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sait le côté religieux de la doctrine chrétienne, pour en fortifier, si je puis ainsi parler, le côté humain. La liberté est le fait de l'homme; il y apparaît seul. Dans l'insuffisance de la volonté humaine, au contraire, et dans les changemens moraux qu'elle ne s'attribue point, il y a place pour l'intervention divine. Or la puissance réformatrice de l'Église étant essentiellement religieuse, elle n'avait qu'à perdre, sous le point de vue pratique, à une théorie qui mettait en première ligne le fait où la religion n'avait rien à démêler, et laissait dans l'ombre ceux où son empire trouvait occasion de s'exercer.

Enfin St. Augustin était le chef des docteurs de l'Église, appelé, plus qu'aucun autre, à maintenir le système général de ses croyances. Or, les idées de Pélage et de Célestius lui semblaient en contradiction avec quelques-uns des points fondamentaux de la foi chrétienne, surtout avec la doctrine du péché originel et de la rédemption. Il les attaqua donc sous un triple rapport: comme philosophe, parce que leur science de la nature humaine était, à ses yeux, étroite et incomplète; comme réformateur pratique et chargé du gouvernement de l'Église, parce qu'ils affaiblissaient, selon lui, son plus efficace moyen de réforme et de gouvernement; comme logicien,

parce que leurs idées ne cadraient pas exactement avec les conséquences déduites des principes e ssentiels de la foi.

Vous voyez quelle gravité prenait dès lors la querelle: tout s'y trouvait engagé, la philosophie, la politique et la religion, les opinions de saint Augustin et ses affaires, son amour-propre et son devoir. Il s'y livra tout entier, publiant des traités, écrivant des lettres, recueillant tous les renseignemens qui lui arrivaient de toutes parts, prodigue de réfutations, de conseils, et portant dans tous ses écrits, dans toutes ses démarches, ce mélange de passion et de douceur, d'autorité et de sympathie, d'étendue d'esprit et de rigueur logique qui lui donnait un si rare pouvoir.

Pélage et Célestius de leur côté ne demeuraient pas inactifs; ils avaient trouvé en Orient de puissans amis. Si saint Jérôme fulminait contre eux à Bethleem, Jean évêque de Jérusalem, les protégeait avec zèle: il convoqua, à leur occasion, une assemblée des prêtres de son église : l'espagnol Orose, disciple de saint Augustin et qui se trouvait en Palestine, s'y présenta et raconta tout ce qui s'était passé en Afrique, au sujet de Pélage, ainsi que les erreurs dont on l'accusait : sur la recommandation de l'évêque Jean, Pélage fut

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appelé ; on lui demanda s'il enseignait vraiment ce qu'Augustin avait réfuté : « Que m'importe » Augustin? » répondit-il : plusieurs des assistans furent choqués: Augustin était alors le docteur le plus célèbre et le plus respecté de l'Église ; on voulait chasser Pélage et même l'excommunier mais Jean détourna le coup, fit asseoir Pélage, et l'interrogea, disant : « C'est moi qui >> suis ici Augustin; c'est à moi que tu répondras. >> Pélage parlait grec; son accusateur Orose ne parlait que latin; les membres de l'assemblée ne l'entendaient pas; elle se sépara sans rien décider.

»

Peu après, au mois de décembre 415, un concile se tint, en Palestine, à Diospolis, l'ancienne Lydda, composé de quatorze évêques, et sous la présidence d'Euloge évêque de Césarée. Deux évêques gaulois, bannis de leurs siéges, Héros, évêque d'Arles, et Lazare, évêque d'Aix, lui avaient adressé contre Pélage une nouvelle accusation. Ils ne se rendirent pas au concile, alléguant une maladie, et probablement informés qu'il leur était peu favorable. Pélage y parut toujours protégé par l'évêque de Jérusalem: on l'interrogea sur ses opinions; il les expliqua, les modifia, adopta tout ce que le concile lui présenta comme la vraie doctrine de l'Église,

raconta ce qu'il avait déjà souffert, fit valoir ses relations avec plusieurs saints évêques, avec Augustin lui-même qui, deux ans auparavant, lui avait écrit une lettre destinée à contester quelques-unes de ses idées, mais pleine de bienveillance et de douceur. L'accusation d'Héros et de Lazare fut lue, mais toujours en latin et par l'entremise d'un interprète. Le concile se déclara satisfait; Pelage fut absous et reconnu orthodoxe.

Le bruit de cette décision arriva bientôt en Afrique; vous savez quelle activité régnait à cette époque dans l'Église, et avec quelle rapidité les évènemens, les nouvelles, les écrits circulaient d'Asie en Afrique, d'Afrique en Europe, de cité en cité. Dès que saint Augustin fut informé des résultats du concile de Diospolis, et quoiqu'il n'en connût pas encore les actes, il mit tout en mouvement pour en combattre l'effet. Vers le même temps survint en Palestine un incident qui donna à la cause de Pélage une mauvaise couleur. Il était resté à Jérusalem, et y professait ses idées avec plus d'assurance. Une violente émeute éclata à Bethleem contre saint Jérôme et les monastères

*

qui s'y étaient formés auprès de lui de graves excès furent commis, des maisons pillées, brûlées, un diacre tué, et Jérôme fut obligé de se

réfugier dans une tour. Les pelagiens, dit-on, étaient les auteurs de ces désordres: rien ne le prouve, et je suis un peu enclin à en douter; cependant il y avait lieu de le soupçonner; on le crut en général; une grande clameur s'éleva, saint Jérôme en écrivit à l'évêque de Rome, Innocent I, et le pélagianisme en fut gravement compromis.

Deux conciles solennels siégeaient cette année, (en 416) en Afrique, à Carthage et à Milève; soixante-buit évêques assistaient à l'un; soixanteun à l'autre. Pélage et sa doctrine y furent formellement condamnés; les deux assemblées informèrent le pape de leur décision, et saint Augustin lui écrivit en particulier, avec quatre autres évêques, lui donnant sur toute l'affaire plus de détails et l'engageant à l'examiner luimême pour proclamer la vérité et anathematiser l'erreur.

Le 27 janvier 417, Innocent répond aux deux conciles, aux cinq évêques, et condamne les doctrines des pélagiens.

Ils ne se tinrent pas pour battus: deux mois après, Innocent était mort; Zosime lui avait succédé; Célestius retourna à Rome; il obtint du nouveau pape un nouvel examen; il y expliqua ses opinions probablement comme l'avait fait

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