Imágenes de página
PDF
ePub

raisonnemens plus ou moins spécieux, qui permettent quelquefois de croire qu'on s'est trompé de bonne foi. Ils avouent, ils déclarent que la décision qu'on leur demande, viole toutes les lois du christianisme; et ils finissent par la souscrire, la honte et le dépit dans le cœur. Ils se montrent seulement dominés par l'insupportable inquiétude, que ce déplorable secret ne soit connu des catholiques. Le landgrave de Hesse voulut bien leur épargner ce dernier degré d'ignominie. Il fut fidèle au secret qu'on lui avoit demandé, tant qu'ils vécurent et tant qu'il vécut lui-même.

Ce qui contribue le plus à répandre un intérêt continu sur l'Histoire des variations, ce sont les portraits d'un grand nombre de personnages célèbres qui se montrent sur le théâtre de tant d'événemens dont les suites ont laissé des traces si profondes. On sait combien Bossuet excelloit dans cette partie de l'histoire. Il ne peint jamais les hommes avec ses principes ou ses opinions; mais il les montre tels qu'ils se sont montrés eux-mêmes dans les actes publics de leur vie, ou tels qu'ils se sont laissés apercevoir dans l'épanchement de la confiance et de l'amitié. On peut surtout être curieux d'entendre Bossuet parler de Luther, de Calvin, de Mélanchton et de quelques hommes qui jouèrent un rôle dans les premiers temps de

cette grande révolution. Ce qui frappe le plus dans la manière dont Bossuet les représente, c'est qu'il est impossible d'y observer la plus légère trace d'amertume ou de prévention.

VI.
Portrait de
Luther.
*Histoire des

liv. 1er.

«<* Les deux partis qui partagent la réforme, » ont également reconnu Luther pour leur au» teur, dit Bossuet. Ce n'a pas été seulement les variations, » luthériens, ses sectateurs, qui lui ont donné à >> l'envi de grandes louanges; Calvin admire sou» vent ses vertus, sa magnanimité, sa constance, » l'industrie incomparable qu'il a fait paroître · » contre le pape. C'est la trompette, ou plutôt » c'est le tonnerre; c'est le foudre qui a tiré le » monde de sa léthargie. Ce n'étoit pas Luther, » c'étoit Dieu qui foudroyoit par sa bouche.

» Il est vrai qu'il eut de la force dans le génie, » de la véhémence dans ses discours, une élo» quence vive et impétueuse qui entraînoit les

[ocr errors]

peuples et les ravissoit. Une hardiesse extraor» dinaire, quand il se vit soutenu et applaudi, » avec un air d'autorité qui faisoit trembler de» vant lui ses disciples; de sorte qu'ils n'osoient >> le contredire ni dans les grandes choses, ni dans >> les petites..... Ce ne fut pas seulement le peuple >> qui regarda Luther comme un prophète, les >> doctes du parti le donnoient pour tel. Mélanch>>ton, qui se rangea sous sa discipline dès le com

VII.

De Zuingle,

liv. 11.

[ocr errors]

>> mencement de ces disputes, se laissa d'abord » tellement persuader qu'il y avoit en cet homme quelque chose d'extraordinaire et de prophé» tique, qu'il fut long-temps sans en pouvoir re» venir, malgré tous les défauts qu'il découvroit » de jour en jour dans son maître ; et il écrivoit » à Erasme, en parlant de Luther: Vous savez qu'il faut éprouver, et non pas mépriser les » prophètes.

[ocr errors]

>>

Cependant ce nouveau prophète s'emportoit » à des excès inouis; il outroit tout. Parce que » les prophètes, par l'ordre de Dieu, faisoient » de terribles invectives, il devint le plus violent >> de tous les hommes et le plus fécond en paroles » outrageuses. Luther parloit de lui-même d'une » manière à faire rougir tous ses amis. Enflé de >> son savoir médiocre au fond, mais grand pour » le temps, et trop grand pour son salut et pour » le repos de l'Eglise, il se mettoit au-dessus de >> tous les hommes, et non-seulement de ceux de » son siècle, mais encore des plus illustres des » siècles passés.

>>

Zuingle, pasteur de Zurich, avoit commencé » à troubler l'Eglise à l'occasion des indulgences, » aussi bien que Luther, mais quelques années après. C'étoit un homme hardi, et qui avoit

[ocr errors]
[ocr errors]

plus de feu que de savoir. Il y avoit beaucoup

» de netteté dans son discours, et aucun des pré>> tendus réformateurs n'a expliqué ses pensées » d'une manière plus précise, plus uniforme et >> plus suivie ; mais aussi aucun ne les a poussées plus loin, ni avec plus de hardiesse. »

[ocr errors]

Tels furent les deux chefs qui, dès l'origine,' partagèrent la réforme naissante en deux grandes branches; «* gens d'esprit à la vérité, et qui n'é» toient pas sans littérature, mais hardis, témé>> raires dans leurs décisions, et enflés de leur vain » savoir; qui se plaisoient dans des opinions ex>> traordinaires et particulières, et par là croyoient » s'élever, non-seulement au-dessus des hommes. » de leur siècle, mais encore au-dessus de l'anti» quité la plus sainte ».

Luther défendoit la présence réelle dans l'eucharistie; Zuingle la proscrivoit: Luther s'emporta contre Zuingle avec la même violence que contre le pape; et il profitoit avec toute l'impétuosité de son caractère de tous les avantages que lui donnoient dans cette controverse les expressions littérales de l'Ecriture et toute l'antiquité chrétienne.

((

<< * Il faut avouer, dit Bossuet, qu'il avoit beau» coup de force dans l'esprit. Rien ne lui man» quoit que la règle, qu'on ne peut jamais avoir >> que dans l'Eglise et sous le joug d'une autorité

* Ibid.

* Ibid.

VIII.
De Calvin.

[ocr errors]

légitime. Si Luther se fût tenu sous ce joug si » nécessaire à toute sorte d'esprit, et surtout aux

[ocr errors]

esprits bouillans et impétueux comme le sien; » s'il eût pu retrancher de ses discours ses empor>> temens, ses plaisanteries, ses arrogances bru» tales, ses excès, ou pour mieux dire, ses extra>> vagances, la force avec laquelle il manie la vé» rité, n'auroit pas servi à la séduction. C'est » pourquoi on le voit encore invincible, quand il » traite les dogmes anciens qu'il avoit pris dans » le sein de l'Eglise; mais l'orgueil suivoit de près >> ses victoires. >>

Bossuet paroît douter que si Calvin fût venu avant Luther, il eût pu opérer la grande révolution qui ébranla l'Europe chrétienne au commen*Histoire des cement du seizième siècle. « Je ne sais, dit-il, » si le génie de Calvin se seroit trouvé aussi pro» pre à échauffer les esprits et à émouvoir les

variations,

liv. ix.

>>

peuples, que le fut celui de Luther. Mais, après » les mouvemens excités, il s'éleva en beaucoup » de pays, principalement en France, au-dessus » de Luther même; et se fit le chef d'un parti, » qui ne cède guères à celui des Luthériens. Par » son esprit pénétrant et par ses décisions hardies, » il raffina sur tous ceux qui avoient voulu en ce >> siècle là faire une Eglise nouvelle, et donna un » nouveau tour à la réforme prétendue.

>>

Calvin

« AnteriorContinuar »