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peuple. Cependant une noblesse trop nombreuse rend d'ordinaire un état monarchique moins puissant; car, outre que c'est une surcharge de dépenses, il arrive que la plu part des nobles,deviennent pauvres avec le temps; ce qui fait une espèce de disproportion entre les honneurs et les

biens.

La noblesse, dans l'aristocratie, tend toujours à jouir d'une autorité sans bornes; c'est pourquoi, lorsque les nobles y sont en grand nombre, il faut un sénat qui règle les affaires que le corps des nobles ne sauroit décider, et qui prépare celles dont il décide. Autant il est aisé au corps des nobles de réprimer les autres dans l'aristocratie, autant est-il difficile qu'il se réprime lui-même; telle est la nature de cette constitution, qu'il semble qu'elle mette les mêmes gens sous la puissance des lois, et qu'elle les en retire or un corps pareil ne peut se réprimer que de deux manières, ou par une grande vertu, qui fait que les nobles se trouvent en quelque façon égaux à leur peuple, ce qui peut former une sorte de république, ou par une vertu moindre, qui est une certaine modération qui rend les nobles au moins égaux à eux-mêmes.; ce qui fait leur

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conservation.

La pauvreté extrême des nobles et leurs richesses exorbitantes sont deux choses pernicieuses dans l'aristocratie: Pour prévenir leur pauvreté, il faut sur tout les obliger de bonne heure à payer leurs dettes. Pour modérer leurs richesses, il faut des dispositions sages et insensibles, non pas des confiscations, des lois agraires ni des abolitions de dettes, qui font des maux infinis.

Dans l'aristocratie, les lois doivent ôter le droit d'aînesse entre les nobles, comme il est établi à Venise, afin que, par le partage continuel des successions, les fortunes se remettent toujours dans l'égalité. Il ne faut point, par conséquent, de substitutions, de retraits lignagers, de majorats, d'adoptions; en un mot, tous les moyens inventés pour soutenir la noblesse dans les états monarchiques tendroient à établir la tyrannie dans l'aristo

cratie.

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Quand les lois ont égalisé les familles, il leur reste à maintenir l'union entre elles. Les différends des nobles

doivent être promptement décidés; sans cela, les contestations entre les personnes deviennent des contestations entre les familles. Des arbitres peuvent terminer les procès, ou les empêcher de naître.

Enfin il ne faut point que les lois favorisent les distinctions que la vanité met entre les familles, sous prétexte qu'elles sont plus nobles et plus anciennes; cela doit être mis au rang des petitesses des particuliers.

Les démocraties n'ont pas besoin de noblesse; elles sont même plus tranquilles quand il n'y a pas de familles nobles; car alors on regarde à la chose proposée, et non pas à celuï qui la propose; ou quand il arrive qu'on y regarde, ce n'est qu'autant qu'il peut être utile pour la faire, et non pas pour ses armes et sa généalogie. La république des Suisses, par exemple, se soutient fort bien, malgré la diversité de religion et de cantons, parce que l'utilité, et non pas le respect, fait son lien. Le gouvernement des Provinces-Unies a cet avantage que l'égalité dans les personnes produit l'égalité dans les conseils, et fait que les taxes et les contributions sont payées de meilleure volonté.

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A l'égard de la noblesse dans les particuliers, si l'on at une espèce de respect pour un vieux château, ou pour un bâtiment qui a résisté au temps, ou même pour un bel et grand arbre qui est frais et entier, malgré sa vieillesse, combien en doit-on plus avoir pour une noble et ancienne famille qui s'est maintenue contre les orages des temps? La noblesse nouvelle est l'ouvrage du pouvoir du prince; mais l'ancienne est l'ouvrage du temps seul; celle-ci inspire plus de talens, l'autre plus de grandeur d'ame.

Ceux qui sont les premiers élevés à la noblesse ont ordinairement plus de génie, mais moins d'innocence que leurs descendans. La route des honneurs est coupée de petits sentiers tortueux, que l'on suit souvent plutôt que de prendre le chemin de la droiture.

Une naissance noble étouffe communément l'industrie et l'émulation. Les nobles n'ont pas tant de chemin à faire que les autres pour monter aux plus hauts degrés; et celui qui est arrêté tandis que les autres montent a connu, pour l'ordinaire, des mouvemens d'envie. Mais la noblessé

étant dans la possession de jouir des honneurs, cette pos-' session éteint l'envie qu'on lui porteroit si elle en jouissoit nouvellement. Les rois qui peuvent choisir dans leur noblesse des gens prudens et capables trouvent, en les em-' ployant, beaucoup d'avantages et de facilité; le peuple 'se plie naturellement sous eux comme sous des gens qui sont nés pour commander.

La noblesse est un titre d'honneur qui distingue du' commun des hommes ceux qui en sont décorés, et les fait jouir de plusieurs priviléges.

Cicéron dit que la noblesse n'est autre chose qu'une' vertu connue, parce qu'en effet le premier établissement de la noblesse tire son origine de l'estime et de la considéque l'on doit à la vertu.

ration

C'est principalement à la sagesse et à la vaillance que l'on a d'abord attaché la noblesse; mais, quoique le mêrite et la vertu soient toujours également estimables, et qu'il fût à desirer qu'il n'y eût point d'autre voie pour acquérir la noblesse; qu'elle soit en effet encore quelquefois accordée pour récompense à ceux dont on veut honorer les belles qualités, il s'en faut beaucoup que tous ceux en qui ces mêmes dons brillent soient gratifiés de la même distinction."

