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ABUS qui se glisse dans le gouvernement démocra– tique, lorsque la vile populace est seule maîtresse des affaires. Ce terme vient de deux mots grecs qui signifient multitude et puissance.

L'ochlocratie doit être regardée comme la dégradation d'un gouvernement démocratique; mais il arrive quelquefois que ce nom, dans l'application qu'on en fait, ne suppose pas tant un véritable défaut ou une maladie réelle de l'état que quelques passions ou mécontentemens particuliers qui sont cause qu'on se prévient contre le gouvernement présent. Des esprits orgueilleux qui ne sauroient souffrir l'égalité d'un état populaire, voyant que, dans ce gouvernement, chacun a droit de, suffrage dans les assemblées où l'on traite des affaires de la république', et que cependant la populace y fait le plus grand nombre, appellent à tort cet état une ochlocratie; comme qui diroit un gouvernement où la canaille est la maîtresse, et où les personnes d'un mérite distingué, tels qu'ils se croient eux-mêmes, n'ont aucun avantage par dessus les autres; c'est oublier que telle est la constitution essentielle d'un gouvernement populaire, que tous les citoyens ont également leur voix dans les affaires qui concernent le bien public. Mais, dit Cicéron, on auroit raison de traiter d'ochlocratie une république où il se feroit quelque ordonnance du peuple, semblable à celle des anciens Ephésiens, qui, en chassant le philosophe Hermodose, déclarèrent que personne chez eux ne devoit se distinguer des autres par son mérite.

Il est vrai de dire que le gouvernert démocratique ou populaire est le pire de tous; qu' ne peut jamais convenir à un état d'une grande étendue, et que même, dans les plus petit états, il est la source d'une infinité de troubles et de divisions qui ne laissent jouir les citoyens d'aucune tranquillité.

(M. de JAUCOURT.)

DANS la poésie grecque et latine, l'ode est une pièce

de vers qui se chantoit, et dont la lyre accompagnoit la voix. Le mot odè signifie chant, chanson, hymne, cantique.

Dans la poésie française, l'ode est un poème lyrique, composé d'un nombre égal de rimes plates ou croisées, et qui se distingue par strophes, qui doivent être égales entre elles, et dont la première fixe la mesure des autres.

L'ode, avec plus d'éclat et non moins d'énergie,
Elevant jusqu'au ciel son vol ambitieux,

Entretient dans ses vers commerce avec les dieux;

Chante un vainqueur poudreux au bout de la carrière;
Mène Achille sanglant au bord du Simoïs,
Ou fait fléchir l'Escaut sous le joug de Louis;

Son style impétueux souvent marche au hasard,
Chez elle un beau désordre est un effet de l'art.

C'est Boileau qui parle, et qui, dans ses beaux vers, si dignes de la sublime matière qu'il traite, donne sur cette espèce de poésie des préceptes excellens qu'il a essayé de pratiquer lui-même, mais avec assez peu de succès.

Comme l'ode est une poésie faite pour exprimer les sentimens les plus passionnés, elle admet l'enthousiasme, le sublime lyrique, la hardiesse des débuts, les écarts, les digressions, enfin le désordre poétique. Nous pouvons en croire Rousseau sur ce sujet : écoutous-le.

Si pourtant quelque esprit timide
Du Pinde ignorant les détours,
Opposoit les règles d'Euclide

Au désordre de mes discours:
Qu'il sache qu'autrefois Virgile
Fit même aux muses de Sicile
Approuver de pareils transports,
Et qu'enfin cet heureux délire
Des plus grands maîtres de la lyro
Immortalise les accords.

L'enthousiasme ou fureur poétique est ainsi nommée, parce que l'ame, qui en est remplie, est toute entière à l'objet qui la lui inspire. Ce n'est autre chose qu'un sentiment, quel qu'il soit, amour, colère, joie, admiration, tristesse, etc., produit par une idée.

Ce sentiment n'a pas proprement le nom d'enthousiasme, quand il est naturel, c'est-à-dire qu'il existe dans un homme qui l'éprouve par la réalité même de son état, mais seulement quand il se trouve dans un artiste poète, peintre, musicien, et qu'il est l'effet d'une imagination échauffée artificiellement par les objets qu'elle se représente dans la composition.

Ainsi l'enthousiasme des artistes n'est qu'un sentiment vif, produit par une idée vive, dont l'artiste se frappe lui-même.

Il est aussi, un enthousiasme doux qu'on éprouve, quand on travaille sur des sujets gracieux, délicats, et qui produisent des sentimens forts, mais paisibles.

Le sublime, qui appartient à l'ode, est un trait qui éclaire ou qui brûle. Voici comment il se forme, dit l'auteur des beaux arts réduits au même principe.

Un grand objet frappe le poète : son imagination s'élève et s'allume; elle produit des sentimens vifs, qui agissent à leur tour sur l'imagination, et augmentent encore son feu. De là les plus grands efforts pour exprimer l'état de l'ame; de là les termes riches, forts, hardis, les figures extraordinaires, les tours singuliers. C'est alors que les prophètes voient les collines du monde qui s'abaissent sous les pas de l'éternité, que la mer fuit, que les montagnes tressaillissent; c'est alors qu'Homère voit le signe de tête que Jupiter fait à Thétis, et le mouvement de son front immortel qui fait balancer l'univers.

