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guignons, les Visigoths et les Francs, méritent seuls d'être comptes parmi nos ancêtres. Les Bourguignons s'établirent définitivement en Gaule, de l'an 406 à l'an 415; ils occupaient les pays situés entre le Jura, la Saône et la Durance; Lyon était le centre de leur domination. Les Visigoths, de l'an 412 à l'an 450, se répandirent dans les provinces comprises, entre le Rhône, et même sur la rive gauche du Rhône, au sud de la Durance, la Loire et les Pyrénées; leur roi résidait à Toulouse. Les Francs, de l'an 481 à l'an 500, s'avancèrent dans le nord de la Gaule, et s'établirent entre le Rhin, l'Escaut et la Loire, non compris la Bretagne et la portion occidentale de la Normandie; Clovis eut pour capitales Soissons et Paris. Ainsi, à la fin du V' siècle, l'occupation définitive du territoire gaulois, par les trois grands peuples germains, était accomplie.

L'état de la Gaule ne fut pas exactement le même dans ses diverses parties et sous la domination de ces trois peuples. y avait entre eux des différences notables. Les Francs étaient beaucoup plus étrangers, plus Germains, plus barbares que les Bourguignons et les Goths. Avant d'entrer en Gaule, ces derniers avaient d'anciennes relations avec les Romains; ils avaient vécu dans l'empire d'Orient, en Italie;

po

ils s'étaient familiarisés avec les moeurs et la pulation romaines. On en peut dire presque autant des Bourguignons. De plus, les deux peuples étaient chrétiens depuis assez longtemps. Les Francs au contraire arrivaient de Germanie, encore païens et ennemis. Les portions de la Gaule qu'ils occupèrent se ressentirent de cette différence; elle est décrite avec vérité et vivacité dans la VI des Lettres sur l'histoire de France de M. Augustin Thierry'. Je suis porté cependant à la croire moins importante qu'on ne le suppose en général. Si je ne m'abuse, les provinces romaines différaient plus entre elles que les peuples qui les avaient conquises. Vous avez déjà vu combien la Gaule méridionale était plus civilisée que le nord, plus couverte de population, de villes, de monumens, de routes. Les Visigoths fussent-ils arrivés aussi barbares que les Francs, leur barbarie eût été, dans la Narbonnaise et l'Aquitaine, bien moins apparente, bien moins puissante; la civilisation romaine les eût bien plutôt absorbés et changes. Ce fut là, je crois, ce qui arriva, et la diversité des effets qui accompagnèrent les trois conquêtes provint

2* édit., p. 81–114,

de la différence des vaincus plus que de celle des vainqueurs.

Cette différence d'ailleurs, sensible tant qu'on se borne à considérer les choses d'une vue trèsgénérale, s'efface ou du moins devient très-difficile à saisir quand on pénètre plus avant dans l'étude de la société. On peut dire que les Francs étaient plus barbares que les Visigoths; mais cela dit, il faut s'arrêter : en quoi différaient positivement, chez les deux peuples, les institutions, les idées, les relations des classes? aucun document précis ne nous l'apprend.

Enfin, la différence d'état des provinces Gauloises, celle du moins qui venait du fait de leurs maîtres, ne tarda pas à disparaître ou à s'atténuer beaucoup. Vers l'an 534 le pays des Bourguignons tomba sous le joug des Francs; de l'an 507 à 542, celui des Visigoths subit à peu près le même sort. Au milieu du VI° siècle, la race franque s'était répandue et dominait dans toute la Gaule. Les Visigoths conservaient encore une partie du Languedoc, et disputaient quelques villes au pied des Pyrénées; mais, à vrai dire, sauf la Bretagne, toute la Gaule était, sinon gouvernée, du moins envahie par les Francs.

C'est à cette époque que je voudrais vous la faire connaître; c'est l'état de la Gaule vers la

dernière moitié du VIe siècle, et surtout de la Gaule franque, que j'essaierai de décrire. Toute tentative d'assigner à cette description une date plus précise me paraît vaine et féconde en erreurs. Il y avait sans doute encore à cette époque beaucoup de variété dans l'état des provinces gauloises; mais je n'en puis tenir compte; je me borne à vous en avertir.

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On se fait en général, Messieurs, une idée trèsfausse, à mon avis, de l'invasion des Barbares, de l'étendue et de la rapidité de ses effets. Vous avez sûrement rencontré souvent à ce sujet, dans vos lectures, les mots inondation, tremblement de terre, incendie. Ce sont les termes dont on se sert pour caractériser ce bouleversement. Je les crois trompeurs; ils ne représentent nullement la manière dont l'invasion s'est opérée, ni ses résultats immédiats. L'exagération est naturelle au langage humain les mots expriment l'impression que l'homme reçoit des faits, bien plutôt que les faits mêmes; c'est après avoir passé par l'esprit de l'homme, et selon l'impression qu'ils y ont produite, que les faits sont décrits et nommés. Or, l'impression n'est jamais l'image fidèle et complète du fait. D'abord elle est individuelle et le fait ne l'est point les grands évènemens, l'invasion d'un peuple étranger, par exemple, sont ra

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contés par les hommes qui en ont été personnellement atteints, victimes, acteurs, ou spectateurs; et ils les racontent comme ils les ont vus; ils les caractérisent d'après ce qu'ils en ont connu ou subi: celui qui a vu sa maison ou son village brûlés appellera peut-être l'invasion un incendie; dans la pensée de tel autre, elle aura revêtu la forme d'une inondation, d'un tremblement de tèrre. Ces images sont vraies, mais d'une vérité, si je puis ainsi parler, pleine de prévention et d'égoïsme; elles reproduisent l'impression de quelques hommes; elles ne sont point l'expression du fait dans toute son étendue, ni de la manière dont il a frappé tout le pays.

Telle est d'ailleurs la poésie instinctive de l'esprit humain, qu'il est porté à recevoir des faits, une impression plus vive, plus grande que ne sont les faits mêmes; c'est son penchant de les étendre, de les ennoblir; ils sont pour lui comme une matière qu'il façonne, un thême sur lequel il s'exerce, et dont il tire, ou plutôt où il répand des beautés, des effets qui n'y étaient point. En sorte qu'une cause double et contraire remplit le langage d'illusion: sous un point de vue matériel, les faits sont plus grands que l'homme, et il n'en connaît, il n'en décrit que ce qui le frappe personnellement; sous un point

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