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DIXIÈME LEÇON.

Objet de la leçon.

Le caractère transitoire de la loi salique se retrouve-t-il dans les lois des Ripuaires, des Bourguignons et des Visigoths?— 1o De la loi des Ripuaires. Des Francs Ripuaires.-Histoire de la rédaction de leur loi. Son contenu. -En quoi elle diffère de la loi salique. -2° De la loi des Bourguignons.Histoire de sa rédaction. Son contenú.- - Son carac

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tère distinctif. -3° De la loi des Visigoths.

Elle intéresse plus l'histoire d'Espagne que l'histoire de France. Son caractère général. - Effet de la civilisation romaine sur les Barbares.

MESSIEURS,

Dans notre dernière réunion, le caractère qui, en résumé, nous a paru dominant et fondamental dans la loi salique, c'est d'être une législation transitoire, essentiellement germaine sans doute, marquée déjà cependant d'une empreinte romaine, qui ne possèdera point l'ave10. HIST. MOD., 1829.

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de

nir, et où se révèlent, d'une part le passage l'état social germain à l'état social romain, de l'autre, la décadence et la fusion de ces deux élémens au profit d'une société nouvelle, à laquelle ils concourront l'un et l'autre, et qui commence à poindre au milieu de leurs débris.

Ce résultat de l'examen de la loi salique serait singulièrement confirmé si l'examen des autres lois barbares nous y faisait également aboutir; bien plus, si nous trouvions, dans ces diverses lois, diverses époques de la transition, diverses phases de la transformation, qui s'y laissent entrevoir; si nous reconnaissions par exemple, que la loi des Ripuaires, la loi des Bourguignons, la loi des Visigoths, sont en quelque sorte, placées, dans la même carrière que la loi salique, à des distances inégales, et nous livrent, s'il est permis d'employer ce langage, des produits plus ou moins avancés dans la combinaison de la société germaine et de la société romaine, et dans la formation de l'état nouveau qui en devait ré sulter.

C'est là, je crois, que nous conduira, en effet, l'examen attentif de ces trois lois, c'est-à-dire de toutes celles qui ont exercé, dans les limites de la Gaule, une véritable influence.

I. La distinction des Francs Ripuaires et des

Francs Saliens vous est connue : c'étaient les deux
principales tribus, ou plutôt les deux principales
collections de tribus de la grande confédération
des Francs. Les Francs Saliens tiraient probable-
ment leur nom de la rivière de l'Yssel (Ysala), sur
les bords de laquelle ils s'étaient établis, à la suite
du mouvement de peuples qui les fit passer dans la
Batavie; leur nométait donc d'origine germanique,
et on peut croire qu'ils se l'étaient donné eux-
mêmes. Les Francs Ripuaires, au contraire, re-
curent évidemment le leur des Romains: ils ha-
bitaient les rives du Rhin. A mesure que les
Francs Saliens s'avancèrent vers le sud-ouest,
dans la Belgique et dans la Gaule, les Francs
Ripuaires se répandirent aussi à l'ouest, et occu-
pèrent le
pays situé entre le Rhin et la Meuse,
jusqu'à la forêt des Ardennes. Les premiers sont
devenus, ou à peu près, les Francs de Neustrie;
les derniers, les Francs d'Austrasie. Ces deux
noms, sans correspondre exactement à la dis-
tinction primitive, la reproduisent assez fidèle-

ment.

Au début de notre histoire, les deux tribus paraissent un moment réunies en un seul peuple et sous un même empire. Permettez-moi de vous lire, au sujet de cette réunion, le récit de Grégoire de Tours, toujours, et bien à son insu, le

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peintre le plus vrai des mœurs et des évènemens de cette époque : vous y verrez ce que signifiaient 'alors ces mots, union des peuples et conquête :

Quand Clovis en vint aux mains avec Alaric, roi des Goths, il avait pour allié le fils de Sigebert-Claude (roi des Francs-Ripuaires, et qui résidait à Cologne) nommé Chloderic. Ce Sigebert boitait d'un coup qu'il avait reçu au genou, à la bataille de Tolbiac, contre les Allemands... Le roi Clovis, pendant son séjour à Paris, envoya en secret au fils de Sigebert, lui faisant dire : « Voilà que ton père » est âgé, et il boite de son pied malade; s'il venait à mou>> rir, son royaume t'appartiendrait de droit, ainsi que notre » amitié. » Séduit par cette ambition, Chloderic forma le projet de tuer son père.

Sigebert étant sorti de la ville de Cologne, et ayant passé le Rhin pour se promener dans la forêt Buconia, s'endormit à midi dans sa tente; son fils envoya contre lui des assassins et le fit tuer, dans l'espoir qu'il posséderait son royaume. Mais, par le jugement de Dieu, il tomba dans la fosse qu'il avait méchamment creusée pour son père. Il envoya au roi Clovis des messagers pour lui annoncer la mort de son père et lui dire : « mon père est » mort, et j'ai en mon pouvoir ses trésors et son royaume. >> Envoie-moi quelques-uns des tiens, et je leur reinettrai >> volontiers ceux des trésors qui te plairont. » Clovis lui répondit : « Je rends grace à ta bonne volonté, et je te prie de montrer tes trésors à mes envoyés, après quoi tu » les possèderas tous. » Chloderic montra donc aux envoyés les trésors de son père. Pendant qu'ils les examinaient, le prince dit «< c'est dans ce coffre que mon père avait cou

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>>tume d'amasser ses pièces d'or. » Ils lui dirent : » Plongez » votre main jusqu'au fond pour trouver tout. » Lui l'ayant fait et s'étant tout à fait baissé, un des envoyés leva sa francisque et lui brisa le crâne. Ainsi cet indigne fils subit la mort dont il avait frappé son père.

Clovis apprenant que Sigebert et son fils étaient morts, vint dans cette même ville, et ayant convoqué tout le peuple, il leur dit : « Écoutez ce qui est arrivé. Pen»dant que je naviguais sur le fleuve de l'Escaut, Chlo» deric, fils de mon parent, tourmentait son père en lui >> disant que je voulais le tuer. Comme Sigebert fuyait à » travers la forêt de Buconia, Chloderic a envoyé contre » lui des meurtriers qui l'ont mis à mort; lui-même a été » assassiné, je ne sais par qui, au moment où il ouvrait les» trésors de son père. Je ne suis nullement complice de ces » choses. Je ne puis répandre le sang de mes parens, car >> cela est défendu, mais puisque ces choses sont arrivées, »je vous donne un conseil; s'il vous est agréable, accep» tez-le. Ayez recours à moi, mettez-vous sous ma protec>>tion.» Le peuple répondit à ces paroles par des applaudissemens de main et de bouche, et l'ayant élevé sur un bouclier, ils le créèrent leur roi. Clovis reçut donc le royaume et les trésors de Sigebert, et les ajouta à sa domination. Chaque jour, Dieu faisait tomber ses ennemis sous sa main et augmentait son royaume, parce qu'il marchait le cœur droit devant le Seigneur, et faisait les choses qui sont agréables à ses yeux.1

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Cette réunion des deux peuples, si un tel fait

Grégoire de Tours, dans ma Collection des Mémoires de l'Histoire de France, t. 1, p. 104-107.

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