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son travail et ses plaisirs s'augmentent et se varient; l'exécution, il est vrai, en est souvent traversée par des circonstances imprévues, par la perfidie de ses faux amis, par le pouvoir de ses ennemis; mais la fidélité de quelques hommes le dédommage de la fausseté des autres. Les affaires d'état, me dira-t-on, sont, pour celui qui s'en mêle, une espèce de loterie, à la bonne heure; mais c'est une loterie où l'homme vertueux ne sauroit perdre. Si le succès lui est favorable, il jouira d'une satisfaction proportionnée au bien qu'il aura fait; si le succès lui est contraire, et que les partis opprimans viennent à prévaloir, il aura toujours pour consolation le témoignage de sa conscience, et la jouissance de l'honneur qu'il s'est acquis.

Lorsque la fortune eut préparé les événemens pour abattre la république romaine, Caton, par sa vertu, en arrêta pendant quelque temps l'écroulement. S'il ne put sauver la liberté de Rome, il en prolongea la durée. La république auroit été détruite par Catilina, soutenu de César, de Crassus et de leurs semblables, si elle n'avoit été défendue par Cicéron, appuyée par Caton et quelques patriotes. Je crois bien que Caton marqua trop de sévérité pour les mœurs de Rome, qui, depuis long-temps, étoit abandonnée à la plus grande corruption; il traita peut-être mal-adroitement un corps usé mais si ce citoyen patriote et vertueux se trompa dans ses remèdes, il a mérité la gloire qu'il s'est acquise par la fermeté de sa conduite, en consacrant sa vie au service de sa patrie. Il auroit été plus digne de louanges, s'il avoit persisté jusqu'à la fin à en défendre la liberté ; sa mort eût été plus belle à Munda qu'à Utique.

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Après tout, si ce grand homme, presque seul, a balancé par son patriotisme le pouvoir de la fortune, à plus forte raison plusieurs bons patriotes, dans une nation libre, peuvent, par leur courage et leurs travaux, défendre la constitution de l'état contre les entreprises, de gens mal-intentionnés, qui n'ont ni les richesses de Crassus, ni la réputation de Pompée, ni la conduite de César, ni le manége d'Antoine, mais tout au plus la fureur d'un Catilina, et l'indécence d'un Clodius.

Quant à moi qui, par des événemens particuliers, n'ai

jamais eu le bonheur de servir la patrie dans aucun emploi public, j'ai du moins consacré mes jours à tâcher de connoître les devoirs des patriotes, et peut-être aujourd'hui suis-je en état de les indiquer et de les peindre.

Il n'y a et ne peut y avoir ni liberté ni bonheur dans un pays corrompu. Là où régneront la religion, la vertu, les mœurs, là sera la patrie de la liberté.

Pour être un vrai patriote, il faut une ame grande, il faut des lumières, il faut un cœur honnête, il faut de la vertu. Le véritable patriotisme est une passion noble, fière, généreuse; il est incompatible avec l'avarice, passion toujours sordide, basse, insociable. Un peuple enivré de l'amour de l'argent ne trouve rien de plus estimable que l'argent; il craint la pauvreté ou la médiocrité comme le comble de l'infortune, et sacrifiera tout au desir de s'enrichir.

Une nation vénale, vicieuse, corrompue, peut-elle donc long-temps conserver sa liberté? Elle ne fait cas de cette, liberté qu'autant qu'elle lui procure les moyens de s'enrichir. La liberté, pour être sentie et conservée, demande des ames nobles, courageuses, vertueuses; sans cela, elle dégénère en licence, et finit par devenir la proie du maître qui aura de quoi corrompre. Un peuple sans religion et sans mœurs n'est pas fait pour être libre; un peuple injuste pour les autres, un peuple brûlé de la soif de l'or, un peuple conquérant, un peuple ennemi de la liberté d'autrui, un peuple jaloux même de ses concitoyens ou des sujets d'un même étát, a-t-il des idées vraies de la liberté ? La liberté véritable doit être accompagnée de l'amour de l'équité, de l'humanité, d'un sentiment profond des droits du genre humain; ces sentimens ne peuvent être que le fruit d'une éducation vertueuse et généreuse, établie sur les bases de la morale, de la raison et de la saine philosophie...

Rome, Athènes et Lacédémone, durent leur existence et leur gloire au patriotisme toujours fondé sur de grands principes et soutenu par de grandes vertus: aussi est-ce à ce feu sacré qu'est attachée la conservation des empires; mais le patriotisme le plus parfait est celui qu'on possède quand on est si rempli de la sainteté des droits du genre

humain

humain, qu'on les respecte vis-à-vis de tous les peuples du monde. L'auteur de l'Esprit des Lois étoit pénétré des sentimens de ce patriotisme universel. Il avoit puisé ces sentimens dans son cœur, et les avoit trouvés établis dans une île voisine, où l'on en suit la pratique dans tous les pays de sa domination; non pas seulement au milieu de la paix, mais après le sort heureux des victoires et des conquêtes.

