Imágenes de página
PDF
ePub

La seconde espèce est des odes héroïques, ainsi nommées , parce qu'elles sont consacrées à la gloire des héros. Telles sont celles de Pindare sur-tout, quelques-unes d'Horace, de Malherbe, de Rousseau.

La troisième espèce peut porter le nom d'ode morale ou philosophique. Le poète, frappé des charmes de la vertu ou de la laideur du vice, s'abandonne aux sentimens d'amour ou de haine que ces objets produisent en lui.

La quatrième espèce naît au milieu des plaisirs; c'est l'expression d'un moment de joie. Telles sont les odes anacréontiques et la plupart des chansons françaises.

La forme de l'ode est différente, suivant le goût des peuples où elle est en usage. Chez les Grecs, elle étoit ordinairement partagée en stances, qu'ils appeloient formes.

Alcée, Sapho et d'autres lyriques, avoient inventé, avant Pindare, d'autres formes où ils mêloient des vers de différentes espèces avec une symmétrie qui revenoit beaucoup plus souvent. Ce sont ces formes qu'Horace a suivies. Il est aisé de s'en faire une idée d'après ses poésies lyriques.

Les Français ont des odes de deux sortes; les unes qui retiennent le nom générique, et les autres qu'on nomme cantates, parce qu'elles sont faites pour être chantées, et que les autres ne se chantent point.

Le caractère de l'ode, de quelque espèce qu'elle soit, ce qui la distingue de tous les autres poèmes, consiste dans le plus haut degré de pensée et de sentiment dont l'esprit et le cœur de l'homme soient capables. L'ode choisit ce qu'il y a de plus grand dans la religion, de plus surprenant dans les merveilles de la nature, de plus admirable dans les actions des héros, de plus aimable dans les vertus, de plus condamnable dans les vices, de plus vif dans les plaisirs de Bacchus, de plus tendre dans ceux de l'amour; elle ne doit pas seulement plaire, étonner, elle doit ravir et transporter.

Les cantiques de l'écriture et les pseaumes de David célèbrent de grandes merveilles; cependant Rousseau et les autres poètes judicieux n'ont pas traduit toutes ces odes sacrées ; ils n'ont choisi que celles qui leur ont paru les plus propres à notre poésie lyrique. Tout est admirable

[ocr errors]

pas

dans l'univers ; mais tous ces phénomènes ne doivent entrer également dans l'ode. Il faut préférer, dans chaque espèce, les premiers êtres aux êtres moins sensibles et moins bienfaisans; le soleil, par exemple, aux autres astres. Il faut rassembler dans leur description les circonstances les plus intéressantes, et placer, pour ainsi dire, ces êtres dans l'excès des biens et des maux qu'ils peuvent produire. Si vous décrivez un tremblement de terre, il doit paroître seul plus terrible que ceux que l'histoire a jamais fait connoître si vous peignez un paysage, il faut qu'il réunisse tous les charmes de ceux que la peinture a jamais représentés. Une ode doit parler à l'esprit, au jugement, aux sens, au cœur, et leur offrir tour-à-tour les objets les plus capables de les occuper entièrement.

Autant Erato est rebelle à ceux qui, sans autre guide que l'esprit, osent mettre un pied profane dans son sanctuaire, autant elle est favorable à ceux qui y sont introduits par le génie. Elle leur ouvre le champ le plus vaste, le plus noble et le plus beau; elle leur permet, et leur ordonne même de lâcher la bride à leur imagination, de prendre l'essor le plus rapide et le plus élevé, de se dérober aux regards des foibles mortels à travers les feux êt les éclairs, de s'élancer jusqu'au plus haut des cieux; tels que des aigles intrépides d'aller prendre la foudre dans les mains de Jupiter pour en frapper les impies Salmonées et les orgueilleux Titans, etc...i

des

Des mouvemens imprévus, des idées saillantes, expressions hardies, des images fortes, mais gracieuses; un ordre qui soit caché avec art sous le voile d'un désordre apparent; beaucoup d'harmonie, des écarts éclatans, mais réglés par la raison; des transports sublimes, de nobles fureurs, etc., voilà les ornemens qui conviennent à l'ode elle abhorre la médiocrité ; si elle n'échauffe; elle glace; si elle ne nous enlève, si elle ne nous transporte par son divin enthousiasme, elle nous laisse transis et morfondus. C'est dans ce genre qu'on peut presque affirmer qu'il n'est point de degré du médiocre au pire. Le poète, pour don ner de la vie aux sujets qu'il traite, doit les animer par la fiction, et les soutenir par les peintures et par la cadence nombreuse. Tous les trésors de la fable, de la poésie, de

l'imagination et de toute la nature, lui sont ouverts; il peut y puiser à son gré tout ce qu'ils renferment de plus frappant et de plus précieux.

J'ai déja pris soin d'insinuer, et je le répète encore ici., que tous les sublimes transports de l'ode doivent être réglés par la raison, et que tout ce désordre apparent ne doit être en effet qu'un ordre plus caché. Il ne s'agit point de lancer au hasard des idées éblouissantes, ni d'étaler avec emphase un galimatias pompeux. Ce désordre même que l'ode exige, ce qui est une de ses plus grandes beautés, ne doit peutêtre avoir pour objet que le retranchement des liaisons grammaticales, et de certaines transitions scrupuleuses qui ne feroient qu'énerver la poésie lyrique. Quoi qu'il en soit, c'est à l'art de régler le désordre apparent de l'ode. Toutes les figures si variées et si hardies doivent tendre à une même fin, et s'entreprêter des beautés mutuelles.

