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mitives: que

devinrent-elles l'une et l'autre par le fait de l'invasion? quels changemens y produisit elle nécessairement? Par là seulement nous pourrons connaître quelle société germaine fut vraiment transportée sur le sol romain.

Messieurs, le fait caractéristique, le grand résultat de l'invasion, pour les Germains, ce fut leur passage à l'état de propriétaires, la cessation de la vie errante et l'établissement définitif de la vie agricole.

. Ce fait s'est accompli successivement, lentement, inégalement; la vie errante a continué pendant assez long-temps, dans la Gaule, du moins pour un grand nombre de Germains. Cependant, quand on a tenu compte de ces délais, de ces désordres, on reconnaît qu'après tout les conquérans sont devenus propriétaires, qu'ils se sont attachés au sol, que la propriété foncière a été l'élément essentiel du nouvel état social.

Quelles ont été les conséquences de ce seul fait dans le régime de la bande guerrière et de la tribu?

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Quant à la tribu, rappelez-vous, Messieurs, ce que j'ai eu l'honneur de vous dire sur le mode de son établissement territorial en Germanie, sur la manière dont les villages étaient construits

et disposés; la population n'y était point pressée; chaque famille, chaque habitation était isolée, entourée d'un terrain en culture. Ainsi se posent, même quand ils mènent la vie sédentaire, les peuples qui ne sont encore qu'à ce degré de civilisation.

Lorsque la tribu fut transplantée sur le sol gaulois, les habitations se dispersèrent bien davantage; les chefs de famille s'établirent à une bien plus grande distance les uns des autres : ils occupèrent de vastes domaines; leurs maisons devinrent plus tard les châteaux; les villages qui se formèrent autour d'eux furent peuplés non plus d'hommes libres, leurs égaux, mais des colons attachés à leurs terres. Ainsi, sous le rapport matériel, la tribu se trouva dissoute par le seul fait de son nouvel établissement.

Vous devinez sans peine quel effet dut pro. duire, dans ses institutions, ce seul changement. L'assemblée des hommes libres, où se traitaient toutes choses, devint beaucoup plus difficile à réunir; tant qu'ils vivaient les uns près des autres, ils n'avaient pas besoin de grands artifices, de combinaisons savantes pour traiter en commun de leurs affaires : mais quand une population est éparse, pour que les principes et les formes des institutions libres lui demeurent applicables, il

faut un grand développement social; il faut de la richesse, de l'intelligence, mille conditions en un mot qui manquaient à la peuplade germaine, transportée tout à coup sur un territoire beaucoup plus vaste que celui qu'elle occupait auparavant. Le système qui avait présidé à son existence en Germanie devait donc périr, et périt en effet. En ouvrant les plus anciennes lois germaniques, celles des Allemands, des Bavarois, des Francs, on voit qu'originairement l'assemblée des hommes libres', dans chaque canton, se tenait très-fréquemment, d'abord toutes les semaines, puis tous les mois : toutes les affaires y étaient portées; les jugemens y étaient rendus, non-seulement les jugemens criminels, mais les jugemens civils; presque tous les actes de la vie civile s'accomplissaient en sa présence, les ventes, les donations, etc. Quand une fois la peuplade est établie en Gaule, les assemblées deviennent rares et difficiles; si difficiles, qu'il faut employer des moyens coërcitifs pour y faire venir les hommes libres: c'est l'objet de plusieurs dispositions légales. Et si vous passez tout d'un coup du VI° siècle au milieu du VIII*, vous trouvez qu'à cette dernière époque il n'y a plus, dans chaque comté, que trois assemblées d'hommes libres par an encore man

quent-elles souvent; la législation de Charlemagne en fait foi'.

Si d'autres preuves étaient nécessaires, en voici une qui mérite d'être remarquée. Quand les assemblées étaient fréquentes, les hommes libres, sous le nom de Rachimburgi, Ahrimanni, boni homines, et dans des formes diverses, y déci daient les affaires. Quand ils ne vinrent plus, il fallut trouver, dans les occasions indispensables, un moyen de les suppléer; aussi voit-on, à la fin du VIII° siècle, les hommes libres remplacés, dans les fonctions judiciaires, par des juges permanens ; les scabini, ou échevins de Charlemagne, sont de vrais juges; dans chaque comté, cinq, sept, neuf hommes libres sont désignés par le comte, ou tout autre magistrat local, avec charge de se rendre à l'assemblée du comté, et de juger les procès. Les institutions primitives sont devenues impraticables; le pouvoir judiciaire a passé du peuple à des magistrats.

Tel fut l'état où tomba, après l'invasion et par son influence, le premier élément de la société germaine, la peuplade, la tribu. Politiquement parlant, elle fut désorganisée, comme l'avait été

1

Voyez mes Essais sur l'Histoire de France, p. 258, 266, 271.

la société romaine. Quant à la bande guerrière, les faits s'accomplirent d'une autre façon et sous une autre forme, mais avec les mêmes résul

tats.

Lorsqu'une bande arrivait quelque part, et prenait possession des terres ou d'une portion des terres, ne croyez pas que cette occupation eût lieu systématiquement, ni qu'on divisât le territoire par lots, et que chaque guerrier en reçût un, selon son importance ou son rang : le chef de la bande, ou les différens chefs qui s'étaient réunis, s'appropriaient de vastes domaines; la plupart des guerriers qui les avaient suivis continuaient de vivre autour d'eux, chez eux, à leur table, sans propriété qui leur appartînt spécialement. La bande ne se dissolvait point en individus dont chacun devint propriétaire; les guerriers les plus considérables entraient presque seuls dans cette nouvelle situation; s'ils se fussent tous dispersés pour aller s'établir chacun sur un point du territoire, leur sûreté au milieu de la population eût été bientôt compromise; ils avaient besoin de rester réunis en groupes. La vie commune d'ailleurs, le jeu, la chasse, les banquets, c'étaient-là les plaisirs des barbares; comment se seraient-ils résignés à s'isoler? L'isolement n'est supportable

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