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encore sur les moyens, donnés par la nature,

et d'émouvoir.

d'intéresser

Dans ce dialogue où Cicéron a mis en scène MarcAntoine et Crassus raisonnant sur leur art, il faut les entendre se rappeler l'un à l'autre les effets étonnans que leur pathétique a produits; c'est là qu'on voit que le juste et l'injuste, le vrai, le faux, le crime, l'innocence, tout leur étoit indifférent ; qu'une bonne cause étoit pour eux celle qui prêtoit à leur éloquence des moyens de troubler l'entendement des juges, de leur faire oublier les lois, et de les remuer au point que la passion, dominant leur raison et leur volonté même, dictât seule leur jugement.

Le même Antoine avoue à Sulpicius qu'il a gagné contre lui la plus mauvaise cause, et il dit comment il s'y est pris, comment il a fait succéder la douceur à la véhémence, comment il a triomphé de l'accusation plus par l'émotion des ames que par la conviction des esprits.

Mais la grande leçon qu'il donne aux jeunes orateurs, c'est de se pénétrer eux-mêmes des sentimens passionnés qu'ils veulent communiquer aux juges. Il est impossible, dit-il, que l'auditeur soit ému, si l'orateur ne l'est pas. Pour moi, ajoute-t-il, je n'ai jamais su inspirer que ce que j'ai profondément senti: mais il ne s'agit pas seulement de savoir inspirer la commisération, il faut, dit-il, savoir de même irriter ou appaiser le juge.

Ainsi l'orateur se regardoit comme un homme tout dévoué à son client; et son devoir, sa foi, sa probité, son honneur, consistoient à le bien défendre.

Mais le sûr moyen de n'employer jamais le pathétique inutilement et à froid, c'est de le réserver aux causes qui en sont susceptibles, et de s'en abstenir dans celles où les esprits, trop aliénés, en repousseroient l'impression.

C'est une étude intéresssante pour l'orateur, et plus sérieuse encore pour les juges, que de voir de combien de manières on peut s'y prendre pour les séduire, les étourdir, les égarer dans leurs jugemens, et soulever en eux toutes les passions contre l'équité naturelle.

Il est donc bien vrai que l'éloquence pathétique fut, dans tous les temps, au barreau, une éloquence piperesse, comme l'appelle Montagne; et l'on ne sauroit trop recom

mander aux juges d'en étudier les tours et d'adresse et de force, pour apprendre à s'en garantir.

Le pathétique de la chaire a pour moyens la crainte, l'espérance, la tendre piété, la commisération pour soimême et pour ses semblables, le grand intérêt de l'avenir. On en voit peu d'exemples dans nos célèbres orateurs: ils semblent avoir une sorte de pudeur qui les modère et qui les refroidit. En se livrant aux grands mouvemens de l'éloquence, ils croiroient prêcher en missionnaires; et c'est alors qu'ils seroient sublimes. Bossuet ne l'a jamais été plus que dans l'oraison funèbre d'Henriette. Massillon est fort au dessus de lui-même dans son sermon du Pécheur mourant. Si Bourdaloue avoit eu autant de chaleur dans

ses

mouvemens et dans ses peintures que de vigueur dans ses raisonnemens, rien jamais, dans ce genre, ne l'auroit égalé.

C'est donc en effet dans les missionnaires qu'il faut chercher les grands mouvemens de l'éloquence pathétique ; et il reste un moyen de porter le talent de la chaire plus loin qu'il n'a jamais été c'est de composer comme Bourdaloue, d'écrire comme Massillon, et de se livrer aux mouvemens d'une ame profondément émue, comme Bridaine.

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(M. MARMONTEL.)

PATIENCE.

LA patience est une vertu qui nous fait supporter un

mal qu'on ne sauroit empêcher. Or on peut réduire à quatre classes les maux dont notre vie est traversée :-1° les maux naturels, c'est-à-dire ceux auxquels notre qualité d'hommes et d'animaux périssables nous assujétit; 2° ceux dont une conduite vertueuse et sage nous auroit garantis, mais qui sont des suites inséparables de l'imprudence ou du vice: on les appelle châtimens; 3o ceux par lesquels la constance de l'homme de bien est exercée: telles sont les persécutions qu'il éprouve de la part des méchans; 4° joignez enfin les contradictions que nous avons sans cesse à essuyer par la diversité de sentimens, de mœurs et de caractères des hommes avec qui nous vivons. A tous ces maux la patience est non seulement nécessaire, mais utile; elle est nécessaire, parce que la loi naturelle nous en fait un devoir, et que murmurer des événemens, c'est outrager la Providence; elle est utile, parce qu'elle rend les souffrances plus légères, moins dangereuses et plus courtes.

