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l'ame des animaux, quoiqu'elle retienne l'image des lieux, n'a pas la connaissance de son être propre, ils demeurent bornés au souvenir des objets corporels qu'ils ont connus par les sens du corps; et privés de l'œil de l'esprit, ils ne sauraient voir, non seulement ce qui est au-dessus d'eux, mais eux-mêmes. 1

V.

On nous adresse un syllogisme formidable et qu'on croit insoluble l'âme, nous dit-on, est où elle est, et n'est pas où elle n'est pas. On espère nous faire dire soit qu'elle est partout, soit qu'elle n'est nulle part: car alors, penset-on, si elle était partout, elle serait Dieu; si elle n'était nulle part, elle ne serait pas. L'âme n'est point tout entière dans le monde entier; mais de même que Dieu est tout entier dans tout l'univers, de même l'âme est tout entière dans tout le corps. Dieu ne remplit point, de la plus petite partie de lui-même, la plus petite partie du monde, et de la plus grande, la plus grande; il est tout entier dans chaque partie, et tout entier dans le tout; 'de même l'âme ne réside point, par parties, dans les diverses parties du corps; ce n'est point une partie de l'âme qui sent par l'œil et une autre qui anime le doigt : l'âme tout entière vit dans l'œil et voit par l'œil; l'âme tout entière anime le doigt et sent par le doigt. '

VI.

L'âme qui sent dans le corps, quoiqu'elle sente par des organes visibles, sent invisiblement. Autre chose est l'œil, autre chose la vue; autre chose sont les oreilles, autre chose l'ouïe; autre chose les narines, autre l'odorat, autre

1 Liv. 1, chap. 21, pag. 65. Liv. 3, chap. 2, pag. 164.

chose l'ouïe; autre chose les narines, autre l'odorat; autre chose la bouche, autre le goût; autre chose la main, autre le tact. Nous distinguons par le tact ce qui est chaud ou froid, mais nous ne touchons pas la sensation du tact, et elle n'est ni chaude, ni froide. Autre est l'organe par lequel nous sentons, et la sensation que nous sentons.'

A coup sûr, Messieurs, ni l'élévation, ni la profondeur ne manquent à ces idées; elles feraient honneur à tous les philosophes de tous les temps; et rarement la nature propre de l'âme, et son unité, ont été vues de plus près, et décrites avec plus de précision. Je pourrais citer beaucoup d'autres passages remarquables soit par la finesse des aperçus, soit par l'énergie de la discussion, quelquefois même par une profonde émotion morale et une véritable éloquence.

Eh bien! voici deux paragraphes qui sont du même homme, du même temps, dans le même livre. Mamert Claudien répond à l'argument de Fauste, qui veut que l'âme soit formée de l'air: il raisonne dans l'ancienne théorie, qui considé rait l'air, le feu, la terre et l'eau comme les élémens essentiels de la nature:

quatre

Le feu, dit-il, est évidemment un élément supérieur à l'air, tant par la place qu'il occupe que par sa puissance. C'est

Liv. 1, chap. 6, pag. 31.

ce que prouve le mouvement du feu terrestre qui, avec une rapidité presque incompréhensible, et par son élan naturel, remonte vers le ciel comme vers sa patrie. Si cette preuve ne suffisait pas, en voici une autre: l'air's'éclaire par la présence du soleil, c'est-à-dire du feu, et tombe dans les ténèbres par son absence. Et ce qui est une raison encore plus puissante, c'est que l'air subit l'action du feu et se réchauffe, tandis que le feu ne subit point l'action de l'air, et n'en est point refroidi. L'air peut être enfermé et retenu dans des vases; le feu, jamais. La prééminence du feu est donc clairement incontestable. Or, c'est du feu (de sa lumière) que nous vient la faculté de la vue, faculté commune à l'homme et aux animaux, et dans laquelle même certains animaux irraisonnables surpassent l'homme en énergie et en finesse. Si donc, comme on ne peut le nier, la vue vient du feu, et si l'âme, comme tu le penses, est faite de l'air, il s'ensuit que l'œil de l'animal est, quant à sa substance, supérieur en dignité à l'âme de l'homme.

Cette confusion savante des faits matériels et des faits intellectuels, cette tentative d'établir je ne sais quelle hiérarchie de mérite et de rang entre les élémens, pour en déduire des conséquences philosophiques, ne rappellent-elles pas

l'enfance de la science et des méditations de l'esprit humain?

Voici en faveur de l'immatérialité de l'âme un autre argument qui ne vaut pas mieux, quoique moins bizarre en apparence:

1 Liv. 1, chap. 9, p. 38.

Tout être incorporel est supérieur, en dignité de nature', à un être corporel; tout être non resserré dans un certain espace à un être localisé; tout être indivisible à un être divisible. Or, si le créateur souverainement puissant et souverainement bon n'a pas créé, comme il devait le faire, une substance supérieure au corps et semblable à lui, c'est qu'il n'a pas voulu ou qu'il n'a pas pu. S'il a voulu et n'a pas pu, la toute-puissance lui a manqué; s'il a pu et n'a pas voulu (pensée qui, à elle seule, est un crime), ce ne peut être que par jalousie. Or, il ne se peut que la souveraine puissance ne puisse pas, ni que la souveraine bonté soit jalouse. Donc il a pu et voulu créer l'être incorporel; donc il l'a créé.'

Avais-je tort tout à l'heure, Messieurs, en vous parlant de ces étranges rapprochemens, de ce mélange de hautes vérités et d'erreurs grossières, de vues admirables et de conceptions ridicules, qui caractérise les écrits de cette époque? Encore celui de Mamert Claudien est-il un de ceux où de tels contrastes sont le plus

rares.

Vous en connaissez maintenant assez pour en apprécier le caractère : pris dans son ensemble, c'est un ouvrage plus philosophique que théológique, et dans lequel cependant le principe religieux domine. Je dis que le principe religieux y domine, car l'idée de Dieu est le point de départ de

1 Liv. 1, ch. 5, p. 26.

toute la discussion : l'auteur ne commence point par observer et décrire les faits humains, spéciaux, actuels, pour remonter progressivement à la Divinité: Dieu est pour lui le fait primitif, universel, évident, la donnée fondamentale à laquelle se rapportent et doivent se coordonner toutes choses: il descend toujours de Dieu à l'homme, et de la nature divine déduit la nôtre. C'est bien évidemment à la religion, non à la science, qu'il emprunte cette méthode. Mais, ce point cardinal une fois établi, ce procédé logique une fois convenu, c'est dans la philosophie qu'il puise, en général, et ses idées et sa façon de les exposer; son langage est celui de l'école, non de l'Église; il en appelle à la raison, non à la foi; on sent en lui, tantôt l'académicien, tantôt le stoicien, plus souvent le platonicien, mais toujours le philosophe, nullement le prêtre, quoique le chrétien ne disparaisse jamais.

Ainsi éclate, Messieurs, le fait que j'ai indiqué en commençant, la fusion de la philosophie païenne et de la théologie chrétienne, la métamorphose, de l'une dans l'autre. Et il y a ceci de remarquable que l'argumentation destinée à établir la spiritualité de l'âme vient évidemment de l'ancienne philosophie plus que du christianisme, et que l'auteur semble surtout s'ap

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