Le nom de patriote, qui ne devroit désigner que des citoyens vertueux et amis de l'humanité, a été prodigué en France à des hommes qui se sont tellement rendus odieux par leurs crimes, qu'il est à craindre qu'à l'avenir ce titre ne soit redouté comme le signal du meurtre et du pillage.

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VILLE de France regardée comme capitale du Béarn,

avec un parlement, une chambre des comptes et une cour des aides unies au parlement, une sénéchaussée, un hôtel des monnoies. Elle est sur une hauteur, au pied de laquelle passe le Gave Béarnois, à cent soixante-sept lieues de Paris.

Henri IV naquit à Pau, le 13 décembre 1553, dans le château qui est au bout de la ville. La France n'a point eu de meilleur ni de plus grand roi, il unit aux sentimens les plus élevés une simplicité de mœurs charmante, et à un courage de soldat un fonds d'humanité inépuisable. Il rencontra ce qui forme et ce qui déclare les grands hommes, des obstacles à vaincre, des périls à essuyer, et sur-tout des adversaires dignes de lui. Enfin, comme l'a dit un de nos plus grands poètes,

Il fut de ses sujets le vainqueur et le père.

Il ne faut pas lire la vie de ce monarque dans le père Daniel, qui ne dit rien de tout le bien qu'il fit à la patrie; mais, pour l'exemple des rois et pour la consolation des peuples, il importe de lire ce qui concerne les temps de ce bon prince dans la grande histoire de Mézerai, dans Péréfixe et dans les mémoires de Sully. Le précis que M. de Voltaire en a fait dans son Histoire générale est aussi trop intéressant pour n'en pas transcrire ici quelques particularités.

Henri IV, dès son enfance, fut nourri dans les troubles et dans les malheurs. Il se trouva, à quatorze ans, à la bataille de Moncontour; rappelé à Paris, il n'épousa la sœur de Charles IX que pour voir ses amis assassinés autour de lui, pour courir lui-même risque de sa vie, et pour rester près de trois ans prisonnier d'état. Il ne sortit de sa prison que pour essuyer toutes les fatigues et toutes les fortunes de la guerre. Manquant souvent du nécessaire, s'exposant comme le plus hardi soldat, faisant des actions qui ne paroissent pas croyables, et qui ne le deviennent

que parce qu'il les a répétées, comme lorsqu'à la prise de Cahors, en 1580, il fut sous les armes pendant trois jours, combattant de rue en rue, sans presque prendre de La victoire de Coutras fut due principalement à son courage; son humanité après la victoire devoit lui gagner tous les cœurs.

repos.

Le meurtre de Henri III le fit roi de France; mais la religion servit de prétexte à la moitié des chefs de l'armée et à la ligue, pour ne pas le reconnoître. Il n'avoit pour lui que la justice de sa cause, son courage, quelques amis, et une petite armée, qui ne monta presque jamais à douze mille hommes complets. Cependant, avec environ cinq mille combattans, il battit, à la journée d'Arques, auprès de Dieppe, l'armée du duc de Mayenne, forte de plus de vingt-cinq mille hommes. Il livra au même duc de Mayenne la fameuse bataille d'Ivry, et gagna cette bataille comme il avoit gagné celle de Coutras, en se jetant dans les rangs ennemis, au milieu d'une forêt de lances. On se souviendra dans tous les siècles des paroles qu'il dit à ses troupes : « Si vous perdez vos enseignes, ralliez-vous à mon pa » nache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de >> l'honneur et de la gloire. »

Profitant de la victoire, il vint avec quinze mille hommes assiéger Paris, où se trouvoient alors cent quatre-vingt mille habitans. Il est constant qu'il l'eût pris par famine, s'il n'avoit pas permis lui-même, par trop de pitié, que les assiégeans nourrissent les assiégés. En vain ses généraux publioient sous ses ordres des défenses, sous peine de mort, de fournir des vivres aux Parisiens; les soldats leur en vendoient. Un jour que, pour faire un exemple, on alloit pendre deux paysans qui avoient amené des charettes de pain à une poterne, Henri les rencontra en allant visiter ses quartiers; ils se jetèrent à ses genoux, et lui remontrèrent qu'ils n'avoient que cette manière de gagner leur vie : « Allez en paix, leur dit le roi, en leur » donnant aussitôt l'argent qu'il avoit sur lui; le Béarnois » est pauvre, ajouta-t-il; s'il en avoit davantage, il vous » le donneroit ». Un cœur bien né ne peut pas lire de pareils traits sans quelques larmes d'admiration et de tendresse.

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