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accordait trop à la liberté humaine et pas assez à l'action de Dieu; l'autre oubliait trop la liberté humaine. Cette espèce de transaction obtint d'abord, dans l'église gauloise, beaucoup de faveur; deux conciles réunis, l'un à Arles en 472, l'autre à Lyon en 473, condamnèrent formellement les prédestinatiens, et chargèrent Fauste de publier un traité qu'il avait écrit contre eux, intitulé: De la grâce et de la liberté de la volonté humaine, en lui ordonnant même d'y ajouter quelques développemens. Mais ce ne fut là,

pour le sémi-pelagianisme, qu'un jour de répit, une lueur de fortune, et il ne tarda pas à retomber dans son discrédit.

De son vivant déjà, saint Augustin avait été accusé de conduire à la doctrine de la prédestination, à la complète abolition du libre arbitre, et s'en était énergiquement défendu. Il se trompait, je crois, comme logicien en niant une conséquence qui semble découler invinciblement de ses idées, d'une part, sur l'impuissance et la corruption de la volonté humaine, de l'autre, sur la nature de l'intervention et de la prescience divine. Mais la supériorité d'esprit de saint Augustin le sauva, en cette occasion, des erreurs où l'eût précipité la logique, et il fut inconséquent précisément à cause de sa haute raison. Per

mettez-moi, Messieurs, d'insister un moment sur ce fait moral qui seul explique les contradictions de tant de beaux génies: j'en prendrai un exemple tout près de nous, et l'un des plus frappans. La plupart d'entre vous, ont lu, à coup sûr, le contrat social de Rousseau: la souveraineté du nombre, de la majorité numérique, est, vous le savez, le principe fondamental de l'ouvrage; et Rousseau en suit long-temps les conséquences avec une inflexible rigueur; un moment arrive cependant où il les abandonne, et les abandonne avec éclat : il veut donner à la société naissante ses lois fondamentales, sa constitution; sa haute intelligence l'avertit qu'une telle œuvre ne peut sortir du suffrage universel, de la majorité numérique, de la multitude : « Il faudrait des dieux, dit-il, pour donner des lois aux hommes.... Ce n'est point magistrature, ce n'est point souveraineté..... C'est une fonction particulière et supérieure, qui n'a rien de commun avec l'empire humain '; » et le voilà qu'il fait intervenir un législateur unique, un sage; violant ainsi son principe de la souveraineté du nombre pour recourir à un principe tout dif

1 Contrat social, liv. II, chap. 7.

férent, à la souveraineté de l'intelligence, au droit de la raison supérieure.

Le contrat social, Messieurs, et presque tous de Rousseau abondent en contra

les ouvrages dictions pareilles, et elles sont peut-être la preuve la plus éclatante du grand esprit de l'au

teur.

Ce fut par une inconséquence de même nature que saint Augustin repoussa hautement la prédestination qu'on lui imputait. D'autres à sa suite, dialecticiens subtils et étroits, poussèrent sans hésiter jusqu'à cette doctrine et s'y établirent: pour lui, dès qu'il l'aperçut, éclairé par son génie, il détourna la vue, et sans rebrousser tout-à-fait chemin, prit son vol dans un autre sens en refusant absolument d'abolir la liberté. L'Église fit comme saint Augustin: elle avait adopté ses doctrines sur la grâce, et condamné à ce titre les pélagiens et les semi-pelagiens; elle condamna pareillement les prédestinatiens, enlevant ainsi à Cassien, à Fauste et à leurs disciples, le prétexte à la faveur duquel ils avaient repris quelque ascendant. Le semi-pelagianisme ne fit plus dès-lors que décliner: saint Césaire, évêque d'Arles, reprit contre lui, au commencement du VI° siècle, la guerre que saint Augustin et saint Prosper lui avaient faite en 529, les conciles d'Orange et

pape

de Valence le condamnèrent en 330, le Boniface II le frappa à son tour d'une sentence d'anathème, et il cessa bientôt, pour long-temps du moins, d'agiter les esprits. Le prédestinatianisme eut le même sort.

Aucune de ces doctrines, Messieurs, n'avait enfanté une secte proprement dite : elles ne s'étaient point séparées de l'Église ni constituées en société religieuse distincte; elles n'avaient point d'organisation, point de culte : c'étaient de pures opinions, débattues entre des hommes d'esprit ; plus ou moins accréditées, plus ou moins contraires à la doctrine officielle de l'Église, mais qui ne la menacèrent jamais d'un schisme. Aussi de leur apparition et des débats qu'elles avaient suscités, il ne resta guères que certaines tendances, certaines dispositions intellectuelles, non des sectes ni des écoles véritables. On rencontre à toutes les époques, dans le cours de la civilisation européenne: 1° des esprits préoccupés surtout de ce qu'il y a d'humain dans notre activité morale, du fait de la liberté, et qui se rattachent ainsi aux pélagiens: 2o des esprits surtout frappés de la puissance de Dieu sur l'homme, de l'intervention divine dans l'activité humaine, et enclins à faire disparaître la liberté humaine sous la main de Dieu; ceux-là tiennent aux 5. HIST. MOD., 1829.

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prédestinatiens: 3° Entre ces deux tendances se place la doctrine.générale de l'Église, qui s'efforce de tenir compte de tous les faits naturels, de la liberté humaine et de l'intervention divine, nie que Dieu fasse tout dans l'homme, que l'homme puisse tout sans le secours de Dieu, et s'établit ainsi, avec plus de raison peut-être que de conséquence scientifique, dans ces régions du bon sens, vraie patrie de l'esprit humain qui y revient toujours après avoir erré de toutes parts (post longos errores).

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