Abandonnez un épileptique à lui-même, vous le verrez se frapper, se meurtrir et s'ensanglanter : l'épilepsie étoit déjà un mal, mais il a bien empiré son état par les plaies qu'il s'est faites; il eût pu guérir de sa maladie, ou du moins vivre en l'endurant; il va périr de ses blessures.

Cependant la crainte d'augmenter le sentiment de nos maux ne réprime point en nous l'impatience: on s'y abandonne d'autant plus facilement que la voix secrète de notre conscience ne nous la reproche presque pas, et qu'il n'y a point dans ces emportemens une injustice évidente qui nous frappe et qui nous en donne de l'horreur. Au contraire, il semble que le mal que nous souffrons nous justifie; il semble qu'il nous dispense pour quelque temps de la nécessité d'être raisonnables. N'emploie-t-on pas même quelque sorte d'art pour s'excuser de ce défaut et pour s'y livrer sans scrupule? ne se déguise-t-on pas souvent l'impatience sous le nom plus doux de vivacité? Il est vrai qu'elle marque toujours une ame vaincue par les

maux,

et contrainte de leur céder; mais il y a des malheurs auxquels les hommes approuvent que l'on soit sensible jusqu'à l'excès, et des événemens où ils s'imaginent que l'on peut avec bienséance manquer de force et s'oublier entièrement. C'est alors qu'il est permis d'aller jusqu'à se faire un mérite de l'impatience, et que l'on ne renonce pas à en être applaudi. Qui l'eût cru que ce qui porte le plus le caractère de petitesse de courage, pût jamais devenir un fondement de vanité ?

(ANONYME)

PATRIOT E.

C'EST celui qui, dans un gouvernement libre, chérit

sa patrie, et met son bonheur et sa gloire à la servir avec zèle, suivant ses moyens et ses facultés.

Servir sa patrie n'est point un devoir chimérique, c'est une obligation réelle. Tout homme qui conviendra qu'il y a des devoirs tirés de la constitution de la nature, du bien et du mal moral des choses, reconnoîtra celui qui nous oblige à faire le bien de la patrie, ou sera réduit à la plus absurde inconséquence. Quand il est une fois convenu de ce devoir, il n'est pas difficile de lui justifier que c'est un devoir proportionné aux moyens et aux occasions qu'il a de le remplir, et que rien ne peut dispenser de ce qu'on doit à sa patrie, tant qu'elle a besoin de nous et que nous pouvons la servir.

Il est bien dur, diront les esclaves ambitieux, de renoncer aux plaisirs de la société pour consacrer ses jours au service de sa patrie. Ames basses, vous n'avez donc point d'idée des nobles et des solides plaisirs! Croyez-moi, il y en a de plus vrais, de plus délicieux dans une vie occupée à procurer le bien de sa patrie, que n'en connût jamais César à détruire la liberté de la sienne. Descartes, en bâtissant de nouveaux mondes; Burnet, en formant une terre avant le déluge; Newton lui-même, en découvrant les véritables lois de la nature, ne sentirent pas plus de plaisirs intellectuels que n'en goûte un véritable patriote qui tend toutes les forces de son entendement et dirige toutes ses pensées et toutes ses actions au bien de la pairie.

Quand un ministre d'état forme un plan politique, et qu'il sait réunir, pour un grand et bon dessein, les parties qui semblent les plus indépendantes, il s'y livre avec autant d'ardeur et de plaisir, que les génies que je viens de nommer se sont livrés à leurs sublimes recherches. La satisfaction qu'un philosophe spéculatif tire de l'importance des objets auxquels il s'applique est très-grande, j'en conviens; mais celle de l'homme d'état animé par le patriotisme va bien plus loin: en exécutant le plan qu'il a formé,

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