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de dates très-diverses et d'importance très-inégale; mais tous peuvent se rattacher à quelque fait, invoquer quelque autorité.

Quand on se demande quels principes prévalaient au sein de cette variété de principes, quels grands résultats étaient consommés au Vo siècle, on reconnaît les faits suivans :

1o La séparation de la société religieuse et de la société ecclésiastique; la domination de la société ecclésiastique sur la société religieuse; résultat dû surtout à l'extrême inégalité intellectuelle et sociale qui existait entre le peuple et le clergé chrétien.

2o La prédominance du système aristocratique dans l'organisation intérieure de la société ecclésiastique; l'intervention des simples prêtres dans le gouvernement de l'Église devient de jour en jour plus rare et plus faible; le pouvoir se concentre de plus en plus entre les mains des évêques.

3o Enfin, quant aux rapports de la société religieuse avec la société civile, de l'Église avec l'Etat, le système qui prévaut est celui de l'alliance, de la transaction entre des puissances distinctes, mais en contact perpétuel.

Tels sont les trois grands faits qui caractérisent l'état de l'Église au commencement du Vo

siècle. A leur seul énoncé, sur la simple apparence générale, il est impossible d'y méconnaître des germes menaçans, d'une part, dans le sein de la société religieuse, pour la liberté de la masse des fidèles; de l'autre, et dans le sein de la société ecclésiastique, pour la liberté d'une grande partie du clergé lui-même. La prédominance presque exclusive des prêtres sur les fidèles et des évêques sur les prêtres, présageait dans l'avenir les abus du pouvoir et les désordres des révolutions. De telles craintes, Messieurs, si quelqu'un les eût conçues au V° siècle, n'auraient pas été sans fondement; mais on était loin de les concevoir; c'était surtout à se régler, à se constituer qu'aspirait la société chrétienne; elle avait surtout besoin d'ordre, de lois, de gouvernement; et malgré la dangereuse tendance de quelques-uns des principes qui y prévalaient, les libertés, soit du peuple dans la société religieuse, soit des simples prêtres dans la société ecclésiastique, ne manquaient alors ni de réalité ni de garanties.

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La première résidait dans l'élection des évêfait sur lequel je n'ai garde d'insister, car il est évident pour quiconque jette un coupd'oeil sur les monumens de cette époque. Cette élection n'avait lieu ni suivant des règles géné

rales, ni dans des formes permanentes; elle était prodigieusement irrégulière, diverse, sujette à une multitude d'accidens. En 374, l'évêque de Milan, Auxence, arien d'opinion, venait de mourir; on s'était réuni dans la cathédrale pour élire son successeur. Le peuple, le clergé, les évêques de la province, tous étaient là, et tous très-animés; les deux partis, les orthodoxes et les ariens, voulaient chacun nommer l'évêque. Le tumulte aboutit à un désordre violent. Un gouverneur venait d'arriver à Milan, au nom de l'empereur; c'était un jeune homme, il s'appelait Ambroise. Informé du tumulte, il se rend dans l'église pour le faire cesser; ses paroles, son air plurent au peuple. Il avait bonne renommée, une voix s'élève du milieu de l'église, la voix d'un enfant, selon la tradition; elle s'écrie : « Il faut nommer Ambroise évéque. Et, séance tenante, Ambroise fut nommé évêque; il est devenu saint Ambroise.

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Voilà un exemple de la manière dont les élections épiscopales se faisaient encore à la fin du IV siècle. A coup sûr elles n'étaient pas toutes, à ce point désordonnées, subites; mais ces caractères ne choquaient, n'étonnaient même personne, et le lendemain de son élévation, saint Ambroise était tenu de tous pour très-bien élu. Voulez-vous que nous regardions à une époque

postérieure, à la fin du Ve siècle par exemple.? j'ouvre le recueil des lettres de Sidoine Apollinaire, le monument le plus curieux et en même temps le plus authentique des mœurs de ce temps, surtout des mœurs de la société religieuse; Sidoine a été évêque de Clermont; il a lui-même recueilli et revu ses lettres; c'est bien là ce qu'il a écrit, ce qu'il a voulu léguer à la postérité. Voici une lettre qu'il adresse à son ami Domnulus:

Sidoine à son cher Domnulus, salut 1.

Puisque tu desires savoir ce qu'a fait à Châlons, avec sa religion et sa fermeté accoutumées, notre père en Christ, le pontife Patient 2, je ne puis tarder plus long-temps à te faire partager notre grande joie. Il arriva en cette ville en partie précédé, en partie suivi des évêques de la province, réunis pour donner un chef à l'église de ce municipe, troublée et chancelante dans sa discipline, depuis la retraite et la mort de l'évêque Paul. L'assemblée des clercs trouva dans la ville des factions diverses, toutes ces intrigues privées qui ne se forment jamais qu'au détriment du bien public, et qu'avait excitées un triumvirat de compétiteurs. L'un d'eux, privé d'ailleurs de toute vertu, étalait l'illustration d'une race antique; un autre, nouvel Apicius, se faisait appuyer par les applaudissemens et les clameurs de bruyans parasites gagnés à l'aide de sa cuisine; un troisième

1 Liv. 4, lett. 25. 2 Évêque de Lyon.

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s'était engagé, par un marché secret, s'il parvenait au but de son ambition, à livrer les domaines de l'église au pillage de ses partisans. Le saint Patient et le saint Euphronius', qui, dédaignant toute haine et toute faveur, étaient les premiers à soutenir fermement et rigidement le plus sage avis, ne tardèrent pas à reconnaître l'état des choses. Avant de rien manifester en public, ils tinrent d'abord conseil en secret avec les évêques leurs collègues; puis, bravant les cris d'une tourbe de furieux, ils imposèrent tout à coup les mains, sans qu'il se doutât de rien et formât cun vœu pour être élu, à un saint homme nommé Jean, recommandable par son honnêteté, sa charité et sa douceur. Jean a été d'abord lecteur et a servi à l'autel dès son enfance; puis, à la suite de beaucoup de temps et de travail, il est devenu archidiacre... Il n'était donc que prêtre du second ordre, et au milieu de ces factions si acharnées, personne n'exaltait par ses louanges un homme qui ne demandait rien, mais personne aussi n'osait accuser un homme qui ne méritait que des éloges. Nos évêques l'ont proclamé leur collègue, au grand étonnement des intrigans, à l'extrême confusion des méchans, aux acclamations des gens de bien, et sans que personne osât ou voulût réclamer.....

Tout à l'heure, nous assistions à une élection populaire; en voilà maintenant une aussi irrégulière, aussi inattendue, faite tout à coup, au milieu du peuple, par deux pieux évêques. En

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