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de plus en plus adonnée à la vie agricole et sédentaire; nous, au contraire, nous avons été naturellement conduits à considérer principalement la portion qui a mené la vie errante, et s'est emparée de l'Europe Occidentale. Comme les savans allemands, nous parlons des Francs, des Saxons, des Suèves, mais non pas des mêmes Sueves, des mêmes Saxons, des mêmes Francs; nos recherches, nos paroles portent presque toujours sur ceux qui ont passé le Rhin, et c'est à l'état de bandes errantes que nous les voyons apparaître en Gaule, en Espagne, dans la Grande-Bretagne, etc.; les assertions des Allemands ont pour principal objet les Saxons, les Suèves, les Francs restés en Germanie; et c'est à l'état de peuples conquérans, il est vrai, mais fixés, ou à peu près, dans certaines parties da territoire, et commençant à mener la vie de propriétaires, que les montrent presque tous les anciens monumens de l'histoire locale. L'erreur de ces savans est, si je ne m'abuse, de reporter trop loin l'autorité de ces monumens, tous fort postérieurs au IV° siècle, et d'attribuer à la vie sédentaire et à la fixité de l'état social en Germanie une date trop reculée: mais l'erreur est beaucoup plus naturelle et moins grande qu'elle ne le serait de notre part.

Quant aux anciennes institutions germaines, j'en parlerai avec détail quand nous traiterons: spécialement des lois barbares et surtout de la loi Salique je me bornerai aujourd'hui à caractériser en quelques mots leur état à l'époque qui nous occupe. On aperçoit dès-lors, parmi les Germains, le germe des trois grands systèmes d'institutions qui, depuis la chute du monde romain, se sont disputé l'Europe: on y trouve : 1° des assemblées d'hommes libres où sont débattus les intérêts communs, les entreprises publiques, toutes les affaires importantes de la nation; 2o des rois, les uns à titre héréditaire, et quelquefois investis d'un caractère religieux; les autres à titre électif, et portant surtout un caractère guerrier; 3° enfin le patronage aristocratique, soit du chef de guerre sur ses compagnons, soit du propriétaire sur sa famille et ses colons. Ces trois systèmes, ces trois modes d'organisation sociale et de gouvernement se laissent entrevoir chez presque toutes les tribus germaines avant l'invasion; mais aucun n'est réel, efficace; il n'y a, à proprement parler, point d'institutions libres, ni monarchiques, ni aristocratiques, mais seulement le principe auquel elles se rapportent, le germe d'où elles peuvent sortir. Toutes choses sont livrées au caprice des volon

tés individuelles. Toutes les fois que l'assemblée de la nation, ou le roi, ou le patron veut se faire obéir, il faut que l'individu y consente, ou que la force désordonnée, brutale, l'y contraigne; c'est le libre développement et la lutte des existences et des libertés individuelles; il n'y a point de puissance publique, point de gouvernement, point d'État.

Quant à la condition morale des Germains, à cette époque, il est extrêmement difficile de l'apprécier c'est un texte de déclamations à l'honneur ou à la charge de la civilisation ou de la vie sauvage, de l'indépendance primitive ou de la société développée, de la simplicité naturelle ou des lumières; mais nous manquons de documens pour apprécier ces généralités à leur juste valeur. Il existe cependant un grand recueil de faits, postérieur, il est vrai, à l'époque dont nous parlons, mais qui en est encore l'image assez fidèle; c'est l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours, à coup sûr l'ouvrage qui fournit le plus de renseignemens, et jette le plus de lumières sur l'état moral des barbares; non que le chroniqueur se soit proposé de nous en instruire; mais il raconte une foule d'anecdotes particulières, d'incidens de la vie privée, où les moeurs, les relations domestiques, les disposi

tions individuelles, l'état moral, en un mot, des hommes, se révèlent mieux que partout ailleurs. C'est là qu'on peut contempler et comprendre ce singulier mélange de violence et de ruse, d'imprévoyance et de calcul, de patience et d'emportement; cet égoïsme de l'intérêt et de la passion mêlé à l'empire indestructible de certaines idées de devoir, de certains sentimens désintéressés; enfin ce chaos de notre nature morale, qui constitue la barbarie; état très-difficile à décrire avec précision, car aucun trait général et fixe ne s'y laisse saisir; aucun principe n'y règne; on n'en peut rien affirmer qu'on ne soit à l'instant obligé d'affirmer le contraire; c'est l'humanité forte et active, mais abandonnée à l'impulsion de ses penchans, à la mobilité de ses fantaisies, à la grossière imperfection de ses con naissances, à l'incohérence de ses idées, à l'infinie variété des situations et des accidens de la vie. Comment pénétrer dans un tel état et en reproduire l'image, à l'aide de quelques chroniques sèches ou mutilées, de quelques fragmens de vieux poèmes, de quelques paragraphes de lois? Je ne connais qu'un moyen, Messieurs, de parvenir à se représenter, avec quelque vérité, l'état social et moral des peuplades germaniques; c'est de les comparer aux peuplades qui, dans

les temps modernes, sur différens points du globe, dans l'Amérique septentrionale, dans l'intérieur de l'Afrique, dans l'Asie du nord, en Arabie, sont encore à un degré de civilisation à peu près pareil, et mènent à peu près la même vie. Celles-ci ont été observées de plus près et décrites avec plus de détail; elles le sont encore tous les jours; nous avons mille moyens de contrôler, de compléter nos idées sur leur compte; notre imagination est continuellement émue et redressée par les récits des voyageurs. En appliquant à ces récits une critique attentive, en tenant compte d'un assez grand nombre de circonstances différentes, ils deviennent pour nous comme un miroir devant lequel se relève et où se reproduit l'image des anciens Germains. J'ai entrepris un travail de ce genre; j'ai suivi pas à pas l'ouvrage de Tacite, en recherchant dans les voyages, les histoires, les poésies nationales, dans tous les documens que nous possédons sur les peuplades, barbares des diverses parties du monde, les faits analogues à ceux qu'il décrit. Je vais mettre sous vos yeux les principaux traits de ce rapprochement, et vous serez étonnés de la ressemblance des moeurs des Germains et de celles des Barbares plus modernes; ressenblance qui s'étend quelquefois jusqu'à des dé

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