L'ode où l'on chante les dieux ou les héros, doit briller dès le début même. L'hyperbole est son langage favori. Le poète y peut promettre des miracles. La carrière qu'il doit fournir est si courte, qu'il n'aura pas le temps de perdre haleine, ou de refroidir ses lecteurs : c'est là l'ode pindarique. Elle commence souvent, dans Pindare, par la description sublime de quelques phénomènes naturels, dont il fait ensuite l'application à son sujet. La surprise est le sentiment qu'elle doit produire. Toutes les odes de ce genre, qui ne portent pas ces caractères, ne méritent que le nom de stances.

[ocr errors]

Il est un autre genre d'ode moins superbe, moins éclatant, mais non moins agréable; c'est l'ode anacréontique. Elle chante des jeux, les. ris folâtres, les plaisirs et les agrémens de la vie champêtre. Jamais la lyre du voluptueux Anacréon ne résonne pour célébrer les héros et les combats. Partagé entre Bacchus et l'Amour, il ne produit que des chansons inspirées par ces deux divinités.

Il tient, parmi les poètes, le même rang qu'Epicure parmi les philosophes. Toutes ses odes sont courtes, pleines de douceur, d'élégance, de naïvete, et animées d'une fiction toujours galante, ingénieuse et naturelle; son imagination, livrée toute entière aux plaisirs, ne lui fournit

que des idées riantes, mais souvent trop capables d'alarmer la vertu.

[ocr errors]

La dixième muse la tendre et fidelle Sapho, a composé un petit nombre d'odes consacrées aussi à l'Amour. On connoît celle qui a été traduite si élégamment par Catulle, Despréaux et Adisson, trois traductions admirables, sans qu'on ait pu dire laquelle méritoit la préférence.

Horace s'est montré tantôt Pindare et tantôt Anacréon; mais s'il imite Pindare dans ses nobles transports, il le suit aussi quelquefois un peu trop dans son désordre; s'il imite la délicatesse et la douceur naïve d'Anacréon, il adopte aussi sa morale voluptueuse, et la traite d'une manière encore plus libre, mais moins ingénue.

Malherbe s'est distingué par le nombre et l'harmonie : il est inimitable dans la cadence de ses vers, et l'on doit. excuser la foiblesse de ceux qu'il n'a faits que pour servir de liaison aux autres. Il faut encore avoir la force de lui passer ses expressions surannées.

Rousseau a été tout-à-la-fois Pindare, Horace, Anacréon, Malherbe, etc. Il a rassemblé tous les talens partagés entre ces grands poètes; son génie vigoureux, né pour la lyre, en a embrassé tous les genres, et y a excellé. Avant lui, M. de la Motte avoit composé des odes pleines d'élégance et de délicatesse dans le goût d'Anacréon. Je ne reprocherai point à cet aimable poète d'avoir été trop moral dans le genre lyrique, parce que Rousseau ne l'est pas moins. Je dirai seulement que l'un moralise en poète, et l'autre en philosophe; l'un est sublime dans ses sentences, et l'autre n'est qu'ingénieux; l'un, en éclairant, échauffe et transporte; l'autre, en instruisant, se contente d'amuser.

Il est sans doute permis, dans le lyrique, d'étaler de belles et de solides maximes; mais il faut qu'elles soient revêtues de brillantes couleurs qui conviennent à ce genre de poésie. Ainsi le vrai défaut de M. de la Motte est de n'être pas assez animé; ce défaut se trouve dans ses descriptions et dans ses peintures qui sont trop uniformes, froides et mortes, en comparaison de la force, de la variété et des belles images de celles du célèbre Rousseau.

Les

Les Anglais seroient sans doute les premiers poètes lyriques du monde, si leur goût et leur choix répondoient à la force de leur esprit et à la fécondité de leur imagination. Ils aperçoivent ordinairement dans un objet plus de faces que nous n'en découvrons; mais ils s'arrêtent trop à celles qui ne méritent point leur attention ; ils éteignent et étouffent le feu de notre ame à force d'y entasser idées sur idées, sentimens sur sentimens.

[ocr errors]

Jamais la Grèce et la république romaine n'ont fourni un aussi vaste champ pour l'ode que celui que l'Angleterre offre à ses poètes depuis deux siècles. Le règne florissant d'Elizabeth; la mort tragique de la reine d'Ecosse les trois couronnes réunies sur la tête de Jacques Ier; le despotisme qui renversa le trône de Charles, et qui le fit périr sur un échafaud; l'interrègne odieux, mais brillant de l'usurpateur; le rétablissement du roi légitime; les divisions et les guerres civiles renaissantes sous ce prince; une nouvelle révolution sous son successeur; la nation entière divisée en autant de sectes dans la religion, que de partis dans le gouvernement; le roi chassé de son trône et de sa patrie; un étranger appelé pour régner en sa place; une nation épuisée par des guerres malheureuses et une suite de défaites, mais qui se relève tout-à-coup, et qui monte au plus haut point de sa gloire sous le règne d'une femme en faudroit-il davantage pour livrer toutes les muses à l'enthousiasme ? Rousseau auroit-il été réduit, s'il eût vécu en Angleterre, à adresser une ode à M. Duché sur les affaires de sa famille, et une autre à M. Pointis sur un procès que lui firent les flibustiers ?

(M. de JAUCOURT.)

Lorsqu'en Italie on entend un habile improvisateur préluder sur le clavecin, se laisser d'abord remuer les fibres par les vibrations harmoniques, et, quand tous les organes du sentiment et de la pensée sont en mouvement, chanter des vers faits impromptu sur un sujet donné, s'animer en chantant, accélérer lui-même le mouvement de l'air sur lequel il compose, et produire alors des idées, des images, des sentimens, quelquefois même d'assez Tome VIII, G

« AnteriorContinuar »