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Des répétitions fréquentes.

Pan a soin des brebis, Pan a soin des pasteurs,
Et Pan me peut venger de toutes vos rigueurs.

Dans les autres genres, la répétition est ordinairement employée pour rendre le style plus vif; ici, il semble que ce soit par paresse, et parce qu'on ne veut pas se donner la peine de chercher plus loin.

Ils emploient volontiers les signes naturels plutôt que les mots consacrés. Pour dire il est midi, ils disent le troupeau est à l'ombre des bois; il est tard, l'ombre des montagnes s'alonge dans les vallées.

Ils ont des descriptions détaillées, quelquefois d'une coupe, d'une corbeille; des circonstances même qui tiennent quelquefois au sentiment: telle est celle que se rappelle une bergère de Racan:

Il me passoit d'un an, et de ses petits bras

Cueilloit déjà des fruits dans les branches d'en bas.

Quelquefois aussi elles ne font que peindre l'extrême oisiveté des bergers; et ce n'est que par-là qu'on peut justifier la description que fait Théocrite d'une coupe ciselée, où il y a différentes figures.

En général, on doit éviter dans le style pastoral tout ce qui sentiroit l'étude et l'application, tout ce qui supposeroit quelque long et pénible voyage; en un mot, tout ce qui pourroit donner l'idée de peine et de travail. Mais comme ce sont des gens d'esprit qui inspirent les bergers poétiques, il est bien difficile qu'ils s'oublient toujours assez eux-mêmes pour ne point se montrer du tout.

Ce n'est pas que la poésie pastorale ne puisse s'élever quelquefois. Théocrite et Virgile ont traité des choses très-élevées on peut le faire aussi bien qu'eux, et leur exemple répond aux plus fortes objections. Il semble néanmoins que la nature de la poésie pastorale est limitée par elle-même on pourra, si l'on veut, supposer dans les bergers différens degrés de connoissance et d'esprit; mais si on leur donne une imagination aussi hardie et aussi riche

:

qu'à ceux qui ont vécu dans les villes, on les appellera comme on le voudra; pour nous, nous n'y voyons plus de bergers.

Les bergers peuvent imaginer les plus grandes choses, mais il faut que ce soit toujours avec une sorte de timidité, et qu'ils en parlent avec un étonnement, un embarras qui fasse sentir leur simplicité au milieu d'un récit pompeux. « Ah, Mélibée ! cette ville qu'on appelle Rome, »je la croyois semblable à celle où nous portons quel» quefois nos agneaux ! Elle porte sa tête autant au des>> sus des autres villes, que les cyprès sont au dessus de » l'osier. » Ou, si l'on veut absolument chanter et d'un ton ferme l'origine du monde, prédire l'avenir, qu'on introduise Pan, le vieux Silène, Faune, ou quelqu'autre divinité de la fable.

Les bergers n'ont pas seulement leur poésie, ils ont encore leurs danses, leur musique, leurs parures, leurs fêtes, leur architecture, s'il est permis de donner ce nom à des buissons, à des bosquets, à des coteaux. La simplicité, la douceur, la gaieté riante, en font toujours le caractère fondamental; et s'il est vrai que dans tous les temps les connoisseurs ont pu juger de tous les arts par un seul, ou même, comme l'a dit Sénèque, de tous les arts par la manière dont une table est servie, les fruits vermeils, les châtaignes, le lait caillé, et les lits de feuillages dont Tytire veut se faire honneur auprès de Mélibée, doivent nous donner une juste idée des danses, des chandes fêtes des bergers aussi bien que de leur

sons,

poésie.

Si la poésie pastorale est née parmi les bergers, elle doit être un des plus anciens genres de poésie, la profession de berger étant la plus naturelle à l'homme et la première qu'il ait exercée. Il est aisé de penser que les premiers hommes, se trouvant maîtres paisibles d'une terre qui leur offroit en abondance tout ce qui pouvoit suffire à leurs besoins et flatter leur goût, songèrent à en marquer leur reconnoissance au souverain bienfaiteur, et que dans leur enthousiasme ils intéressèrent à leurs sentimens les fleuves, les prairies, les montagnes, les bois, et tout ce qui les environnoit. Bientôt après avoir chanté la

reconnoissance, ils célébrèrent la tranquillité et le bonheur de leur état; et c'est précisément la matière de la poésie pastorale, l'homme heureux : il ne fallut qu'un pas pour y arriver.

