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Le duc de Parme fut envoyé par Philippe II au secours de Paris avec une puissante armée. Henri IV courut lui présenter la bataille; et c'est alors qu'il écrivit, du champ où il croyoit combattre, ces deux lignes à la belle Gabrielle d'Estrées : « Si je meurs, ma dernière pensée sera » à Dieu, et l'avant-dernière à vous ». Le duc de Parme n'accepta point la bataille, il empêcha seulement la prise de Paris; mais Henri IV, le côtoyant jusqu'aux dernières frontières de la Picardie, le fit rentrer en Flandre, et bientôt après il lui fit lever le siége de Rouen.

Cependant les citoyens, lassés de leurs malheurs, soupiroient après la paix; mais le peuple étoit retenu par la religion. Henri IV changea la sienne, et cet événement porta le dernier coup à la ligue. Il est vrai qu'on a depuis appliqué les vers suivans à la conduite de ce prince:

Pour le point de conviction,

Au jugement du ciel un chrétien l'abandonne';

1

Mais souffrez que l'homme soupçonne

Un acte de religion

Qui se propose une couronne.

....))

On voit assez ce qu'il pensoit lui-même de sa conversion, par ce billet à Gabrielle d'Estrées; « C'est demain » que je fais le saut périlleux; je crois que ces gens-ci me » feront hair saint Denis autant que vous laissez.... Personne ne fut plus affligé de l'abjuration de Henri IV que la reine Elisabeth, La lettre qu'elle écrivit alors à ce prince est bien remarquable, en ce qu'elle fait voir en même temps son cœur son esprit, et l'énergie avec la quelle elle s'exprimoit dans une langue étrangère : « Vous m'offrez, dit-elle, votre amitié comme à votre sœur. Je sais que je l'ai méritée et certes à un très-grand » prix. Je ne m'en répentirois pas, si vous n'aviez pas » change de père; je ne peux plus être votre sœur de » père, car j'aunerai toujours plus chèrement celui qui » m'est propre que celui qui vous a adopté. »

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La connversion d'Henri IV n'augmentoit en rien son droit à la couronne, mais elle hâta son entrée dans sa capitale, sans qu'il y eût presque de sang répandu. Il renvoya tous les étrangers qu'il pouvoit retenir prisonniers; il pardonna

à tous les ligueurs. Il se réconcilia sincèrement avec le duc de Mayenne, et lui donna le gouvernement de l'Isle de France. Non seulement il lui dit, après l'avoir lassé un jour dans une promenade : « Mon cousin, voilà le seul mal que » je vous ferai de ma vie, » mais il lui tint parole, et il n'en manqua jamais à personne.

Il recouvra son royaume pauvre, déchiré, et dans la même subversion où il avoit été du temps de Philippe de Valois, de Jean et de Charles VI. Il se vit forcé d'accorder plus de graces à ses propres ennemis qu'à ses anciens serviteurs, et son changement de religion ne le garantit pas de plusieurs attentats contre sa vie. Les finances de l'état, dissipées sous Henri III, n'étoient plus qu'un trafic public des restes du sang du peuple, que le conseil des finances partageoit avec les traitans. En un mot, quand la déprédation générale força Henri IV à donner l'administration entière des finances au duc de Sully, ce ministre, aussi éclairé qu'intègre, trouva qu'en 1596, on levoit cent cinquante millions sur le peuple, pour en faire entrer environ trente dans le trésor royal.

Si Henri IV n'avoit été que le plus brave prince de son temps, le plus clément, le plus droit, le plus honnête homme, son royaume étoit ruiné : il falloit un prince qui sût faire la guerre et la paix, connoître toutes les blessures de son état et appliquer les remèdes, veiller sur les grandes et les petites choses, tout réformer et tout faire : c'est ce qu'on trouva dans Henri. Il joignit l'administration de Charles-le-Sage à la valeur et à la fran-chise de François Ier et à la bonté de Louis XII.

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Pour subvenir à tant de besoins, Henri IV convoqua dans Rouen une assemblée des notables du royaume, et leur tint ce discours digne de l'immortalité, et dans lequel brille l'éloquence du cœur d'un héros.

« Déjà, par la faveur du ciel, par les conseils de mes >> bons serviteurs, et par l'épée de ma brave noblesse dont »je ne distingue point mes princes, la qualité de gentil>> homme étant notre plus beau titre, j'ai tiré cet état de » la servitude et de la ruine. Je veux lui rendre sa for>> tune et sa splendeur; participez à cette seconde gloire, >> comme vous avez eu part à la première. Je ne vous a

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» point appelés, comme faisoient mes prédécesseurs, pour » vous obliger d'approuver aveuglément mes volontés, >> mais pour recevoir vos conseils, pour les croire, pour » les suivre, pour me mettre en tutelle entre vos mains. » C'est une envie qui ne prend guère aux rois, aux victo>> rieux et aux barbes grises; mais l'amour que je porte >> à mes sujets me rend tout possible et tout honorable. »

Au milieu de ces travaux et de ces dangers continuels, les Espagnols surprirent Amiens. Henri, dans ce nouveau malheur, manquoit d'argent et étoit malade. Cependant il assemble quelques troupes, il marche sur la frontière de Picardie, et revole à Paris, écrit de sa main aux parlemens, aux communautés, pour obtenir de quoi nourrir ceux qui défendoient l'état; ce sont ses paroles. Il va lui-même au parlement de Paris : « Si on me donne une » armée, dit-il, je donnerai gaiement ma vie pour vous » sauver et pour relever l'état. »

