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exerçait, dans l'Église gauloise, une grande influence; né Breton, comme Pélage, il était venu, on ne sait pourquoi, dans le midi de la Gaule; il se fit moine dans l'abbaye de Lérins, et en 433 il en devint abbé. Il y institua une grande école, où il recevait les enfans des parens riches, et les faisait élever, leur enseignant toutes les sciences du temps. Il s'entretenait souvent, avec ses moines, de questions philosophiques, et était remarquable, à ce qu'il paraît, par son talent d'improvisation. Vers 462 il devint évêque de Riez. Je vous ai parlé de la part qu'il prit à l'hérésie semi-pélagienne, et de son livre contre les prédestinatiens. C'était un esprit actif, indépendant, un peu brouillon, et toujours empressé à se mêler de toutes les querelles qui s'élevaient. On ne sait quelle circonstance appela son attention sur la nature de l'âme il en traite à la fin d'une longue lettre philosophique, adressée à un évêque, et où plusieurs autres questions sont débattues; il se déclare pour la matérialité, et rédige ainsi ses principaux argumens:

1° Autres sont les choses invisibles, autres les choses incorporelles.

2° Tout ce qui est créé est matière, saisissable par le créateur, et corporel.

3° L'âme occupe un lieu : 1° Elle est enfermée dans un

corps; 2° elle n'est point partout où se porte sa pensée; 3o elle n'est du moins que là où se porte sa pensée; 4° elle est distincte de ses pensées qui varient et passent tandis qu'elle est permanente et identique; 5° elle sort du corps à la mort et y rentre par la résurrection; témoin, Lazare; 6° la distinction de l'Enfer et du Paradis, des peines et des récompenses éternelles, prouve que, même après la mort, les âmes occupent un lieu et sont corporelles.

4° Dieu seul est incorporel, parce qu'il est insaisissable et partout répandu '.

Ces propositions, présentées d'une manière ferme et précise, sont du reste très-peu développées; et quand l'auteur entre dans quelques détails, il les emprunte en général à la théologie, aux récits et à l'autorité des livres saints.

La lettre de Fauste circula sans porter son nom et fit quelque bruit. Mamert Claudien, frère de saint Mamert, évêque de Vienne, et prêtre lui-même dans cette église, lui répondit par son traité de natura anima, ouvrage bien plus considérable que celui qu'il réfute. Mamert Claudien était, à cette époque, le philosophe le plus savant et le plus considéré de la Gaule mé

Je me suis servi du texte de la lettre de Fauste, insérée dans l'édition du traité de natura animæ, de Mamert Claudien, publié avec les notes d'André Schott et de Gaspartd Barth, à Zuickaw en 1655.

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ridionale pour vous donner la mesure de sa réputation, je vous lirai une lettre de Sidoine Apollinaire, écrite, peu après la mort du philosophe, à son neveu Pétréius : elle porte le caractère ordinaire des lettres de Sidoine; tout l'effort, toute la puerilité du bel-esprit s'y mêlent à des sentimens vrais et à des faits curieux :

Sidoine à son cher Pétréius', salut 3.

Je suis désolé de la perte que vient de faire notre siècle, par la mort toute récente de ton oncle Claudien, enlevé à nos yeux, qui ne verront plus désormais, je le crains, aucun homme pareil. Il était en effet plein de sagesse et de prudence, docte, éloquent, ingénieux, et le plus spirituel des hommes de son temps, de son pays, de sa nation. Il ne cessa d'être philosophe, sans jamais offenser la religion; et quoiqu'il ne s'amusât point à faire croître ses cheveux ni sa barbe, quoiqu'il se moquât du manteau et du bâton des philosophes, quoiqu'il allât même quelquefois jusqu'à les détester, il ne se séparait cependant que par l'extérieur et la foi de ses amis les Platoniciens. Dieu de bonté! quelle fortune toutes les fois que nous nous rendions auprès de lui pour le consulter! comme tout à coup il se donnait tout entier à tous, sans hésitation et sans dé- · dain, trouvant son plus grand plaisir à ouvrir les trésors

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de sa science, lorsqu'on venait à rencontrer les difficultés de quelque question insoluble! Alors, si nous étions assis en grand nombre autour de lui, il nous imposait à tous le devoir d'écouter, n'accordant qu'à un seul, celui que peutêtre nous eussions choisi nous-mêmes, le droit de parler; puis il nous exposait les richesses de sa doctrine, lentement, successivement, dans un ordre parfait, sans le moindre artifice de geste ni de langage. Dès qu'il avait parlé, nous lui opposions nos objections en syllogismes mais il réfutait toutes les propositions hasardées de chacun; et ainsi rien n'était admis sans avoir été mûrement examiné et démontré. Mais ce qui excitait en nous le plus grand respect, c'est qu'il supportait toujours, sans la moindre hula paresseuse obstination de quelques-uns; c'était, à ses yeux, un tort excusable, et nous admirions sa patience, sans savoir cependant l'imiter. Qui aurait pu craindre de consulter, sur les questions difficiles, un homme qui ne se refusait à aucune discussion, ne repoussait aucune question, pas même de la part de gens idiots et ignorans ? C'en est assez sur ses études et sa science; mais qui pourrait louer dignement et convenablement les autres vertus de cet homme qui, se souvenant toujours des faiblesses de l'humanité, assistait les clercs de son travail, le peuple de ses discours, les affligés de ses exhortations, les délaissés de ses consolations, les prisonniers de son argent, ceux qui avaient faim en leur donnant à manger, ceux qui étaient nus en les couvrant de vêtemens? Il serait, je pense, également superflu d'en dire davantage à ce sujet.......

Voici ce que nous avions voulu dire d'abord en l'honneur de cette cendre ingrate, comme dit Virgile, c'est-àdire, qui ne saurait nous rendre grâces, nous avons com

posé une triste et lamentable complainte, non sans beaucoup de peine, car n'ayant rien dicté depuis long-temps, nous y avons trouvé plus de difficulté toutefois notre esprit, naturellement paresseux, a été ranimé par une douleur qui avait besoin de se répandre en larmes. Voici donc

ces vers:

« Sous ce gazon repose Claudien, l'orgueil et la dou» leur de son frère Mamert, honoré comme une pierre pré>> cieuse de tous les évêques. En ce maître brilla une triple

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science, celle de Rome, celle d'Athènes et celle du Christ; » et dans la vigueur de son âge, simple moine, il l'avait conquise toute entière et en secret. Orateur, dialecticien, poète, savant docteur dans les livres sacrés, géo» mètre et musicien, il excellait à délier les nœuds des questions les plus difficiles, et à frapper du glaive de la parole les sectes qui attaquaient la foi catholique. Ha>> bile à moduler les psaumes et à chanter, en présence » des autels et à la grande reconnaissance de son frère, il > enseigna à faire résonner les instrumens de musique. Il régla, pour les fêtes solennelles de l'année, ce qui de» vait être lu en chaque circonstance. Il fut prêtre du >> second ordre, et soulagea son frère du fardeau de l'épis» copat, car celui-ci en portait les insignes, et lui tout le » travail. Toi donc, ami lecteur, qui t'affliges comme s'il ne restait plus rien d'un tel homme, qui que tu sois, » cesse d'arroser de larmes tes joues et ce marbre; l'âme >> et la gloire ne sauraient être ensevelies dans un tom>> beau. >>

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Voilà les vers que j'ai gravés sur les restes de celui qui fut notre frère à tous......

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