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persécutant les chrétiens, que céder aux clameurs du peuple, a souvent, au IV° siècle, protégé les payens contre le peuple, soit dans l'intérêt de l'ordre, soit par l'influence des hommes considérables, payens ou indifférens, soit par ce respect des établissemens publics, des anciennes existences, auquel un gouvernement ne renonce presque jamais. Mais vous comprenez sans peine quelle situation dépendante, faible, précaire, résultait de là pour les professeurs. Celle des étudians n'était guères plus forte ni plus libre. Ils étaient l'objet d'une foule de mesures de police inquisitoriales, vexatoires, et contre lesquelles ils ne possédaient presque aucune garantie. Voici une constitution de Valentinien qui vous fera connaître leur situation : elle ne s'applique qu'à l'école de Rome; mais le régime des autres écoles était analogue.

Valentinien, Valens et Gratien à Olybrius, pref. de Rome. (370.)

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Que tous ceux qui viendront étudier à Rome apportent d'abord au maître du cens les lettres des gouverneurs de province qui leur ont donné congé de venir, et où doivent être indiqués leur ville, leur âge et leurs qualités;

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Magistrat qui, par quelques-unes de ses fonctions, avait quelque analogie avec le préfet de police.

2° qu'ils déclarent, dès leur arrivée, à quelles études ils se .proposent de se livrer de préférence; 3° que le bureau des employés du cens connaisse leur demeure, afin de tenir la main à ce qu'ils fassent les études qu'ils ont indiquées comme le but de leurs désirs; 4° que lesdits employés veillent à ce que lesdits étudians se montrent dans les réunions tels qu'ils doivent être, à ce qu'ils évitent toute cause de mauvais et honteux renom, ainsi que les associations entre eux, que nous regardons comme très-voisines des crimes, à ce qu'ils n'aillent pas trop souvent aux spectacles, et ne se livrent pas fréquemment à des banquets intempestifs. Que si quelque étudiant ne se conduit pas dans la ville comme l'exige la dignité des études libérales, qu'il soit publiquement battu de verges, mis sur un vaisseau, chassé de la ville, et renvoyé chez lui. Quant à ceux qui se livrent assiduement à leurs études, qu'ils puissent rester à Rome jusqu'à leur vingtième année; après quoi, s'ils négligent de s'en aller d'eux-mêmes, que le préfet ait soin de les faire partir, même contre leur gré. Et pour que ces choses-là ne soient pas traitées légèrement, que ta haute Sincérité avertisse le bureau du cens qu'il ait à rédiger chaque mois un état desdits étudians, quels ils sont, d'où ils viennent, et lesquels, leur temps écoulé, doivent être renvoyés en Afrique ou en d'autres provinces....... Qu'un tableau pareil soit transmis tous les ans aux bureaux de N. G., afin que, bien instruit des mérites et des études de tous, nous jugions s'ils sont nécessaires à notre service, et quand',

Quelques-unes de ces précautions peuvent être,

Cod. Theod. L. XIV, t. 9, l. 1.

dans certains cas, nécessaires et légitimes; mais il est bien clair que là où elles sont le fait essentiel, dominant, là où elles constituent le fond du régime des écoles, il n'y a point de liberté.

La liberté éclate au contraire de toutes parts dans la littérature chrétienne. Et d'abord l'activité des esprits, la diversité des opinions publiquement manifestées, prouvent à elles seules la liberté. L'esprit humain ne se déploie pas ainsi en tous sens, ni avec tant d'énergie, quand il est chargé de fers. La liberté d'ailleurs était inhérente à la situation intellectuelle de l'Église : elle était dans le travail de la formation de ses doctrines, et, sur un grand nombre de points, ne les avait point encore arrêtées ou promulguées. A mesure qu'une question apparaissait, soulevée soit par un évènement, soit par quelque écrit, elle était examinée, débattue par les chefs de la société religieuse; et son opinion officielle, la conséquence de ses croyances générales, le dogme en un mot, était proclamé. Une liberté précaire, passagère peut-être, mais réelle, appartient nécessairement à une telle époque.

L'état de la législation contre l'hérésie ne lui était pas encore mortel: le principe de la persécution, l'idée que la vérité a droit de gouverner par

4. HIST. MOD., 1828.

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la force, était bien dans les esprits, mais il ne dominait pas encore dans les faits. La puissance civile commençait à prêter main-forte à l'Église contre les hérétiques, et à sévir contre eux; on les exilait; on leur interdisait certaines fonctions; on les dépouillait de leurs biens; quelques-uns même, comme les Priscillianistes, en 385, étaient condamnés à mort : les lois des empereurs, surtout celles de Théodose-le-Grand, étaient pleines de menaces et de dispositions contre l'hérésie; le cours des choses enfin tendait visiblement à la tyrannie cependant la puissance civile hésitait encore à se faire l'instrument des doctrines; les plus grands évêques, saint Hilaire, saint Ambroise, saint Martin, se récriaient encore contre toute condamnation capitale des hérétiques, disant que l'Église n'avait droit d'employer que les armes spirituelles. En un mot, quoique le principe de la persécution fût en progrès, et en progrès très-menaçant, la liberté était encore plus forte liberté périlleuse, orageuse, mais active et générale; on était hérétique à ses risques et périls, mais on pouvait l'être; on pouvait soutenir, on soutenait son opinion, pendant longtemps, avec énergie, avec publicité.

Il suffit de regarder aux canons des conciles de cette époque pour se convaincre que la liberté

était grande encore: sauf deux ou trois grands conciles généraux, ces assemblées, dans les Gaules en particulier, ne s'occupaient guères que de discipline; les questions de théorie, de doctrine, n'y apparaissent que plus rarement et dans les grandes occasions; c'est surtout du gouvernement de l'Église, de sa situation, des droits et des devoirs des clercs, qu'on traite et décide : preuve que, sur une multitude de points, la diversité des idées était admise et le débat encore ouvert.

Ainsi d'une part la nature même des travaux, de l'autre la situation des esprits, expliquent pleinement la supériorité intellectuelle de la société religieuse sur la société civile; l'une était sérieuse et libre; l'autre servile et frivole: qu'y a-t-il à ajouter?

Aussi n'ajouterai-je qu'une dernière observation, mais qui n'est pas sans importance, et qui seule peut-être explique pleinement pourquoi la littérature civile ne pouvait manquer d'être frappée à mort, tandis que la littérature religieuse vivait et prospérait si énergiquement..

Pour que la culture de l'esprit, les sciences, les lettres prospèrent par elles-mêmes, indépendamment de tout intérêt prochain et direct, il faut, Messieurs, des temps heureux, paisibles,

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