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devait voir que les situations, les institutions ne sont pas tout, ne décident pas de tout dans la vie des peuples; que d'autres causes peuvent modifier, combattre, surmonter même celles-là, et que, si le monde extérieur agit sur l'homme, l'homme à son tour le lui rend bien. Je n'insiste pas davantage, Messieurs; je ne voudrais pas, tant s'en faut, qu'on crût que je repousse l'idée que je combats; sa part de légitimité est grande : nul doute que l'état social n'exerce sur l'état moral une puissante influence. Je ne veux pas seulement que cette doctrine soit exclusive; l'influence est partagée et réciproque; s'il est vrai de dire que les gouvernemens font les peuples, il n'est pas moins vrai que les peuples font les gouvernemens. La question qui se rencontre ici est plus haute et plus grande encore qu'elle ne paraît: c'est la question de savoir si les évènemens, la vie du monde social, sont, comme le monde physique, sous l'empire de causes extérieures et nécessaires, ou si l'homme lui-même, sa pensée, sa volonté, concourent à les produire et à les gouverner; quelle est la part de la fatalité et celle de la liberté dans les destinées du genre humain. Question d'un intérêt immense, et que j'aurai peut-être un jour occasion de traiter comme elle le mérite; je ne puis aujourd'hui que la poser à

sa place, et je me contente de réclamer pour la liberté, pour l'homme lui-même, une place, et une grande place dans la création de l'histoire, parmi les auteurs des évènemens.

Je reviens à l'examen de l'état moral de la société civile et de la société religieuse dans les Gaules, aux IV et Ve siècles.

Si les institutions pouvaient tout faire, si les moyens fournis par la société et les lois suppléaient à tout, l'état intellectuel de la société civile gauloise, à cette époque, aurait été très-supérieur à celui de la société religieuse. La première, en effet, possédait seule toutes les institutions propres à seconder le développement des esprits, le progrès et l'empire des idées. La Gaule romaine était couverte de grandes écoles : les principales étaient celles de Trèves, Bordeaux, Autun, Toulouse, Poitiers, Lyon, Narbonne, Arles, Marseille, Vienne, Besançon, etc. Quelquesunes étaient fort anciennes : celles de Marseille et d'Autun, par exemple, dataient du premier siècle; on y enseignait la philosophie, la médecine, la jurisprudence, les belles-lettres, la grammaire, l'astrologie, toutes les sciences du temps. Dans la plupart des autres écoles, on n'enseigna d'abord que la rhétorique et la grammaire; vers le IV siècle seulement, des professeurs de

philosophie et de droit furent partout introduits.

Non-seulement ces écoles étaient nombreuses et pourvues de plusieurs chaires, mais les empereurs prenaient sans cesse en faveur des professeurs de nouvelles mesures. Leurs intérêts sont, depuis Constantin jusqu'à Théodose le jeune, l'objet de constitutions fréquentes, qui tantôt élendent, tantôt confirment leurs priviléges; voici les principales:

Constantin Auguste à Volusianus.1 (en 321.)

Nous ordonnons que les médecins, les grammairiens, et les autres professeurs ès-lettres, soient, ainsi que les biens qu'ils possèdent dans leurs cités, exempts des charges municipales, et qu'ils puissent être revêtus des honneurs'. Nous défendons qu'on les traduise (indûment) en justice, ou qu'on leur fasse quelque tort; si quelqu'un les tourmente, qu'il soit poursuivi par les magistrats, afin qu'euxmêmes ne prennent pas cette peine, et qu'il paie cent mille pièces au fisc; si un esclave les a offensés, qu'il soit frappé de verges par son maître, devant celui qu'il a offensé; et si le maître a consenti à l'outrage, qu'il paie vingt mille

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Probablement préfet du prétoire.

* On distinguait dans les cités les munera, fonctions municipales d'un ordre inférieur et qui ne conféraient point de priviléges; et les honores, fonctions supérieures, magistratures véritables, auxquelles cer tains priviléges étaient attachés.

pièces au fisc, et que son esclave reste en gage jusqu'à ce que toute la somme soit livrée. Nous ordonnons de rendre aux dits professeurs leurs traitemens et salaires; et comme ils ne doivent pas être chargés de fonctions onéreuses..... nous permettons qu'on leur confère les honneurs quand ils le voudront, mais nous ne les y forçons point'.

Constantin Auguste, au peuple. (en 333.)

Confirmant les bienfatis de nos divins prédécesseurs, nous ordonnons que les médecins et les professeurs èslettres, ainsi que leurs femmes et leurs enfans, soient exempts de toutes fonctions et charges publiques; qu'ils ne soient pas compris dans le service de la milice, ni obligés de recevoir des hôtes, ou de s'acquitter d'aucune charge, afin que par là ils aient plus de facilité pour instruire beaucoup de gens dans les études libérales et les arts sus

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Gratien Auguste, à Antoine, préfet du prétoire des Gaules. (en 376).

Qu'au sein des grandes cités qui, dans tout le diocèse confié à ta Magnificence, fleurissent et brillent par d'illustres maîtres, les meilleurs président à l'éducation de la

1 Cod. Theod., liv. 3, tit. 3, l. 1.

2 Ibid, 1. 3.

jeunesse ; nous voulons parler des rhéteurs et des grammairiens, dans les langues attique et romaine; que les orateurs reçoivent du fisc, à titre d'émolumens, vingt-quatre rations'; que le nombre moins considérable de douze rations soit, suivant l'usage, accordé aux grammairiens grecs et latins. Et afin que les cités qui jouissent des droits de métropoles choisissent de fameux professeurs, et comme nous ne pensons pas que chaque cité soit libre de payer suivant son gré ses rhéteurs et ses maîtres, nous voulons faire pour l'illustre cité de Trèves quelque chose de plus ainsi donc que trente rations y, soient accordées au rhéteur, vingt au grammairien latin, et douze an grammairien grec, si l'on peut en trouver un capable'.

Valentinien, Honorius, Théodose II, rendirent plusieurs décrets semblables. Depuis que l'empire était partagé entre plusieurs maîtres, chacun d'eux s'inquiétait un peu plus de la prospérité de ses États et des établissemens publics qui s'y rencontraient. De là une amélioration momentanée dont les écoles se ressentirent; particulièrement celles des Gaules, sous l'administration de Constance Chlore, de Julien et de Gratien.

1

A côté des écoles étaient placés en général

Annona, une certaine mesure de blé, d'huile et d'autres denrées, probablement ce qu'il en fallait pour la consommation journalière d'une personne, μερήσιον.

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