En musique, on appelle pastorale un opéra champêtre, dont les personnages sont des bergers, et dont la musique est assortie à la simplicité de goût et de mœurs qu'on leur suppose.

Une pastorale est aussi une pièce de musique sur des paroles relatives à l'état pastoral, ou un chant qui imite celui des bergers, qui en a la douceur, la tendresse et le naturel; l'air d'une danse, composé dans le même caractère, s'appelle aussi pastorale.

(M. de JAUCOURT.)

PATHÉTIQUE.

LE pathétique est cet enthousiasme, cette véhémence

naturelle, cette peinture forte qui émeut, qui touche, qui agite le cœur de l'homme. Tout ce qui transporte l'auditeur hors de lui-même, tout ce qui captive son entendement et subjugue sa volonté, voilà le pathétique.

Il règne éminemment dans la plus belle et la plus touchante pièce qui ait paru sur le théâtre des anciens, dans l'Edipe de Sophocle; à la peinture énergique des maux qui désoloient le pays, succède un chœur de Thébains qui s'écrie:

Frappez, dieux tout-puissans, vos victimes sont prêtes!
O mort, écrase-nous ! Dieux, tonnez sur nos têtes!
O mort, nous implorons ton funeste secours!

O mort, viens nous sauver, viens terminer nos jours!

que

l'entassement des

C'est là du pathétique. Qui doute accidens qui suivent et qui accompagnent, sur-tout des accidens qui marquent davantage l'excès et la violence d'une passion, puisse produire le pathétique? Telle est l'ode de Sapho :

Heureux qui, près de toi, pour toi seule soupire,

elle

Elle gèle, elle brûle, elle est sage, elle est folle, est entièrement hors d'elle-même, elle va mourir; on dirait qu'elle n'est pas éprise d'une simple passion, mais que son ame rassemble toutes les passions.

Voulez-vous deux autres exemples du pathétique, prenez votre Racine, vous les trouverez dans les discours d'Andromaque et d'Hermione à Pyrrhus : le premier est dans la troisième scène du troisième acte d'Andromaque:

Seigneur, voyez l'état où vous me réduisez,

Et le second, dans la cinquième scène du quatrième acte:

Je ne t'ai point aimé ! Cruel, qu'ai-je donc fait ?

Rien encore ne fait mieux voir combien le pathétique acquiert de sublime que ce que Phèdre dit, acte IV, scène VI, après qu'instruite par Thésée qu'Hyppolite aime Aricie, elle est en proie à la jalousie la plus violente:

Ah, douleur non encore éprouvée!

A quel tourment nouveau je me suis réservée!

Enfin la scène entière; car il n'y a rien à en retrancher: aussi est-ce, à mon avis, le morceau le plus pathétique, le plus passionné et le plus parfait qu'il y ait dans tout

Racine.

Mais c'est sur-tout le choix et l'entassement des circonstances d'un grand objet qui forme le plus beau pathétique; et je ne doute pas que ce qui se trouve dans l'oraison funèbre du grand Condé, par M. Bossuet, au sujet de la campagne. de Fribourg, ne soit, par la manière dont les circonstances y sont choisies et pressées, un exemple de la sublime éloquence. Je suis fâché que la longueur du morceau m'empêche de le rapporter ; et je me contenterai de mettre ici cette peinture si vive et si pathétique de l'effet de la mort de M. de Turenne. C'est M. Fléchier qui parle dans l'oraison funèbre de ce grand homme. « Je me

trouble, messieurs, Turenne meurt tout se confond; » la fortune chancelle, la victoire se lasse, la paix s'é» loigne, les bonnes intentions des alliés se ralentissent, >> le courage des troupes est abattu par la douleur et ra» nimé par la vengeance; tout le camp demeure immo» bile; les blessés pensent à la perte qu'ils ont faite, » et non pas aux blessures qu'ils ont reçues; les pères >> mourans envoient leurs fils pleurer sur leur général mort. >> L'armée en deuil est occupée à lui rendre les devoirs >> funèbres; et la renommée, qui se plaît à répandre dans » l'univers les accidens extraordinaires, va remplir toute

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