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et long-temps trompé. On a attribué à la loi salique une importance fort exagérée. Vous savez la cause de cette erreur; vous savez qu'à l'avènement de Philippe-le-Long, et dans la lutte de Philippe de Valois et d'Édouard III pour la couronne de France, la loi salique fut invoquée pour repousser la succession des femmes, et qu'elle a été célébrée dès-lors, par une foule d'écrivains, comme la première source de notre droit public, une loi toujours en vigueur, la loi fondamentale de la monarchie. Les hommes même les plus étrangers à cette illusion, Montesquieu, par exemple, n'ont pas laissé d'en subir un peu l'influence, et de parler de la loi salique avec un respect qu'à coup sûr il est difficile de lui porter quand on ne lui attribue dans notre histoire que la place qu'elle y tient véritablement. On serait tenté de croire que la plupart des écrivains qui parlent de cette loi n'en ont étudié ni l'histoire, ni le contenu; qu'ils ignorent également d'où elle vient et ce qu'elle est. Ce sont-là, Messieurs, les deux questions que nous avons à résoudre: il faut que nous sachions, d'une part, comment la loi salique a été rédigée, où, quand, par qui, pour qui; d'autre part, quels sont l'objet et le système de ses dispositions.

Quant à son histoire, rappelez-vous, je vous

prie, Messieurs, ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous dire sur la double origine et l'incohérence des lois barbares; elles sont à la fois antérieures et postérieures à l'invasion, germaines et germanoromaines; elles appartiennent à deux états de société différens. Ce caractère a influé sur toutes les controverses dont la loi salique a été l'objet : il a donné lieu à deux systèmes : dans l'un, elle a été rédigée en Germanie, sur la rive droite du Rhin, bien avant la conquête, dans la langue propre des Francs; tout ce qui, dans ses dispositions, ne convient pas à cette époque et à l'ancienne société germaine, y a été introduit plus tard, par les révisions successives qui ont eu lieu après l'invasion. Dans l'autre système, au contraire, la loi salique a été rédigée après la conquête, sur la rive gauche du Rhin, en Belgique ou en Gaule, au VII siècle peut-être, et en latin.

Rien de plus naturel que la lutte de ces deux systèmes; ils devaient naître de la loi salique ellemême. Une circonstance particulière est venue les provoquer.

Il y a, Messieurs, dans les manuscrits qui en restent, deux textes de cette loi: l'un purement latin; l'autre latin aussi, mais mêlé d'un grand nombre de mots germaniques, de gloses, d'ex

plications dans l'ancienne langue franque, intercalées dans le cours des articles. Il contient deux cent cinquante-trois intercalations de ce genre. Ce second texte a été publié en 1557, à Bâle, par le jurisconsulte Jean Hérold, d'après un manuscrit de l'abbaye de Fulde. Le texte purement latin a été publié une première fois, à Paris, sans date, ni nom d'éditeur; et pour la seconde fois, par Jean Dutillet, également à Paris, en 1573. L'un et l'autre ont eu depuis une foule d'éditions. Il existe de ces deux textes dix-huit manuscrits', savoir: quinze du texte purement latin, trois du texte mêlé de mots germaniques. Ces manuscrits ont été trouvés, quinze sur la rive gauche du Rhin, en France, trois seulement en Allemagne. Vous pourriez être tentés de croire les trois manuscrits trouvés en Allemagne sont ceux qui contiennent la glose germanique : il n'en est rien; sur les trois manuscrits avec la glose, deux seulement viennent d'Allemagne, le troisième a été trouvé à Paris; sur les quinze autres, quatorze ont été trouvés en France et un en Allemagne.

que

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1 M. Pertz, si je ne me trompe, en a découvert récemment deux autres; mais rien n'a encore été publié à lear sujet.

Les quinze manuscrits du texte purement latin sont semblables, à peu de chose près. Il y a bien quelques variantes dans les préfaces, les épilogues, dans la disposition ou la rédaction des articles, mais de peu d'importance. Les trois manuscrits contenant la glose germanique different beaucoup plus; ils diffèrent quant au nombre des titres et des articles, quant à leur ordre, leur contenu même, et encore plus quant au style. De ces manuscrits, deux sont rédigés dans le latin le plus barbare.

Voilà donc deux textes de la loi salique qui appuient les deux solutions du probleme; l'un paraît d'une origine plus romaine; l'autre plus purement germanique. Aussi la question a-t-elle pris cette forme: des deux textes, quel est le plus ancien? lequel peut être considéré comme primitif?

L'opinion commune, surtout en Allemagne, attribue au texte portant la glose germanique la plus haute antiquité. Il y a bien, à la première vue, quelques raisons de le supposer. Les trois manuscrits de ce texte portent: Lex salica antiqua, antiquissima, vetustior; tandis que, dans ceux du texte purement latin, on lit ordinairement: Lex salica recentior, emendata, reformata. Si l'on s'en rapportait à ces épigraphes, la question serait résolue.

Une autre circonstance semble conduire à la même solution. Plusieurs manuscrits contiennent une sorte de préface où l'histoire de la loi salique est racontée : voici la plus étendue; vous verrez sur-le-champ quelles conséquences on a pu en tirer sur l'antiquité de la loi.

«La nation des Francs, illustre, ayant Dieu pour fondateur, forte sous les armes, ferme dans les traités de paix, profonde en conseil, noble et saine de corps, d'une blancheur et d'une beauté singulière, hardie, agile et rude au combat; depuis peu convertie à la foi catholique, pure d'hérésie; lorsqu'elle était encore sous une croyance barbare, avec l'inspiration de Dieu, recherchant la clé de la science; selon la nature de ses qualités, désirant la justice, gardant la piété ; la loi salique fut dictée par les chefs de cette nation, qui en ce temps commandaient chez elle.

>> On choisit, entre plusieurs, quatre hommes, savoir : Wisogast, Bodogast, Salogast et Windogast 1, dans les lieux appelés Salagheve, Bodogheve, Windogheve. Ces hommes se réunirent dans trois mâls 2, discutèrent avec soin toutes les causes de procès, traitèrent de chacune en particulier et décrétèrent leur jugement en la manière qui suit. Puis, lorsque, avec l'aide de Dieu, Chlodwig le chevelu, le beau, l'illustre roi des Francs, cut reçu le premier bap

1 Gast veut dire hôte; gheve ou gau, canton, district; Salogast est l'hôte, l'habitant du canton de Sale; Bodogast, l'hôte du canton de

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