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fique mais ils possédaient un pouvoir officiel; ils étaient appelés à gouverner les hommes, à régler leurs actions, à agir sur leur volonté de là une nécessité pratique, politique, qui pesait sur la pensée du philosophe et la courbait en un certain sens. Ce n'est pas tout; philosophes et politiques, ils étaient en même temps tenus de se réduire aux fonctions de purs logiciens, de se conformer en toute occasion aux conséquences de certains principes, de certaines doctrines immuables. Ils jouaient donc en quelque sorte trois rôles, ils portaient trois jougs; ils avaient à consulter tout ensemble la nature des choses, la nécessité pratique, et la logique; et toutes les fois qu'une question nouvelle apparaissait, toutes les fois qu'ils étaient appelés à prendre connaissance de faits moraux auxquels ils n'avaient pas encore prêté grande attention, il fallait penser et agir sous ce triple caractère, suffire à cette triple mission.

Telle n'était pas, Messieurs, dans la société religieuse, la situation de tous les chrétiens : tous ne se regardaient pas comme appelés, d'une part, gouverner moralement l'Église, de l'autre, à poursuivre dans toutes ses conséquences le système de ses doctrines. Il ne pouvait manquer de s'élever parmi eux des hommes

qui se permissent d'observer et de décrire tels ou tels faits moraux en eux-mêmes, sans se préoccuper beaucoup de leur influence pratique ou de leur place et de leur enchaînement dans un système général; esprits bien moins étendus, bien moins puissans que les chefs de l'Église, mais plus libres dans un champ plus étroit, et qui, en s'imposant une tâche moins difficile, pouvaient arriver, sur certains points, à une science plus précise. Ainsi devaient naître les hérésiarques.

Ainsi naquit le pélagianisme. Nous voilà, si je ne m'abuse, au courant des grandes circonstances préliminaires et en quelque sorte extérieures qui ont dû influer sur sa destinée : nous connaissons 1° les principaux faits naturels sur lesquels a porté la querelle; 2° les questions qui découlent naturellement de ces faits; 3° le point de vue spécial sous lequel les faits et les questions devaient être considérés au V° siècle, soit par les chefs de la société religieuse, soit par les esprits actifs et curieux qui s'élevaient isolément dans son sein. Nous pouvons maintenant aborder l'histoire même de la controverse pelagienne; nous tenons le fil qui peut nous y conduire, le flambeau qui doit l'éclairer.

C'est dans les premières années du V• siècle

que

la controverse s'est élevée avec éclat : non que le libre arbitre et l'action de Dieu sur l'âme humaine n'eussent pas encore occupé les chrétiens; les Lettres de saint Paul et bien d'autres monumens attestent le contraire; mais on avait accepté ou méconnu les faits presque sans débat. Vers la fin du IVe siècle, on commençait à les scruter plus curieusement, et quelques-uns des chefs de l'Église en concevaient déjà quelque inquiétude Il ne faut pas, disait alors saint Augustin lui-même, parler beaucoup de la » grâce aux hommes qui ne sont pas encore » chrétiens ou des chrétiens bien affermis; c'est >> une question épineuse et qui peut troubler la >> foi. »>

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Vers l'an 405, un moine breton, Pélage (c'est le nom que lui donnent les écrivains latins et grecs; il paraît que son nom national était Morgan), se trouvait à Rome. On a beaucoup discuté son origine, son caractère moral, son esprit, sa science; et on lui a dit, sous ces divers rapports, beaucoup d'injures; elles ne paraissent pas fondées; à en juger par les principaux témoi gnages, et par celui de saint Augustin lui-même, Pélage était un homme bien né, instruit, de moeurs graves et pures. Il vivait donc à Rome, déjà arrivé à un certain age; et sans donner aucun

enseignement précis, sans écrire de livre, il commença à parler beaucoup du libre arbitre, à insister sur ce fait moral, à le mettre en lumière. Rien n'indique qu'il attaquât personne et recherchât la controverse; il paraissait croire seulément qu'on ne tenait pas assez de compte de la liberté humaine, qu'on ne lui faisait pas, dans les doctrines religieuses du temps, une assez large part.

Ces idées n'excitèrent à Rome aucun trouble, presque aucun débat. Pélage parlait librement; on l'écoutait sans bruit. Il avait pour principal disciple Célestius, moine comme lui, on le croit du moins, mais plus jeune, plus confiant, d'un esprit plus hardi et plus décidé à pousser jusqu'au bout les conséquences de ses opinions.

En 411, Pelage et Célestius ne sont plus à Rome; on les trouve en Afrique, à Hippone et à Carthage. Dans cette dernière ville, Célestius expose ses idées: une controverse s'engage aussitôt entre lui et le diacre Paulin qui l'accuse d'hérésie auprès de l'évêque. En 412, un concile se rassemble; Célestius y comparait et se défend avec vigueur; il est excommunié, et, après avoir vainement essayé d'un appel à l'évêque de Rome, il passe en Asie où Pélage, à ce qu'il semble, l'avait précédé.

Leurs doctrines se répandaient; elles trouvaient dans les îles de la Méditerranée, entre autres en Sicile et à Rhodes, un accueil favorable; on envoya à saint Augustin un petit écrit de Célestius, intitulé Definitiones, et que beaucoup de gens s'empressaient de lire. Un gaulois, Hilaire, lui en écrivit avec une vive inquiétude. L'évêque d'Hippone commença à s'alarmer : il voyait, dans les idées nouvelles, plus d'une erreur et plus d'un péril.

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Et d'abord, entre les faits relatifs à l'activité morale de l'homme, celui du libre arbitre était presque le seul dont Pélage et Célestius parussent occupés: saint Augustin y croyait comme eux, et l'avait proclamé plus d'une fois; mais d'autres faits devaient, à son avis, prendre place à côté de celui-là; par exemple, l'insuffisance de la volonté humaine, la nécessité d'un secours extérieur, et les changemens moraux qui surviennent dans l'âme sans qu'elle puisse se les attribuer. Pélage et Célestius semblaient n'en tenir aucun compte: première cause de lutte entre eux et l'évêque d'Hippone, dont l'esprit plus vaste considérait la nature morale sous un plus grand nombre d'aspects.

Pélage, d'ailleurs, par l'importance presque exclusive qu'il donnait au libre arbitre, affaiblis

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