Le sublime de l'ode consiste donc dans l'éclat des images et dans la vivacité des sentimens. C'est cette vivacité que produisent la hardiesse des débuts, les écarts, les digressions et le désordre lyrique dont nous allons maintenant parler.

Le début de l'ode est hardi, parce que, quand le poète saisit sa lyre, on le suppose frappé fortement des objets qu'il se représente. Son sentiment éclate, part comme un torrent qui rompt la digue: en conséquence, il n'est guère

possible que l'ode monte plus haut que son début; mais aussi le poète, s'il a du goût, doit s'arrêter précisément à l'endroit où il commence à descendre.

Les écarts de l'ode sont une espèce de vide entre deux idées qui n'ont point de liaison immédiate. On sait quelle est la vitesse de l'esprit. Quand l'ame est échauffée par la passion, cette vitesse est incomparablement plus grande encore. La fougue presse les pensées et les précipite; et, comme il n'est pas possible de les exprimer toutes, le poète seulement saisit les plus remarquables; et, les exprimant dans le même ordre qu'elles avoient dans son esprit, sans exprimer celles qui leur servoient de liaison, elles ont l'air d'être disparates et décousues. Elles ne se tiennent que de loin, et laissent par conséquent entre elles quelques vides qu'un lecteur remplit aisément, quand il a de l'ame et qu'il a saisi l'esprit du poète.

Les écarts ne doivent se trouver que dans les sujets qui peuvent admettre des passions vives, parce qu'ils sont l'effet d'une ame troublée, et que le trouble ne peut être causé que par des objets importans.

Les digressions dans l'ode sont des sorties que l'esprit du poète fait sur d'autres sujets voisins de celui qu'il traite, soit que la beauté de la matière l'ait tenté, ou que la stérilité du sujet l'ait obligé d'aller chercher ailleurs de quoi l'enrichir.

Il y a des digressions de deux sortes; les unes qui sont des lieux communs, des vérités générales, souvent susceptibles des plus grandes beautés poétiques, comme dans l'ode où Horace, à propos d'un voyage que Virgile fait par mer, se déchaîne contre la témérité sacrilége du genre humain que rien ne peut arrêter : l'autre espèce est des traits de l'histoire ou de la fable que le poète emploie pour prouver ce qu'il a en vue. Telle est l'histoire de Régulus, et celle d'Europe dans le même poète. Ces digressions sont plus permises aux lyriques qu'aux autres pour la raison que nous avons dite.

Le désordre poétique de l'ode consiste à présenter les choses brusquement et sans préparation, ou à les placer dans un ordre qu'elles n'ont pas naturellement c'est le désordre des choses. Il y a celui des mots d'où résultent des

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tours qui, sans être forcés, paroissent extraordinaires et irréguliers.

En général, les écarts, les digressions, le désordre, ne doivent servir qu'à varier, animer, enrichir le sujet. S'ils l'obscurcissent, le chargent, l'embarrassent, ils sont mauvais. La raison ne guidant pas le poète, il faut au moins qu'elle puisse le suivre; sans cela l'enthousiasme n'est 'qu'un délire, et les égaremens qu'une folie.

Des observations précédentes on peut tirer deux conséquences. La première est que l'ode ne doit avoir qu'une étendue médiocre; car si elle est toute dans le scntiment et dans le sentiment produit à la vue d'un objet, il n'est pas possible qu'elle se soutienne long-temps: aussi voit-on que les meilleurs lyriques se contentent de présenter leur objet sous les différentes faces qui peuvent produire ou entretenir la même impression; après quoi ils l'abandonnent presque aussi brusquement qu'ils l'avoient saisi.

La seconde conséquence est qu'il doit y avoir dans une ode unité de sentiment, de même qu'il y a unité d'action dans l'épopée et dans le drame. On peut, on doit même varier les images, les pensées, les tours, mais de manière qu'ils soient toujours analogues à la passion qui règne. Cette passion peut se replier sur elle-même, se développer plus ou moins, se retourner; mais elle ne doit ni changer de nature, ni céder sa place à une autre. Si c'est la joie qui a fait prendre la lyre, elle pourra bien s'égarer dans ses transports, mais ce ne sera jamais en tristesse; ce seroit un défaut impardonnable. Si c'est par un sentiment de haine qu'on débute, on ne finira point par l'amour, ou bien ce sera un amour de la chose opposée à celle qu'on haïssoit; et alors c'est toujours le premier sentiment qui est seulement déguisé. Il en est de même des autres sentimens.

Il y a des odes de quatre espèces. L'ode sacrée qui s'adresse à Dieu, et qui s'appelle hymne ou cantique. C'est l'expression d'une ame qui admire avec transport la grandeur, la toute-puissance, la sagesse de l'Etre-Suprême, et qui lui témoigne son ravissement. Tels sont les cantiques de Moïse, ceux des prophètes, et les pseaumes de David.

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