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tout est grossier, confus. Voici cependant deux points sur lesquels je crois devoir insister.

les

1° Au début de la civilisation moderne, les Germains y ont influé beaucoup moins par institutions qu'ils ont apportées de Germanie, que par leur situation même au milieu du monde romain. Ils l'avaient conquis: ils étaient, sur les points du moins où ils s'établissaient, maîtres de la population et des terres. La société qui s'est formée après cette conquête a eu son origine, bien plutôt dans cette situation, dans la vie nouvelle des conquérans, dans leurs rapports avec les vaincus, que dans les anciennes coutumes germaniques.

2o Ce que les Germains ont surtout apporté dans le monde romain, c'est l'esprit de liberté individuelle, le besoin, la passion de l'indépendance, de l'individualité. Aucune puissance publique, aucune puissance religieuse n'existait, à vrai dire, dans l'ancienne Germanie : la seule puissance réelle de cette société, ce qui y était fort et actif, c'était la volonté de l'homme; chacun. faisait ce qu'il voulait, à ses risques et périls. Le régime de la force, c'est-à-dire de la liberté personnelle, c'était là le fond de l'état social des Germains; c'est par là qu'ils ont puissamment agi sur le monde moderne. Les expressions trèsgénérales sont toujours si près de l'inexactitude que je n'aime guère à les hasarder. Cependant, s'il fallait absolument exprimer en quelques mots les caractères dominans des élémens divers de

notre civilisation, je dirais que l'esprit de légalité, d'association régulière, nous est venu du monde romain, des municipalités et des lois romaines. C'est au christianisme, à la société religieuse, que nous devons l'esprit de moralité, le sentiment et l'empire d'une règle, d'une loi morale, des devoirs mutuels des hommes. Les Germains nous ont donné l'esprit de liberté, de la liberté telle que nous la concevons et la connaissons aujourd'hui, comme le droit et le bien de chaque individu, maître de lui-même et de ses actions, et de son sort, tant qu'il ne nuit à aucun autre. Fait immense, Messieurs, car il était étranger à toutes les civilisations antérieures : dans les républiques anciennes, la puissance publique disposait de tout; l'individu était sacrifié au citoyen. Dans les sociétés où dominait le principe religieux, le croyant appartenait à son Dieu, non à lui-même. Ainsi l'homme avait toujours été absorbé dans l'Église ou dans l'État. Dans notre Europe seule, il a vécu, il s'est développé pour son compte, à sa guise, chargé sans doute, disons mieux, de plus en plus chargé de travaux et de devoirs, mais trouvant en lui-même son but et son droit. C'est aux moeurs germaines que remonte ce caractère distinctif de notre civilisation. L'idée fondamentale de la liberté, dans l'Europe moderne, lui vient de ses conquérans.

HUITIÈME LEÇON.

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Objet de la leçon. - Description de l'état de la Gaule dans la dernière moitié du VIe siècle. Véritable caractère des invasions germaniques.-Cause d'erreur à ce sujet. Dissolution de la société romaine: 1° dans les campagnes; 2° dans les villes, quoique à un moindre degré. Dissolution de la société germaine : 1o de la peuplade ou tribu; 2o de la bande guerrière. - Élémens du nouvel état social.- - 1o De la royauté naissante; 2° de la féodalité naissante; -3° de l'église après l'invasion. —Résumé.

MESSIEURS,

Nous sommes en possession des deux élémens primitifs et fondamentaux de la civilisation française; nous avons étudié, d'une part, la société romaine, de l'autre, la société germaine, cha8. HIST. MOD., 1829.

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cune en soi et avant leur rapprochement. Essayons de reconnaître ce qui est arrivé au moment où elles se sont touchées et confondues, c'est-à-dire de décrire l'état de la Gaule après la grande invasion et l'établissement des Ger

mains.

Je voudrais assigner, à cette description, une date un peu précise, et vous dire d'avance à quel siècle, à quel territoire elle convient spécialement. La difficulté est grande. Telle était, à cette époque, la confusion des choses et des esprits que la plupart des faits nous ont été transmis pêle-mêle et sans date; à plus forte raison, les faits généraux, ceux qui se rapportent aux institutions, aux relations des différentes classes, à l'état social, en un mot, et qui, par leur nature, sont les moins apparens, les moins précis. Ils sont omis ou étrangement brouillés dans les monumens contemporains; il faut, à chaque pas, en deviner et en rétablir la chronologie. Heureusement, l'exactitude de cette chronologie importe moins à l'époque qui nous occupe qu'à toute autre. Sans doute, du VI au VIIIe siècle, l'état de la Gaule a changé; les rapports des hommes, les institutions, les moeurs ont été modifiés; moins cependant qu'on ne pourrait être tenté de le croire. Le chaos était extrême, et le

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chaos est essentiellement stationnaire. Quand toutes choses sont à ce point désordonnées, confondues, il faut beaucoup de temps pour qu'elles se démêlent, se redressent, pour que chacun des élémens de la société revienne à sa place, rentre dans sa route, se remette en quelque sorte sous la direction et l'impulsion du principe spécial qui doit présider à son développement. Après l'établissement des barbares sur le sol romain, les évènemens et les hommes ont tourné long-temps dans le même cercle, en proie à un mouvement plus violent que progressif. Du VI au VIIIe siècle, l'état de la Gaule a donc moins changé, et la rigoureuse chronologie des faits généraux a moins d'importance que la longueur de l'intervalle ne le ferait présumer. Tâchons cependant de déterminer, dans certaines limites, l'époque dont nous avons à tracer le tableau.

Les trois peuples germaniques qui ont occupé la Gaule sont les Bourguignons, les Visigoths et les Francs. Beaucoup d'autres peuples, beaucoup de bandes particulières, des Vandales, des Alains, des Suèves, des Saxons, etc., se promenèrent sur son territoire; mais les uns ne firent que le traverser, les autres y furent promptement absorbés, et ces petites incursions partielles sont sans importance historique. Les Bour

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