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inique, que son crime et les causes légales de sa condamnation sont encore inconnus. C'est évidemment ici l'aristocratie féodale, qui se venge et pend un parvenu.

Vers 1301, Philippe le Bel se prend de querelle et de haine avec Bernard de Saisset, évêque de Pamiers, légat de Boniface VIII. II lance contre lui ses légistes, Pierre Flotte, Enguerrand de Marigny, Guillaume de Plasian, Guillaume de Nogaret; et les poursuites exercées contre l'évêque de Pamiers sont un modèle d'iniquité et de violence. Je n'ai pas le temps d'en parleravec détail. C'est ici la royauté qui fait soutenir, par la main des légistes, et aux dépens d'un accusé, sa lutte politique contre le clergé.

De 1307 à 1310, le procès des Templiers, de 1309 à 1311, le procès intenté à la mémoire de Boniface VIII, offrent, sur une plus grande échelle, et avec bien plus d'éclat encore, le retour des mêmes faits. Ce sont toujours les légistes, les commissions judiciaires mettant la justice au service de la politique et aux ordres de la royauté.

Philippe le Bel meurt, la chance tourne; l'aristocratie féodale reprend l'ascendant. Malheur aux parvenus légistes! En 1315, Enguerrand de Marigny, l'un des principaux, est jugé à son

tour par une commission de chevaliers, et pendu le 30 avril à Montfaucon, après la plus odieuse procédure et sur les plus absurdes ac

cusations.

Ainsi l'histoire de l'ordre judiciaire, à peine créé, est une série de réactions continuelles entre l'aristocratie féodale et le clergé d'une part, la royauté et les légistes de l'autre. L'un et l'autre parti se jugent tour à tour, selon le système et par les procédés arbitraires, violens, qu'ont introduits les légistes et qu'ils ont en partie empruntés au droit romain, au droit ecclésiastique, aux coutumes féodales dénaturées, en partie inventés pour la circonstance et selon le besoin.

N'est-ce pas là, Messieurs, l'introduction du despotisme dans l'administration de la justice? N'est-il pas clair que, sous le rapport judiciaire comme sous le rapport législatif, la royauté fit à cette époque un pas immense dans la carrière du pouvoir absolu?

En voici un troisième que je ne ferai guère qu'indiquer il s'agit des impôts.

:

Philippe le Bel s'arrogea le droit d'imposer, même hors de ses domaines, et surtout par la voie des monnaies. Le droit de battre monnaie, vous le savez, n'appartenait pas exclusivement à la royauté; la plupart des possesseurs de fiefs

l'avaient possédé originairement, et plus de quatre-vingts en jouissaient encore du temps de saint Louis. Sous Philippe le Bel, ce droit vint par degrés se concentrer, quoique incomplètement encore, entre les mains du roi. Il l'acheta d'un certain nombre de seigneurs, l'usurpa sur d'autres, et se trouva bientôt, en matière de monnaies, sinon le seul maître absolument, du moins en état de faire la loi dans tout le royaume. Il y avait là une manière commode et bien tentante d'imposer arbitrairement les sujets. Philippe en usa largement, follement. L'altération des monnaies reparaît presque chaque année sous son règne; et des 56 ordonnances émanées de lui en matière de monnaies, 35 ont des falsifications de monnaies pour objet.

Il ne se borna point cependant à ce seul procédé pour taxer arbitrairement ses peuples: tantôt par des subventions expresses, tantôt par des impôts de consommation sur les denrées, tantôt par des mesures qui frappaient le commerce intérieur ou extérieur, il se procura momentanément de larges ressources. Il ne parvint point ainsi à fonder, au profit de la royauté, un droit véritable; à faire admettre qu'il lui appar tenait d'imposer à son gré les peuples; il n'en éleva même pas la prétention générale et sys

15. T. V. HIST. MODERN,

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tématique; mais il laissa des précédens pour tous les modes d'imposition arbitraire, et ouvrit, en tous sens, cette voie funeste à ses suc

cesseurs.

Il n'y a donc pas moyen de le méconnaître :sous le rapport législatif, sous le rapport judiciaire et en matière d'impôts, c'est-à-dire dans les trois élémens essentiels de tout gouvernement, la royauté prit, à cette époque, le caractère d'un pouvoir absolu; caractère, je le répète, qui n'était point reconnu en droit, qui ne prévalait pas non plus complètement en fait, car la résistance s'élevait à chaque instant et sur tous les points de la société; mais qui n'en était pas moins dominant dans l'application pratique comme dans la physionomie morale de l'institution.

A la mort de Philippe le Bel, et dans l'intervalle qui s'écoula jusqu'à l'extinction de sa famille et l'avénement de Philippe de Valois, c'est-à-dire sous les règnes de ses trois fils, Louis le Hutin, Philippe le Long et Charles le Bel, une vive réaction éclata contre toutes ces usurpations ou prétentions nouvelles de la royauté. Elle n'attendit même pas tout-à-fait jusqu'à la mort de Philippe IV; en 1314, c'est-à-dire dans la dernière année de son règne, plusieurs associations se formèrent pour lui résister, et elles

rédigèrent en ces termes leurs desseins et leurs engagemens :

A tous ceux qui verront, orront (entendront) ces présentes letres, li nobles et li communs de Champagne; pour nous, pour les pays de Vermandois, de Beauvaisis, de Ponthieu, de La Fèrre, de Corbie, et pour tous les nobles et communs de Bourgogne, et pour tous nos alliés et adjoints étant dedans les points du royaume de France; salut. Scachent tuis que comme très excellent et très puissant prince, notre très cher et redouté sire, Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, ait fait et relevé plusieurs tailles, subventions, exactions non deus, changement des monnoyes, et plusieurs aultres choses qui ont été faites: par quoi li nobles et li communs ont été moult gervés, appauvris, et a moult grand meschief pour les choses dessus dites qui encore sont. Et il n'apert pas qu'ils soient tournez en l'honneur et prouffit du roy ne dou royalme, ne en deffension dou prouffit commun. Desquels griefs nous avons plusieurs fois requis et supplié humblement et devotement ledit sire li roy, que ces choses voulist defaire et delaisser; de quoy rien n'en ha fait. Et encore en cette présente année courant, par l'an 1314, li dit nos sire le roy ha fait impositions non deuement, sur li nobles et li communs dou royalme, et subventions lesquelles il s'est efforcé de lever; laquelle chose ne pouvons souffrir ne soûtenir en bonne conscience, car ainsi perdrions nos honneurs, franchises et libertés; et nous et cis qui après nous veront (viendront). Par lesquelles choses dessus dites, nos li nobles et communs dessus-dits, et pour nos, et pour nos parens et alliés, et autres, dans les points du royalme de France, en

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