autorité de cette préface devient donc fort suspecte quant à la loi des Ripuaires; et d'après la comparaison attentive des témoignages, je suis porté à croire qu'elle prit seulement sous Dagobert I",

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de l'an 628 à l'an 638, la forme définitive sous

Jaquelle elle nous est parvenue.

Passons de son histoire à son contenu. Je l'ai soumise à la même décomposition que la loi salique. Elle contient 89 ou 91 titres et (selon des distributions diverses) 224 ou 277 articles, savoir: 164 de droit pénal, et 113 de droit politique ou civil, de procédure civile ou criminelle, Sur les 164 articles de droit pénal, on en compte 94 pour violences contre les personnes, 16 pour cas de vol, et 64 pour délits divers.

Au premier aspect, d'après cette simple décomposition, la loi ripuaire ressemble assez à la loi salique; c'est aussi une législation essentiellement pénale, et qui révèle à peu près le même état de moeurs. Cependant, quand on y regarde de plus près, on découvre des différences importantes.

Je vous ai entretenus, dans notre dernière réunion, des conjuratores, ou cojurans, qui, sans rendre un témoignage proprement dit, venaient attester par leur serment la réalité ou la faussété des faits allégués par l'offensé ou l'offenseur. C'est surtout dans la loi des Ripuaires que les conju ratores tiennent une grande place. Il en est question dans cinquante-huit articles de cette loi, et elle règle avec détail, dans chaque occasion, le

nombre des cojurans, les formes de leur comparution, etc. La loi salique en parle bien plus rarement, si rarement que plusieurs personnes ont douté que le système des conjuratores fût en vigueur parmi les Francs saliens. Ce doute ne me paraît pas fondé. Si la loi salique en parle à peine, c'est qu'elle regarde le système comme un fait établi, convenu, et qu'il n'est nul besoin d'écrire. Tout indique d'ailleurs que ce fait était réel et puissant. Quelles causes l'ont fait si fréquemment insérer dans la loi des Ripuaires? On l'ignore; j'en donnerai tout à l'heure la seule explication que j'en puisse entrevoir.

Un autre usage est aussi plus souvent mentionné dans la loi ripuaire que dans la loi salique; je veux parler du combat judiciaire. Il y en a bien quelque trace dans la loi salique; mais la loi ripuaire l'institue formellement dans six articles distincts. Cette institution, si un tel fait mérite le nom d'institution, a joué dans le moyen Age un trop grand rôle pour que nous ne cherchions pas à la bien comprendre au moment où elle paraît pour la première fois dans les lois.

J'ai essayé de montrer comment la composition, la seule peine, à vrai dire, de la loi salique, fut un premier essai pour substituer un régime légal au droit de guerre, à la vengeance,

à la lutte des forces. Le combat judiciaire est une tentative du même genre; il a eu pour but de soumettre la guerre même, la vengeance individuelle, à certaines formes, à certaines règles. La composition et le combat judiciaire sont dans une relation intime, et se sont développés simultanément. Un crime avait été commis; un homme était offense; c'était la croyance générale qu'il avait droit de se venger, de poursuivre, par la force, la réparation du tort qu'il avait subi. Cependant un commencement de loi, une ombre de puissance publique intervenait, et autorisait l'offenseur à offrir une certaine somme pour réparer son délit. Mais, dans l'origine, l'offensé avait droit de refuser la composition et de dire : « Je veux exercer mon droit de vengeance, je » veux la guerre. » Le législateur alors, ou plutôt les coutumes, car nous personnifions, sous le nom de législateur, de pures coutumes qui n'eurent long-temps aucune autorité légale; les coutumes donc intervenaient, disant : « Si vous » voulez vous venger, et faire la guerre à votre » ennemi, vous la lui ferez selon certaines for» mes, en présence de certains témoins. »

Ainsi s'est introduit dans la législation le combat judiciaire, comme une régularisation du droit de guerre, une arène limitée ouverte à

la

vengeance. Telle est sa première, sa véritable source; le recours au jugement de Dieu, la vérité proclamée par Dieu même dans l'issue du combat, ce sont là des idées qui s'y sont associées plus tard, quand les croyances religieuses et le clergé chrétien ont joué un grand rôle dans la pensée et la vie des barbares : originairement le combat judiciaire n'a été que la forme légale du droit du plus fort, forme bien plus explicitement reconnue dans la loi des Ripuaires que dans la loi salique.

A en juger d'après ces deux différences, on serait, au premier moment, tenté de croire que la première de ces deux lois est la plus ancienne. Nul doute, en effet, que le système des conjuratores et le combat judiciaire n'appartiennent à la société germaine primitive. La loi ripuaire en semblerait donc la plus fidèle image. Il n'en est rien. Et d'abord, ces deux différences, qui semblent donner à cette loi une physionomie plus barbare, indiquent elles-mêmes un effort, un premier pas hors de la barbarie; car elles révèlent le dessein, sinon de l'abolir, du moins de la régler. Le silence à ce sujet laisse toutes choses sous l'empire de la coutume, c'est-à-dire de la violence et du hasard. La loi ripuaire essaie, en écrivant, en déterminant la coutume, de la

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