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troverse, du libre arbitre et de la grâce, c'està-dire des rapports de la liberté de l'homme avec la puissance divine, de l'influence de Dieu sur l'activité morale de l'homme.

Permettez qu'avant d'en aborder l'histoire, j'indique la méthode que je me propose d'y porter.

Au seul énoncé de cette question, vous voyez qu'elle n'est particulière, ni au Ve siècle, ni au christianisme; c'est un problème universel, de tous les temps, de tous les lieux, que toutes les religions, toutes les philosophies ont posé et tenté de résoudre.

Il se rapporte donc évidemment à des faits moraux primitifs, universels, inhérens à la nature humaine, et que l'observation doit y reconnaître. Je rechercherai d'abord ces faits; j'essaierai de démêler dans l'homme en général, indépendamment de toute considération de temps, de lieu, de croyance particulière, les élémens naturels, la matière première, pour ainsi dire de la controverse pélagienne. Je mettrai ces faits en lumière, sans y rien ajouter, sans en rien retrancher, sans les discuter, uniquement appliqué à les constater et à les décrire.

Je montrerai ensuite quelles questions découlent naturellement des faits naturels, quelles difficultés, quelles controverses se peuvent élever

à leur occasion, toujours indépendamment de toute circonstance particulière de temps, de lieu, d'état social.

Cela fait et, si je puis m'exprimer ainsi, le côté général, théorique, de la question une fois bien établi, je déterminerai sous quel point de vue spécial ces faits moraux ont dû être considérés au Ve siècle, par les défenseurs des diverses opinions en débat.

Enfin, après avoir ainsi expliqué de quelles sources, et sous quels auspices est né le pélagianisme, je raconterai son histoire; je tenterai de suivre, dans leurs rapports et leur progrès, les idées principales qu'il a suscitées, pour faire bien connaître quel était l'état des esprits au moment où s'éleva cette grande controverse, ce qu'elle en fit, et à quel point elle les laissa.

Je vous demande, Messieurs, votre plus scrupuleuse attention, surtout dans l'examen des faits moraux auxquels la question se rattache : ils sont difficiles à bien reconnaître, à énoncer avec précision; je voudrais que rien ne leur manquât en clarté et en certitude, et à peine ai-je le temps de les montrer en passant.

Le premier, celui qui fait le fond de toute la querelle, c'est la liberté, le libre arbitre, la volonté humaine. Pour connaître exactement ce

fait, il faut le dégager de tout élément étranger, le réduire strictement à lui-même. C'est, je crois, faute de ce soin qu'on l'a si souvent mal compris; on ne s'est point placé en face du fait de la liberté, et de celui-là seul; on l'a vu et décrit, pour ainsi dire, pêle-mêle avec d'autres faits qui lui tiennent de très-près dans la vie morale, mais qui n'en diffèrent pas moins essentiellement. Par exemple, on a fait consister la liberté humaine dans le pouvoir de délibérer et de choisir entre les motifs d'action; la délibération et le jugement qui la suit ont été considérés comme l'essence du libre arbitre. Il n'en est rien. Ce sont là des actes d'intelligence et non de liberté; c'est devant l'intelligence que comparaissent les différens motifs d'action, intérêts, passions, opinions ou autres, elle les considère, les compare, les évalue, les pèse, et enfin les juge. C'est là un travail préparatoire, qui précède l'acte de volonté, mais ne le constitue en aucune facon. Quand la délibération a eu lieu, quand l'homme a pris pleine connaissance des motifs qui se présentent à lui, et de leur valeur, alors survient un fait tout nouveau, tout différent, le fait de la liberté; l'homme prend une résolution, c'est-à-dire commence une série de faits qui ont en lui-même leur source, dont il se regarde comme

l'auteur, qui naissent parce qu'il le veut, qui ne naîtraient pas s'il ne voulait pas, qui seraient autres s'il les voulait produire autrement. Ecartez tout souvenir de la délibération intellectuelle, des motifs connus et appréciés; concentrez votre pensée et celle de l'homme qui prend une résolution sur le moment même où il la prend, où il dit : « Je veux, je ferai, » et demandez-vous, demandez - lui à lui-même s'il ne pourrait pas vouloir et faire autrement. A coup sûr, vous répondrez, il vous répondra : « oui.» Ici se révèle le fait de la liberté : il réside tout entier dans la résolution que prend l'homme à la suite de la délibération : c'est la résolution qui est l'acte propre de l'homme, qui subsiste par lui et par lui seul; acte simple, indépendant de tous les faits qui le précèdent ou l'entourent; identique dans les circonstances les plus diverses; toujours le même, quels que soient ses motifs et ses résultats.

L'homme voit cet acte, Messieurs, tout comme il le produit; il se sait libre; il a conscience de sa liberté. La conscience est cette faculté qu'a l'homme de contempler ce qui se passe en lui, d'assister à sa propre existence, d'être pour ainsi dire spectateur de lui-même. Quels que soient les faits qui s'accomplissent dans l'homme, c'est par le fait de conscience qu'ils se révèlent à lui;

la conscience atteste la liberté, comme la sensation, comme la pensée; l'homme se voit, se sait libre, comme il se voit, comme il se sait sentant, réfléchissant, jugeant. On a souvent essayé,. on essaie encore aujourd'hui d'établir, entre ces faits divers, je ne sais quelle inégalité de clarté, de certitude; on s'élève contre ce qu'on appelle la prétention d'introduire dans la science des faits inouïs, obscurs, les faits de conscience : la sensation, la perception, dit-on, voilà qui est clair, avéré, mais les faits de conscience, où sont-ils? Quels sont-ils? Je ne crois pas avoir besoin d'insister long-temps, Messieurs: la sensation, la perception sont des faits de conscience tout comme la liberté : l'homme les aperçoit de la même manière, avec le même degré de lumière et de certitude. Il peut prêter son attention à certains faits de conscience plutôt qu'à certains autres, et oublier ou méconnaître ceux qu'il ne regarde point: l'opinion à laquelle je fais allusion dans ce moment en est la preuve; mais quand il s'observe d'une manière complète, quand il assiste, sans en rien perdre, au spectacle de sa vie intérieure, il a peu de peine à se convaincre que toutes les scènes se passent sur le même théâtre, et lui sont connues au même titre, par la même voie.

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