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Ce n'est pas là la société : on ne tarde pas à s'en apercevoir; on fait effort en tous sens pour sortir d'un tel état, pour entrer dans les voies de l'ordre social. Le mal cherche partout son remède. Ainsi le veut cette vie mystérieuse, cette force secrète qui préside aux destinées du genre humain.

Deux remèdes se produisent : 1° l'inégalité se prononce entre les hommes; les uns deviennent riches, les autres pauvres; les uns nobles, les autres obscurs; les uns patrons, les autres cliens; les uns maîtres, les autres esclaves : 2o la puissance publique se développe; une force collective s'élève qui, au nom et dans l'intérêt de la société, proclame et fait exécuter certaines lois.

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Ainsi naissent, d'un côté, l'aristocratie, de l'autre, le gouvernement; c'est-à-dire deux modes de répression des volontés individuelles, deux moyens de soumettre beaucoup d'hommes à une autre volonté que la leur.

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A leur tour, les remèdes deviennent des maux l'aristocratie opprime, la puissance publique opprime; l'oppression amène un désordre, différent du premier, mais profond et intolérable. Cependant, au sein de la vie sociale, par le seul effet de sa durée, par le concours d'une multitude d'influences, les individus, seuls êtres réels, se sont développés, éclairés, perfec

tionnés; leur raison n'est plus si courte, ni leur volonté si déréglée; ils s'aperçoivent qu'ils pourraient fort bien vivre en paix sans une aussi grande somme d'inégalité ou de puissance. publique; c'est-à-dire que la société subsisterait fort bien sans coûter si cher à la liberté. Alors, de même qu'il y avait eu effort pour la création de la puissance publique, et au profit de l'inégalité entre les hommes, de même un effort commence vers un but contraire, vers la réduction de l'aristocratie et du gouvernement; c'est-à-dire que société tend vers un état qui, extérieurement du moins et à n'en juger que sous ce rapport, ressemble à ce qu'elle était dans son premier âge, au libre développement des volontés individuelles, à cette situation où chaque homme fait ce qu'il veut, à ses risques et périls.

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Si je me suis bien expliqué, Messieurs, vous savez maintenant où réside la grande erreur des admirateurs de l'état barbare: frappés d'une part du peu de développement, soit de la puissance publique, soit de l'inégalité, d'autre part, de l'étendue de liberté individuelle qui s'y rencontre, ils en ont conclu que la société, malgré la rudesse de ses formes, était au fond dans son état normal, sous l'empire de ses principes légitimes. telle enfin qu'après ses plus beaux progrès elle

tend visiblement à redevenir. Ils n'ont oublié qu'une seule chose : ils ne se sont point inquiétés de comparer, à ces deux termes de la vie sociale, les hommes eux-mêmes; ils ont oublié que, dans le premier, grossiers, ignorans, violens, gouvernés par la passion, toujours, près de recourir à la force, ils étaient incapables de vivre en paix selon la raison et la justice, c'està-dire, de vivre en société, sans une puissance extérieure qui les y contraignît. Le progrès de la société consiste surtout à changer l'homme luimême, à le rendre capable de liberté, c'est-àdire capable de se gouverner lui-même selon la raison. Si la liberté a péri à l'entrée de la carrière sociale, c'est que l'homme n'a pas été capable d'y avancer en la gardant; qu'il la reprenne et l'exerce de plus en plus, c'est le but, c'est la perfection de la société ; mais ce n'était nullement l'état primitif, la condition de la vie barbare. La liberté dans celle-ci n'était autre chose que l'empire de la force, c'est-à-dire la ruine ou plutôt l'absence de la société. C'est là ce qui a trompé tant d'hommes d'esprit sur le caractère des législations barbares, et en particulier de celle qui nous occupe. Ils y ont vu les principales conditions extérieures de la liberté, et, au milieu de ces conditions, ils ont placé les

sentimens, les idécs, les hommes d'un autre âge. Cette théorie de la composition que je viens d'exposer, n'a pas une autre source: l'incohérence en est évidente; et au lieu d'attribuer à ce genre de peine tant de valeur morale, il ne faut le regarder que comme un premier pas hors de l'état de guerre et de la lutte barbare des forces.

III. Quant à la procédure criminelle, au mode de poursuite et de jugement des délits, la loi salique est très incomplète, et presque silencieuse; elle prend les institutions judiciaires comme un fait, et ne parle ni des tribunaux, ni des juges, ni des formes de l'instruction. On rencontre çà et là, sur les assignations, la comparution en justice, les obligations des témoins et des juges, l'épreuve par l'eau bouillante, etc., quelques dispositions spéciales; mais pour les compléter, pour reconstruire le système d'institutions et de moeurs auquel elles se rattachent, il faudrait porter ses regards fort au-delà du texte, et même de l'objet de la loi. Parmi les renseignemens qu'elle contient sur la procédure criminelle, j'arrêterai votre attention sur deux points seulement, la distinction du fait et du droit, et les cojurans ou conjuratores.

Quand l'offenseur, sur l'assignation de l'offensé, paraissait dans le mal ou assemblée des

hommes libres, devant les juges, n'importe lesquels, comte, rachimbourgs, ahrimans, etc., appelés à prononcer, la question qui leur était soumise était celle de savoir ce qu'ordonnait la loi sur le fait allégué: on ne venait point débattre devant eux la vérité ou la fausseté du fait; on accomplissait devant eux les conditions par lesquelles ce premier point devait être décidé; puis, selon la loi sous laquelle vivaient les parties, ils étaient requis de déterminer le taux de la composition et toutes les circonstances de la peine.

Quant à la réalité du fait même, elle s'établissait devant les juges de diverses manières, par le recours au jugement de Dieu, l'épreuve de l'eau bouillante, le combat, etc., quelquefois par des dépositions de témoins, le plus souvent par le serment des conjuratores. L'accusé arrivait suivi d'un certain nombre d'hommes, ses parens, ses voisins, ses amis, six, huit, neuf, douze, cinquante, soixante-douze, cent même dans certains cas, et qui venaient jurer qu'il n'avait pas fait ce qu'on lui imputait. Dans certains cas, l'offensé avait aussi les siens. Il n'y avait là niinterrogatoire, ni discussion de témoignages, ni examen proprement dit du fait; les conjuratores attestaient simplement, sous serment, la vérité de l'assertion de l'offensé ou de la dénégation de l'offenseur. C'est là, quant

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