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qui ont recueilli, chacun à sa guise, des bruits populaires, et qu'on ne saurait leur attribuer une véritable autorité.

Aucun d'ailleurs des anciens documens, aucun des premiers chroniqueurs qui ont raconté avec détail l'histoire des Francs, ni Grégoire de Tours, ni Frédégaire, par exemple, ne parlent de la rédaction de leurs lois. Il faut descendre jusqu'au. VIII siècle pour trouver un passage qui en fasse mention, et c'est dans l'une des plus confuses, des plus fabuleuses chroniques de cette époque, dans les Gesta francorum, qu'on lit:

Après une bataille que leur livra l'empereur Valentinien, et où tomba leur chef Priam, les Francs sortirent de Sicambrie, et vinrent s'établir dans les régions de la Germanie, aux extrémités du cours du fleuve du Rhin.......... Là, ils élurent roi Pharamond, fils de Marcomir, et, l'élevant sur leurs boucliers, le proclamèrent roi Chevelu; et alors ils commencèrent à avoir une loi que leurs anciens conseillers gentils, Wisogast, Windogast, Aregast et Salogast rédigerent dans les bourgades germaines de Bodecheim, Salecheim et Windecheim. (Gesta. Franc., c. 3).

C'est sur ce paragraphe que se fondent toutes les préfaces, inscriptions, ou nárrations placées en tête des manuscrits; elles n'ont point d'autre garantie et ne méritent pas plus de foi.

Après avoir ainsi écarté les documens indirects

allégués à l'appui de la haute antiquité et de l'origine purement germaine de la loi, M. Wiarda aborde directement la question et pense : 1° que la loi salique a été rédigée pour la première fois sur la rive gauche du Rhin, en Belgique, dans le territoire situé entre la forêt des Ardennes, la Meuse, la Lys et l'Escaut; pays où s'établit et qu'occupa long-temps la tribu des Francs Saliens, que cette loi régissait spécialement et de qui elle a reçu son nom; 2° Que, dans aucun des textes actuellement existans, elle ne paraît pas remonter au-delà du VII° siècle; 3° Enfin qu'elle n'a jamais été rédigée qu'en latin. Ceci est reconnu de toutes les autres lois barbares, des lois Ripuaire, Bavaroise, Allemande, et rien n'indique que la loi salique ait fait exception. Les dialectes germains d'ailleurs ne furent point écrits avant le règne de Charlemagne; et Otfried de Weissembourg, traducteur de l'évangile, appelle encore au IXe siècle la langue franque linguam indisciplinabilem.

Tels sont les résultats généraux du savant travail de M. Wiarda; à tout prendre, je les crois légitimes; il s'est même trop peu prévalu d'un genre de preuves plus fortes, à mon avis, que la plupart de celles qu'il a si ingénieusement débattues; c'est-à-dire du contenu même de la loi

salique et des faits qui s'y révèlent clairement. Il me semble évident, par les dispositions, les idées, le ton de cette loi, qu'elle appartient à une époque où les Francs étaient depuis assez longtemps au milieu d'une population romaine; elle fait sans cesse mention des Romains; et non pas comme d'habitans épars çà et là sur le territoire, mais comme d'une population nombreuse, laborieuse, agricole, déjà réduite, en grande partie du moins, à l'état de colons. On y voit aussi que le christianisme ne date pas d'hier parmi les Francs, qu'il tient déjà, dans la société et les esprits, une grande place; il y est souvent question des églises, des évêques, des diacres, des clercs; on reconnaît, dans plus d'un article, l'influence de la religion sur les notions morales et le changement qu'elle a déjà apporté dans les moeurs barbares. En un mot, les preuves intrinsèques, puisées dans la loi elle-même, me paraissent concluantes en faveur du système que M. Wiarda a soutenu.

Je crois cependant que les traditions qui, à travers beaucoup de contradictions et de fables, retentissent encore dans les préfaces et les épilogues annexés à la loi, ont plus d'importance et méritent plus d'égards qu'il ne leur en a accordé. Elles indiquent que, dès le VIII siècle, c'était une

croyance répandue, un souvenir populaire, que les coutumes des Francs-Saliens avaient été recueillies anciennement, avant qu'ils fussent chrétiens, dans un territoire plus germain que celui qu'ils occupaient. Quelque peu authentiques, quelque vicieux que soient les documens où ces traditions sont déposées, ils prouvent du moins qu'elles existaient. Il n'en faut pas conclure que la loi salique, telle que nous l'avons, soit d'une date très-reculée, ni qu'elle ait été rédigée comme on le raconte, ni même qu'elle ait jamais été écrite en langue germanique; mais qu'elle se rattache à des coutumes recueillies et transmises de génération en génération lorsque les Francs habitaient vers l'embouchure du Rhin, et modifiées, étendues, expliquées, rédigées en loi à diverses reprises, depuis cette époque jusqu'à la fin du VIIIe siècle. C'est là, je crois, le résultat raisonnable auquel cette discussion doit conduire.

Permettez, Messieurs, qu'avant de quitter l'ouvrage de M. Wiarda, j'appelle un moment votre attention sur deux idées qu'il y développe, et qui contiennent, à mon avis, une large part de vérité. La loi salique, selon lui, n'est point une loi proprement dite, un code; elle n'a pas été rédigée et publiée par une autorité légale, officielle, soit un roi, soit une assemblée du peuple ou des grands.

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Il est tenté d'y voir une simple énumération de coutumes et de décisions judiciaires, un recueil fait par quelque prud'homme, quelque clerc barbare, recueil analogue au miroir des Saxons, au miroir des Souabes, et à plusieurs autres anciens monumens de la législation germanique, qui n'ont évidemment que ce caractère. M. Wiarda fonde cette conjecture sur l'exemple de plusieurs autres peuples, à ce même degré de civilisation, et sur un assez grand nombre d'argumens ingénieux. Il en est un qui lui a échappé, le plus concluant peutêtre; c'est un texte de la loi salique elle-même. On y lit :

Si quelqu'un a dépouillé un mort avant qu'on l'ait mis en terre, qu'il soit condamné à payer 1800 deniers, qui font 45 sous; et d'après une autre décision (in alia sententia), 2500 deniers, qui font 62 sous et demi '.

Évidemment, ce n'est pas là un texte législatif, car il contient pour le même délit deux peines différentes; et les mots: d'après une autre décision, sont exactement ceux qu'on trouverait dans le langage de la jurisprudence, dans un recueil d'arrêts.

M. Wiarda pense en outre, et ceci confirme

1 Pact. leg, sal. éd. Herold; tit. 17, de expoliationibus : § 1.

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