La noblesse des sentimens ne suffit pas pour attribuer la noblesse proprement dite, qui est un état civil que l'on ne peut acquérir que par la loi. Il en est de même de cer taines fonctions honorables, qui, dans certains pays donnent la qualité de noble, sans communiquer les autres titrés de vraie noblesse ni tous les priviléges attachés à la noblesse proprement dite.

La nature a fait tous les hommes égaux; elle n'a établi d'autre distinction parmi eux, que celle qui résulte des liens du sang, telle que la puissance des pères et mères sur leurs enfans. Mais les hommes, jaloux chacun de s'élever, au dessus de leurs semblables, ont été ingénieux à établir diverses distinctions entre eux, dont la noblesse est une des principales. Il n'y a guère de nation policée qui n'ait eu quelque idée de la noblesse. Il est parlé des nobles dans le Deuteronome; on entendoit -là ceux qui étoient connus et distingués du commun, et qui furent

par

établis princes et tribuns pour gouverner le peuple. Il y avoit dans l'ancienne loi une sorte de noblesse attachée aux aînés mâles et à ceux qui étoient destinés au service de Dieu.

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Thésée, chef des Athéniens, qui donna chez les Grecs la première idée de la noblesse, distingua les nobles des artisans, choisissant les premiers pour connoître des affaires de la religion, et ordonnant qu'ils pourroient seuls être élus magistrats. Solon le législateur en usa de même, au rapport de Denis d'Halicarnasse. On l'a trouvée établie dans les pays les plus éloignés, au Pérou, au Mexique et jusque dans les Indes orientales.

Un gentilhomme japonois ne s'allieroit pas pour tout l'or du monde à une femme roturière.

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Les naires de la côte de Malabar, qui sont les nobles du pays, où l'on compte jusqu'à dix-huit sortes de conditions d'hommes, ne se laissent seulement pas toucher ni approcher de leurs inférieurs; ils ont même droit de les tuer s'ils les trouvent dans leur chemin allant par les champs; ce que ces misérables évitent de tout leur possible, par des cris perpétuels dont ils remplissent la campagne.

Quoique les Turcs ne connoissent pas la noblesse telle qu'elle a lieu parmi nous, il y a chez eux une espèce de noblesse attachée à ceux de la lignée de Mahomet, que l'on nomme chérifs; ils sont en telle vénération, qu'eux seuls ont droit de porter le turban vert, et qu'ils ne peuvent point être reprochés en justice.

Il y a en Russie beaucoup de princes et de gentilshommes. Anciennement, et jusqu'au commencement de ce siècle, la noblesse de cet état n'étoit pas appréciée par son ancienneté, mais par le nombre des gens de mé rite que chaque famille avoit donnés à l'état. Le czar Théodore porta un terrible coup à toute la noblesse ; il la convoqua un jour, avec ordre d'apporter à la cour ses chartres et ses priviléges; il s'en empara et les jeta au feu, et déclara qu'à l'avenir les titres de noblesse de ses sujets seroient fondés uniquement sur leur mérite, et non pas sur leur naissance. Pierre-le-Grand ordonna pareillement que, sans aucun égard aux familles, on observeroit le rang selon la charge et les mérites de chaque particulier;

cependant, par rapport à la noblesse de naissance, on divise les princes en trois classes, selon que leur origine est plus ou moins illustre. La noblesse est de même divisée en quatre classes; savoir, celle qui a toujours été regardée comme égale aux princes; celle qui a des alliances avec les czars; celle qui s'est élevée par son mérite sous les règnes d'Alexis et de Pierre Îo; enfin les familles étrangères qui, sous les mêmes règnes, sont parvenues aux premières charges.

Les Romains, dont nous avons emprunté plusieurs usages, avoient aussi une espèce de noblesse, et même héréditaire. Elle fut introduite par Romulus, lequel divisa ses sujets en deux classes, l'une des sénateurs, qu'il appela pères, et l'autre classe, composée du reste du peuple, qu'on appela les plébéiens, qui étoient comme sont aujourd'hui parmi nous les roturiers.

Par succession de temps, les descendans de ces premiers sénateurs, qu'on appeloit patriciens, prétendirent qu'eux seuls étoient habiles à être nommés sénateurs, et conséquemment à remplir toutes les dignités et charges qui étoient affectées aux sénateurs, telles que celles des sacrifices, les magistratures, enfin l'administration presque entière de l'état. La distinction entre les patriciens et les plébéiens étoit si grande, qu'ils ne prenoient point d'alliance ensemble, et, quand tout le peuple étoit convoqué, les patriciens étoient appelés chacun par leur nom et par celui de l'auteur de leur race au lieu que les plébéiens n'étoient appelés que par curies, centuries ou tribus.

Les patriciens jouirent de ces prérogatives tant que les rois se maintinrent à Rome; mais, après l'expulsion de ceux-ci, les plébéiéns, qui étoient en plus grand nombre que les patriciens, acquirent tant d'autorité, qu'ils obtinrent d'abord d'être admis dans le sénat, ensuite aux magistratures, puis au consulát, et enfin jusqu'à la dictature et aux fonctions des sacrifices; de sorte qu'il ne resta d'autre avantage aux patriciens sur les plébéiens qui étoient élevés à ces honneurs, sinon la gloire d'être descendus des premières et des plus anciennes familles nobles de Rome. On peut comparer à ce changement celui qui est

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