Enfin, par des emprunts, par les soins infatigables et par l'économie du duc de Sully, si digne de le servir il vint à bout d'assembler une florissante armée. Il reprit Amiens à la vue de l'archiduc Albert, et de là il courut pacifier le reste du royaume, à quoi il ne trouva plus d'obstacles. Le pape qui lui avoit refusé l'absolution quand il n'étoit pas affermi, la lui donna quand il fut victorieux. Il conclut à Vervins la paix avec l'Espagne, et ce fut le premier traité avantageux que la France fit depuis Philippe Auguste.

et

Alors il mit tous ses soins à faire fieurir son royaume, paya peu à peu toutes les dettes de la couronne, sans fouler les peuples. La justice fut réformée; les troupes inutiles furent licenciées; l'ordre dans les finances succéda au plus odieux brigandage; le commerce et les arts revinrent en honneur. Henri IV établit des manufactures de tapisseries et de petites glaces dans le goût de Venise. Il fit creuser le canal de Briare, par lequel on a joint la Seine et la Loire. Il agrandit et embellit Paris. Il forma la place royale: il fit construire ce beau pont, où les peuples regardent aujourd'hui sa statue avec tendresse. Il augmenta Saint-Germain, Fontainebleau, et sur-tout le

Louvre, où il logea, sous cette longue galerie, qui est son ouvrage, des artistes en tout genre. Il est encore le vrai fondateur de la bibliothèque royale; il en donna la garde à Casanbon, en lui disant : « Vous me direz ce qu'il y >> a de meilleur dans tous ces beaux livres; car il faut >> j'en apprenne quelque chose par votre secours. »

que

Quand dom Pèdre, de Tolède, fut envoyé par Philippe III en ambassade auprès de Henri, il ne reconnut plus cette ville qu'il avoit vue autrefois si malheureuse et si languissante: « C'est qu'alors le père de famille n'y » étoit pas, lui dit Henri; et, aujourd'hui qu'il a soin » de ses enfans, ils prospèrent. » Les jeux, les fêtes, les bals, les ballets introduits à la cour par Catherine de Médicis, dans les temps même des troubles, ornèrent, sous Henri IV, les temps de la paix et de la félicité.

En faisant ainsi fleurir son royaume, il fut le pacificateur de l'Italie. Le Béarnois, que les papes avoient excommunié, leur fit lever l'excommunication sur Venise. Il protégea la république, naissante de la Hollande, l'aida de ses épargnes, et contribua à la faire reconnoître libre et indépendante par l'Espagne. Dejà, par son rang, par ses alliances, par ses armes, il alloit changer le systême de l'Europe, s'en rendre arbitre, et mettre le comble à sa gloire, quand il fut assassiné, au milieu de son peuple, par un fanatique effréné, à qui il n'avoit jamais fait le moindre mal. Il est vrai que Ravaillac, qui trancha les jours de ce bon roi, ne fut que l'instrument aveugle de l'esprit du temps, qui n'étoit pas moins aveugle. Barrière, Châtel, le chartreux nommé Quin, un vicaire de SaintNicolas-des.Champs, pendu en 1595, un tapissier en 1596, un malheureux qui étoit ou qui contrefaisoit l'insensé, d'autres, dont le nom m'échappe, méditèrent le même assassinat; presque tous jeunes gens et tous de la lie du peuple, tant la religion devient fureur dans la populace et dans la jeunesse ! De tous les assassins que ce siècle affreux produisit, il n'y eut que Poltrot de Méré qui fût gentilhomme.

Quelques auteurs se sont appliqués à exténuer les grandes actions de Henri IV, et à mettre en vue ses défauts

Ce bon prince n'ignoroit pas les médisances que l'on répandoit contre lui, mais il en parloit lui-même avec cette ingénuité et cette modération qui confondent la calomnie et diminuent les torts. Voici ses propres paroles tirées d'une de ses lettres à Sully:

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« Les uns me blâment d'aimer trop les bâtimens et les >> riches ouvrages; les autres, la chasse, les chiens et les >> oiseaux; les autres, les cartes, les dez et autres sortes » de jeux; les autres, les dames, les délices de l'amour; >> les autres, les festins, banquets, saupiquets et friandises; » les autres, les assemblées, comédies, bals, danses et » courses de bagues, où, disent-ils, pour me blâmer, l'on me voit encore comparoître avec ma barbe grise, aussi » réjoui, et prenant autant de vanité d'avoir fait une belle » course, donné deux ou trois dedans, et cela, disent-ils >> en riant, et gagné une bague de quelque belle dame, » que je pouvois faire en ma jeunesse, ni que faisoit » l'homme le plus vain de ma cour. En tous lesquels dis>> cours je ne nierai pas qu'il ne puisse y avoir quelque >> chose de vrai; mais aussi dirai-je que, ne passant pas >> mesure, il me devroit plutôt être dit en louange qu'en » blâme, et en tout cas me devroit-on excuser la licence » en tels divertissemens qui n'apportent nul dommage et >> incommodité à mes peuples, par forme de compensa» tion, de tant d'amertumes que j'ai goûtées, et de tant » d'ennuis, déplaisirs, fatigues, périls et dangers, par » lesquels j'ai passé depuis mon enfance jusqu'à cinquante

>>> ans.

» L'écriture n'ordonne pas absolument de n'avoir point » de péchés ni défauts, d'autant que telles infirmités sont >> attachées à l'impétuosité et promptitude de la nature » humaine; mais bien de n'en être pas dominés, ni les » laisser régner sur nos volontés, qui est ce à quoi je » me suis étudié, ne pouvant faire mieux. Et vous savez, >> par beaucoup de choses qui se sont passées touchant » mes maîtresses qui ont été les passions que tout le » monde a crues plus puissantes sur moi, si je n'ai pas » souvent maintenu vos opinions contre leurs fantaisies, » jusques à leur avoir dit, lorsqu'elles faisoient les aca

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