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à la découverte des faits, le grand moyen,

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tème général des lois barbares : les conjuratores sont mentionnés bien moins souvent dans la loi des Francs-Saliens que dans les autres lois barbares, dans celle des Francs-Ripuaires, par exemple : nul doute cependant qu'ils n'y fussent également en usage, et le fond de la procédure criminelle.

Ce système a été, comme celui de la composition, un sujet de grande admiration pour beaucoup d'érudits; ils y ont vu deux rares mérites; la puissance des liens de famille, d'amitié, ou de voisinage, et la confiance de la loi dans la véracité de l'homme : « Les Germains, dit Rogge, n'ont jamais senti le besoin d'un véritable système de preuves. Ce qu'il y a d'étrange dans cette assertion disparaît, si on est aussi pénétré que je le suis, d'une pleine foi au noble caractère, et par-dessus tout à la véracité illimitée de nos aïeux. » I

Il serait plaisant, Messieurs, de passer de cette phrase à la lecture de Grégoire de Tours, du poème des Nibelungen, et de tous les monu

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Ueber das gerichtwesen der Germanen; dans la préface, P. VI.

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mens, poétiques ou historiques, des anciennes moeurs germaines la ruse, le mensonge, : manque de foi, s'y reproduisent à chaque pas, tantôt avec le plus subtil raffinement, tantôt avec l'audace la plus grossière; croirez-vous que les Germains fussent autres devant leurs tribunaux que dans leur vie, et que les régistres de leurs procès, si telle chose que des registres avait existé alors, donnassent un démenti à leur histoire? Je n'ai garde de leur faire, de ces vices, un reproche particulier; ce sont les vices des peuples barbares à toutes les époques, sous toutes les zones; les traditions américaines en déposent comme celles de l'Europe, et l'Iliade comme les Nibelungen. Je suis bien loin aussi de nier cette moralité naturelle de l'homme, qui ne l'abandonne jamais dans aucune condition, aucun âge de la société, et se mêle au plus brutal empire de l'ignorance ou de la passion. Mais vous comprenez sans peine ce que devaient être, bien souvent, au milieu de telles mœurs, les sermens des conjuratores.

Quant à l'esprit de tribu ou de famille, il était puissant; il est vrai, parmi les Germains, et les conjuratores en sont une preuve, entre beaucoup d'autres; mais il n'avait point toutes les causes et ne produisait point toutes les conséquences 9. HIST. MOD., 1829.

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morales qu'on lui attribue: un homme accusé était un homme attaqué; ses proches le suivaient et l'entouraient devant le tribunal comme au combat. C'est entre les familles que l'état de guerre subsiste au sein de la barbarie; quoi d'étonnant qu'elles se groupent et se mettent en mouvement quand, sous telle ou telle forme, la guerre vient les menacer?

La véritable originedes conjuratores, Messieurs, c'est que tout autre moyen de constater les faits était à peu près impraticable. Pensez à ce qu'exige une telle recherche, à ce qu'il faut de développement intellectuel et de puissance publique pour le rapprochement et la confrontation des divers genres de preuves, pour recueillir et débattre des témoignages, pour amener seulement les témoins devant les juges et en obtenir la vérité, en présence des accusateurs et des accusés. Rien de tout cela n'était possible dans la société que régissait la loi salique; et ce n'est point par choix ni par aucune combinaison morale, c'est parce qu'on ne savait et ne pouvait mieux faire, qu'on avait recours alors au jugement de Dieu et au serment des parens.

Tels sont, Messieurs, les principaux points de cette loi salique qui m'ont paru mériter votre attention. Je ne vous dis rien des fragmens de

droit politique, de droit civil, de procédure civile, qui s'y trouvent épars, ni même de cet article fameux qui ordonne que : « la terre sa

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lique ne sera point recueillie par les femmes, » et que l'hérédité toute entière sera dévolue aux >> mâles. >> Personne n'ignore maintenant quel en est le véritable sens. Quelques dispositions, relatives aux formalités par lesquelles un homme peut se séparer de sa famille, s'affranchir de toute obligation de parenté, et rentrer dans une complète indépendance, sont fort curieuses, et jettent un grand jour sur l'état social; mais elles tiennent peu de place dans la loi, et n'en déterminent point le but. Elle est essentiellement, je le répète, un code pénal, et vous la connaissez maintenant sous ce rapport. A la considérer dans son ensemble, il est impossible de n'y pas reconnaître une législation complexe, incertaine, transitoire. On y sent à chaque instant le passage d'un pays à un autre pays, d'un état social à un autre état social, d'une religion à une autre religion, d'une langue à une autre langue; presque toutes les métamorphoses qui peuvent avoir lieu dans la vie d'un peuple, y sont empreintes. Aussi son existence a-t-elle été précaire et courte: dès le X

Tit 53, § 1-3.

siècle peut-être, elle était remplacée par une multitude de coutumes locales, auxquelles elle avait, à coup sûr, beaucoup fourni, mais qui avaient également puisé à d'autres sources, dans le droit romain, le droit canon, dans les nécessités de circonstance; et quand, au XIV siècle, on invoqua la loi salique pour régler la succession à la couronne, depuis long-temps, à coup sûr, on n'en parlait plus que par souvenir et dans quelque grande occasion.

Trois autres lois barbares, celles des Ripuaires, des Bourguignons et des Visigoths, ont régné sur les peuples établis dans la Gaule; elles seront l'objet de notre prochaine réunion.

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