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Ainsi sur les motifs et sur les conséquences de l'acte libre, l'influence des circonstances indépendantes de la volonté est immense; mais c'est là le champ où elle s'exerce; le fait intérieur placé entre la délibération et l'action extérieure, le fait de la liberté reste le même, et s'accomplit pareillement au milieu des élémens les plus divers.

J'arrive au quatrième et dernier des grands faits moraux qu'il est indispensable de bien connaître pour comprendre l'histoire du pélagianisme. J'en pourrais énumérer beaucoup d'autres; mais ils sont de moindre importance; ils découlent évidemment de ceux que je mets ici en lumière, et je n'ai pas le temps de m'y arrêter.

Certains changemens, certains évènemens moraux s'accomplissent et se déclarent dans l'homme sans qu'il en rapporte l'origine à un acte de sa volonté, sans qu'il s'en reconnaisse l'auteur.

Au premier aspect, l'assertion étonne peutêtre quelques personnes permettez-moi, Messieurs, de l'éclaircir d'avance par l'exemple de faits analogues, mais plus fréquens, qui ont lieu dans le domaine de l'intelligence, et sont plus. faciles à saisir.

Il n'y a personne à qui il ne soit arrivé de chércher laborieusement quelque idée, quelque souvenir, de s'endormir au milieu de cette recherche

sans y avoir réussi, et le lendemain, à son réveil, ву d'atteindre sur-le-champ au but. Il n'y a point

d'écolier qui, ayant commencé à étudier sa lecon, ne se soit couché sans la savoir, et le matin, en se levant, ne l'ait apprise presque sans travail. Je pourrais citer beaucoup de faits de ce genre; je choisis ces deux-là comme les plus incontestables et les plus simples.

J'en tire cette seule conséquence; indépendamment de l'activité volontaire et réfléchie de la pensée, un certain travail intérieur et spontané s'accomplit dans l'intelligence de l'homme, travail que nous ne gouvernons pas, dont nous ne contemplons pas le cours, et pourtant réel et fécond.

Il n'y a rien là d'étrange: chacun de nous apporte en naissant une nature intellectuelle qui lui est propre. L'homme gouverne et modifie, perfectionne ou dégrade par sa volonté son être moral; mais il ne le crée point; il l'a reçu, et l'a reçu doué de certaines dispositions individuelles, d'une force spontanée. La diversité native des hommes, sous le point de vue moral comme sous le point de vue physique, n'est pas contestable. Or, de même que la nature physique de chaque homme se développe spontanément et par sa propre vertu, de même, quoique à un degré fort

inégal, il s'opère dans la nature intellectuelle, mise en mouvement par ses relations avec le monde extérieur ou par la volonté de l'homme lui-même, un certain développement involontaire, inaperçu, et, pour me servir d'un mot dont je ne voudrais pas qu'on tirât aucune conséquence, mais qui exprime figurément ma pensée, je ne sais quel travail de végétation qui porte naturellement des fruits.

Ce qui arrive dans l'ordre intellectuel, Messieurs, arrive également dans l'ordre moral. Certains faits surviennent dans l'intérieur de l'âme humaine, qu'elle ne s'attribue pas, dont elle ne se rend pas raison par sa propre volonté; certains jours, à certains momens elle se trouve dans un autre état moral que celui où elle s'était laissée, où elle se connaissait. Elle ne remonte pas jusqu'à la source de ces changemens; elle n'y a point assisté et ne se souvient pas d'y avoir concouru. En d'autres termes, l'homme moral ne se fait pas lui-même tout entier; il a le sentiment que des causes, des puissances extérieures à lui, agissent sur lui et le modifient à son insu; il y a pour lui, dans sa vie morale comme dans l'ensemble de sa destinée, de l'inexplicable, de l'inconnu.

Et il n'est pas nécessaire, pour se convaincre de ce fait, d'avoir recours à ces grandes révolutions

morales, à ces changemens subits, éclatans, que l'âme humaine peut quelquefois éprouver, mais auxquels l'imagination des narrateurs ajoute beaucoup, et qu'il est difficile de bien apprécier. Il suffit, je crois, de regarder en soi-même pour y découvrir plus d'un exemple de ces modifications involontaires; et chacun de vous, en observant sa vie intérieure, reconnaîtra sans peine, si je ne m'abuse, que les vicissitudes, les développemens de son être moral ne sont pas tous le résultat, soit d'actes de sa volonté, soit de circonstances extérieures qu'il connaisse et qui les lui expliquent.

Tels sont, Messieurs, les principaux faits moraux auxquels se rapporte la controverse pélagienne; les voilà sans aucun mélange d'évènemens historiques, de circonstances particulières, tels que nous les livre la nature humaine, simple, universelle. Vous voyez sur-le-champ que, de ces faits seuls, toujours abstraction faite de tout élément spécial et accidentel, résulte une multitude de questions, et que plus d'un grand débat peut s'élever à leur sujet. Et d'abord, on peut en contester la réalité: ils ne courent pas tous également ce péril; le fait de la liberté humaine par exemple est plus évident, plus irrésistible qu'aucun autre; on l'a méconnu cependant; on peut tout mécon

naltre; il n'y a point de bornes au champ de l'erreur.

En admettant même ces faits, en les reconnaissant, on peut se tromper sur la place que chacun occupe, sur le rôle que chacun joue dans la vie morale; on peut mesurer inexactement leur étendue, leur importance; on peut faire trop grande ou trop petite la part de la liberté, des circonstances extérieures, de la faiblesse de la volonté, des influences inconnues, etc.

On peut aussi tenter d'expliquer les faits, et varier prodigieusement dans les explications. S'agit-il, par exemple, de ces changemens involontaires, inaperçus, qui surviennent dans l'état moral de l'homme? On dira que l'âme est inattentive, qu'elle ne se souvient pas de tout ce qui se passe en elle-même, qu'elle a probablement oublié tel acte de volonté, telle résolution, telle impression qui a produit ces consequences dont elle n'a pas tenu le fil, ni observé le développement. Ou bien, on aura recours, pour expliquer ces faits obscurs de la vie morale, à une action directe, spéciale, de Dieu sur l'âme, à un rapport permanent entre l'action de Dieu et l'activité de l'homme.

Enfin on peut tenter de concilier entre eux ces faits de diverses manières; on peut les réduire·

5. HIST. MOD., 1829

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