Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

d'autres établissemens analogues. Ainsi, il y avait, à Trèves, une grande bibliothèque du palais impérial, sur laquelle aucun renseignement spécial ne nous est resté, mais dont nous pouvons juger par les détails qui nous ont été conservés sur celle de Constantinople. Celle-ci avait un bibliothécaire et sept scribes, constamment occupés, quatre pour le grec et trois pour le latin; ils copiaient, soit les ouvrages anciens qui se détérioraient, soit les ouvrages nouveaux. Il est probable que la même institution subsistait à Trèves et dans les grandes villes de la Gaule.

La société civile était donc pourvue de moyens d'instruction et de développement intellectuel. Il n'en était pas de même de la société religieuse elle n'avait, à cette époque, point d'institution spécialement consacrée à l'enseignement; elle ne recevait de l'État aucun secours dans ce but particulier. Les chrétiens pouvaient, comme les autres, fréquenter les écoles publiques; mais la plupart des professeurs étaient encore païens, ou indifférens en matière religieuse, et, dans leur indifférence, assez malveillans pour la religion nouvelle. Ils attiraient donc fort peu les chrétiens. Les sciences qu'ils enseignaient, la grammaire et la rhétorique, païennes d'origine, dominées par le vieil esprit païen,

n'avaient d'ailleurs que peu d'intérêt pour le christianisme. Enfin, ce fut long-temps dans les classes inférieures, parmi le peuple, que se propagea le christianisme, surtout dans les Gaules; et c'étaient les classes supérieures qui suivaient les grandes écoles. Aussi, n'est-ce guères qu'au commencement du IV° siècle qu'on voit les chrétiens y paraître, et encore y sont-ils rares.

Aucune autre source d'étude ne leur était ouverte. Les établissemens qui devinrent peu après, dans l'église chrétienne, le refuge et le foyer de l'instruction, les monastères, commençaient à peine dans les Gaules ce fut seulement après l'an 360 que les deux premiers furent fondés saint Martin, l'un à Ligugé, près de Poitiers, l'autre à Marmoutiers, près de Tours; et ils étaient consacrés plutôt à la contemplation religieuse qu'à l'enseignement.

par

Toute grande école, toute institution spécialement vouée au service et aux progrès de l'intelligence, manquait donc alors aux chrétiens; ils n'avaient que leurs idées mêmes, le mouvement intérieur et personnel de leur pensée. Il fallait qu'ils tirassent tout d'eux mêmes; leurs croyances et l'empire de leurs croyances sur la volonté, le besoin qu'elles avaient de se propager, de prendre possession du monde, c'était là toute leur force.

Cependant l'activité et la puissance intellectuelle des deux sociétés étaient prodigieusement inégales. Avec ses institutions, ses professeurs, ses priviléges, l'une n'était et ne faisait rien; avec ses idées seules, l'autre travaillait sans relâche et s'emparait de tout.

Tout atteste, au V° siècle, la décadence des écoles civiles. Les beaux esprits contemporains, Sidoine Apollinaire et Mamert Claudien, par exemple, la déplorent à chaque page, disant que les jeunes gens n'étudient plus, que les professeurs n'ont plus d'élèves, que la science languit et se perd. On essayait, par une multitude de petits expédiens, d'échapper à la nécessité de longues et fortes études; c'est le temps des abréviateurs, abréviateurs d'histoire, de philosophie, de grammaire, de rhétorique; et ils se proposent évidemment, non de propager l'instruction dans les classes qui n'étudieraient pas, mais d'épargner le travail de la science à ceux qui pouvaient et ne voulaient pas s'y livrer. C'étaient surtout les jeunes gens des classes supérieures qui fréquentaient les écoles or, ces classes étaient, vous l'avez vu, en pleine dissolution. Les écoles tombaient avec elles; les institutions subsistaient encore, mais vides; l'âme avait quitté le corps.

L'aspect intellectuel de la société chrétienne

2

1

3

est bien différent. La Gaule était, au Ve siècle, sous l'influence de trois chefs spirituels dont aucun ne l'habitait; St. Jérome à Bethleem, St. Augustin à Hippone, St. Paulin à Nole: celui-ci seul gaulois d'origine. Ils gouvernaient véritablement la chrétienté gauloise, c'était à eux qu'elle s'adressait, en toute occasion, pour en recevoir des idées, des solutions, des conseils. Les exemples abondent. Un prêtre, né au pied des Pyrénées, et qui s'appelait Vigilance, avait voyagé en Palestine; il y avait vu St. Jérôme, et s'était pris avec lui de controverse sur quelques questions de doctrine ou de discipline ecclésiastique. De retour dans les Gaules, il écrivit sur ce qu'il regardait comme des abus; il attaqua le culte des martyrs, leurs reliques, les miracles opérés sur leur tombeau, les jeûnes fréquens, les austérités, même le célibat. A peine son ouvrage était publié, qu'un prêtre, nommé Ripaire, qui habitait dans son voisinage, probablement le Dauphiné ou la Savoye, en informa saint Jérôme, lui rendant compte en gros du contenu du livre et de son danger, disait-il.

Né en 331, mort en 420. 2 Né en 354, mort en 430. 3 Né en 354, mort en 431.

Saint Jérôme répond sur le champ à Ripaire, et sa réponse est une première réfutation qui en promet une seconde plus détaillée. Aussitôt, Ripaire et un autre prêtre voisin, Didier, envoient à Bethleem, par un troisième prêtre, Sisinnius, l'écrit de Vigilance; et, moins de deux ans après le commencement de la querelle, Saint Jérôme fait passer dans les Gaules une réfutation complète, qui s'y répand avec rapidité. Le même fait avait lieu, presque au même moment, entre la Gaule et saint Augustin, au sujet de l'hérésie de Pélage, sur le libre arbitre et la grâce: même soin de la part des clercs gaulois d'informer de tout le grand évêque; même activité de sa part à répondre à leurs questions, à lever leurs doutes, à soutenir, à diriger leur foi. Toute hérésie qui menaçait, toute question qui s'élevait, devenait, entre les Gaules d'une part, Hippone, Bethleem et Nole de l'autre, l'occasion d'une longue et rapide succession de lettres, de messages, de voyages, de pamphlets. Il n'était pas même nécessaire qu'il s'élevât une grande question, qu'il s'agit d'un intérêt religieux général et pressant. De simples fidèles, des femmes étaient préoccupés de certaines idées, de certains scrupules; les lumières leur manquaient ils recouraient aux

« PrécédentContinuer »