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triotisme scientifique je n'y aurais même pas touché si elles n'étaient la conséquence, et pour ainsi dire l'excroissance d'un système soutenu par des hommes très-distingués, et qui fausse, à mon avis, l'idée historique et poétique qu'ils se forment des anciens Germains. A considérer les choses en gros et sur la simple apparence, l'erreur me semble évidente.

Comment soutenir, par exemple, que la société germaine était à peu près fixe, et que la vie agricole y dominait, en présence du fait même des migrations, des invasions, de ce mouvement continuel qui poussait les peuplades germaniques hors de leur territoire? Comment croire à l'empire de la propriété foncière et des idées ou des institutions qui s'y rattachent, sur des hommes qui abandonnent sans cesse le sol pour aller chercher fortune ailleurs? Et remarquez que ce n'était pas seulement sur les frontières que s'accomplissait ce mouvement; la même fluctuation régnait dans l'intérieur de la Germanie; les tribus s'expulsaient, se déplaçaient, se succédaient sans cesse : quelques paragraphes de Tacite le prouvent surabondamment:

Les Bataves, dit-il, étaient jadis une tribu des Cattes; les troubles civils les forcèrent à se retirer dans les îles

du Rhin, où ils font partie de l'empire romain. (Tacite, de mor. germ. c. 29.)

Près des Tenctères se trouvaient autrefois les Bructères; on dit maintenant que les Chamaves et les Angrivariens ont passé dans ce pays, après avoir, de concert avec les nations voisines, chassé ou détruit entièrement les Bructères. (Ibid. c. 33. )

Les Marcomans sont les premiers en gloire et en puissance; leur pays même est le prix de leur bravoure; ils en out chassé autrefois les Boïens. (Ibid. c. 42.)

En temps de paix même, les guerriers Cattes ne prennent point un visage plus doux; aucun n'a de maison, ni de champs, ni de soins d'aucune espèce; ils vivent où ils se trouvent, prodigues du bien d'autrui... jusqu'à ce que la faiblesse de l'âge les mette hors d'état de soutenir une vertu si rude. (Ibid. c. 31.)

C'est l'honneur des cités (des tribus) d'avoir des frontières dévastées et d'être entourées d'immenses déserts. Ils regardent comme la meilleure preuve de leur valeur, que leurs voisins abandonnent leurs terres, et que nul n'ose s'arrêter près d'eux; d'ailleurs ils se croient ainsi plus en sûreté, car ils n'ont à redouter aucune incursion soudaine. (César, de bell. gall. L. 6, c. 23.)

Sans doute, depuis Tacite, les tribus germaines, plusieurs du moins, avaient fait quelques progrès : cependant, à coup sûr, la fluctuation, le déplacement continuel n'avaient pas cessé, puisque l'invasion devenait de jour en jour plus générale et plus pressante,

Voici, si je ne m'abuse, d'où provient en partie la différence qui existe entre le point de vue des Allemands et le nôtre. Il y avait, en effet, au IV siècle, chez plusieurs tribus ou confédérations germaines, entr'autres chez les Francs et les Saxons, un commencement de vie, sédentaire, agricole, et toute la nation n'était pas adonnée à la vie errante. Sa composition n'était pas simple; ce n'était pas une race unique, une seule condition sociale. On y reconnaît trois classes d'hommes: 1° les hommes libres, hommes d'honneur ou nobles, propriétaires; 2o les lidi, liti, lasi, etc., ou colons, hommes attachés au sol, et qui le cultivent pour des maîtres; 3° les esclaves proprement dits. L'existence des deux premières classes indique évidemment une conquête; la classe des hommes libres était la nation des conquérans, qui avaient forcé l'ancienne population à cultiver le sol leur compte. C'est un fait analogue à celui qui, plus tard et sur le territoire de l'empire Romain, enfanta le régime féodal. Ce fait s'était accompli à diverses époques, et sur divers points, dans l'intérieur de la Germanie: tantôt, les propriétaires et les colons, les vainqueurs et les vaincus étaient de races diverses; tantôt, c'était dans le sein de la même race, entre des tribus différentes que l'assujettissement territorial avait eu lieu;

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on voit des peuplades galliques ou belges soumises à des peuplades germaines, des Germains à des Slaves, des Slaves à des Germains, des Germains à des Germains. La conquête s'était passée en général sur une petite échelle, et demeurait exposée à beaucoup de vicissitudes; mais le fait en lui-même ne saurait être contesté; plusieurs passages de Tacite l'expriment positive

ment:

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« Ils ont, dit-il, une certaine espèce d'esclaves, dont » ils ne se servent pas comme nous, en leur assignanț >> certains emplois dans l'intérieur de la maison : chacun » a sa maison, ses Pénates..... Le maître exige de l'es» clave, commé d'un colon, une certaine quantité de blé, » de bétail ou de vêtemens..... Frapper un esclave, le charger de fers, est chez eux une chose rare; ils les tuent quelquefois, non par une suite de leur sévérité ou de la » discipline, mais par violence et de premier mouvement, >> comme ils tueraient un ennemi, » ( C. 25).

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»

Qui ne reconnaît, à cette description, d'anciens habitans du territoire, tombés sous le joug de conquérans?'

Les conquérans, dans les premiers temps du moins, ne cultivaient pas : ils jouissaient de la conquête, tantôt livrés à une paresse profonde,

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tantôt tourmentés de la passion de la guerre, des courses, des aventures. Quelque expédition lointaine venait-elle à les tenter? Tous n'en avaient pas la même envie; ils ne partaient pas tous; une bande s'éloignait sous la conduite de quelque chef fameux; d'autres restaient, préférant garder leurs premières conquêtes et continuer à vivre du travail des anciens habitans. La bande aventurière revenait quelquefois chargée de butin, quelquefois poursuivait sa course et allait au loin conquérir quelque province de l'empire, fonder peut-être quelque royaume. Ainsi se dispersèrent les Vandales, les Suèves, les Francs, les Saxons : ainsi on voit ces peuples parcourir la Gaule, l'Espagne, l'Afrique, la Grande-Bretagne, s'y établir, commencer des États, tan

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que les mêmes noms se rencontrent toujours en Germanie où vivent et s'agitent encore en effet les mêmes peuples. Ils se sont morcelés: une partie s'est jetée dans la vie errante; une autre s'est attachée à la vie sédentaire, n'attendant peut-être que l'occasion ou la tentation de partir

à son tour.

De là, Messieurs, la différence du point de vue des écrivains allemands et du nôtre; ils connaissent surtout cette portion des peuplades germaniques qui est restée sur le sol, et s'y est

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