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ignorantes sur leur bonheur, et là-dessus je m'en rapporte à leur cœur. S'il est un seul homme sur la terre qui n'ait pas eu sujet de se repentir d'une mauvaise action par lui commise, qu'il me démente dans le fond de son ame, ᎬᏂ ! que seroit la morale s'il en étoit autrement? que

seroit la vertu ? On seroit insensé de la suivre si elle nous éloignoit de la route du bonheur; et il faudroit étouffer dans nos cœurs l'amour qu'elle nous inspire pour elle, comme le penchant le plus funeste. Cela est affreux penser. Non, le chemin du bonheur est le chemin même de la vertu. La fortune peut lui susciter des traverses; mais elle ne sauroit lui ôter ce doux ravissement, cette pure volupté qui l'accompagne. Tandis que les hommes et le sort sont conjurés contre lui, l'homme vertueux trouve dans son cœur avec abondance le dédommagement de tout ce qu'il souffre. Le témoignage de soi, voilà la source des vrais biens et des vrais maux, voilà ce qui fait la félicité de l'homme de bien parmi les persécutions et les disgraces, et le tourment du méchant au milieu des faveurs et de la fortune.

(ANONYME.)

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N peut définir la poésie pastorale une imitation de la vie champêtre, représentée avec tous ses charmes possibles.

Si cette définition est juste, elle termine tout d'un coup la querelle qui s'est élevée entre les partisans de l'ancienne pastorale et ceux de la moderne. Il ne suffira point d'attacher quelques guirlandes de fleurs à un sujet, qui par lui-même n'aura rien de champêtre. Il sera nécessaire de montrer la vie champêtre elle-même, ornée seulement des graces qu'elle peut recevoir.

On donne aussi aux pièces pastorales le nom d'Eglogue, qui signifie un recueil de pièces choisies dans quelque genre que ce soit. On a jugé à propos de donner ce nom aux petits poèmes sur la vie champêtre. Quelquefois aussi on les a nommés idylles, d'un mot grec qui signifie une petite image, une peinture dans le genre gracieux et doux.

S'il y a quelque différence entre les idylles et les églogues, elle est fort légère; les auteurs les confondent souvent. Cependant il semble que l'usage veut plus d'ac-tion et de mouvement dans l'églogue, et que dans l'idylle on se contente d'y trouver des images, des récits ou des sentimens seulement.

Selon la définition que nous avons donnée, l'objet ou la matière de l'églogue est le repos de la vie champêtre, ce qui l'accompagne, ce qui le suit. Ce repos renferme une juste abondance, une liberté parfaite, une douce gaieté. Il admet des passions modérées, qui peuvent produire des plaintes, des chansons, des combats poétiques,

des récits intéressans.

Les bergeries sont, à proprement parler, la peinture de l'âge d'or mis à la portée des hommes, et débarrassé de tout ce merveilleux hyperbolique, dont les poètes en avoient chargé la description. C'est le règne de la liberté, des plaisirs innocens, de la paix, de ces biens pour lesquels tous les hommes se sentent nés, quand leurs passions leur laissent quelques momens de silence pour se

reconnoître. En un mot, c'est la retraite commode et riante d'un homme qui a le cœur simple et en même temps délicat, et qui a trouvé le moyen de faire revivre pour lui cet heureux siècle.

Quand le ciel libéral versoit à pleines mains
Tous les biens qu'ici bas desirent les humains,
Et que le monde enfant n'avoit pour nourriture
Que les mets apprêtés des mains de la nature.

Tout ce qui se passe à la campagne n'est donc point digne d'entrer dans la poésie pastorale. On ne doit en prendre que ce qui est de nature plaire ou à intéresser; par conséquent, il faut en exclure les grossièretés, les choses dures, les menus détails, qui ne sont que des images oisives et muètes; en un mot, tout ce qui n'a rien de piquant ni de doux. A plus forte raison, les événemens atroces et tragiques ne pourront y entrer un berger qui s'étrangle à la porte de sa bergère n'est point un spectacle pastoral, parce que, dans la vie des bergers, on ne doit point connoître les degrés des passions qui mènent à de tels emportemens.

La poésie pastorale peut se présenter, non seulement sous la forme du récit, mais encore sous toutes les formes qui sont du ressort de la poésie. Ce sont des hommes en société qu'on y présente avec leurs intérêts, et par conséquent avec leurs passions; passions plus douces et plus innocentes que les nôtres, il est vrai, mais qui peuvent prendre toutes les mêmes formes, quand elles sont entre les mains des poètes. Les bergers peuvent donc avoir des poèmes épiques, comme l'Atys de Ségrais; des comédies, comme les Bergeries de Racan; des tragédies, des opéras, des élégies, des églogues, des idylles, des épigrammes, des inscriptions, des allégories, des chants funèbres, etc., et ils en ont effectivement.

On peut juger du caractère des bergers par les lieux où on les place: les prés y sont toujours verds; l'ombre y est toujcurs fraîche, l'air toujours pur; de même les acteurs et les actions dans la bergerie doivent avoir la plus riante douceur; cependant, comme leur ciel se couvre quelquefois de nuages, ne fût-ce que pour varier

la scène et renouveler par quelques rosées le vernis des prairies et des bois, on peut aussi mêler dans leurs caractères quelques passions tristes, ne fût-ce que pour relever le goût du bonheur, et assaisonner l'idée du repos.

Les bergers doivent être délicats et naïfs, c'est-à-dire, que, dans toutes leurs démarches et leurs discours, il ne doit y avoir rien de désagréable, de recherché, de trop subtil; et qu'en même temps ils doivent montrer du discernement, de l'adresse, de l'esprit même, pourvu qu'il

soit naturel.

Ils doivent être contrastés dans leurs caractères, au moins en quelques endroits; car, s'ils l'étoient par-tout, l'art y paroîtroit.

Ils doivent être tous bons moralement. On sait que la bonté poétique consiste dans la ressemblance du portrait avec le modèle; ainsi, dans une tragédie, Néron, peint avec toute sa cruauté, a une bonté poétique.

La bonté morale est la conformité de la conduite avec ce qui est effectivement, ou qui est censé être la règle et le modèle des bonnes mœurs. Les bergers doivent avoir cette seconde sorte de bonté aussi bien que la première. Un scélérat, un fourbe insigne, un assassin, seroient déplacés dans la poésie pastorale. Un berger offensé doit s'en prendre à ses yeux, ou bien aux rochers; ou bien faire comme Alcidor, se jeter dans la Seine, sans cependant s'y noyer tout-à-fait.

Quoique les caractères des bergers aient tous à peu près le même fonds, ils sont cependant susceptibles d'une grande variété. Du seul goût de la tranquillité et des plaisirs innocens, on peut faire naître toutes les passions. Qu'on leur donne la couleur et le degré de la pastorale, alors la crainte, la tristesse, l'espérance, la joie, l'amour, l'amitié, la haine, la jalousie, la générosité, la pitié; tout cela fournira des fonds différens, lesquels pourront se diversifier encore selon les âges, les sexes, les lieux, les événemens, etc.

Après tout ce qu'on vient de dire sur la nature de la poésie pastorale, il est aisé maintenant d ́magner quel doit être le style de cette poésie: il doit être simple, c'est-à-dire, que les termes ordinaires y soient employés

sans faste, sans apprêt, sans dessein apparent de plaire. Il doit être doux : la douceur se sent mieux qu'elle ne peut s'expliquer; c'est un certain moelleux mêlé de délicatesse et de simplicité, soit dans les pensées, soit dans les tours, soit dans les mots.

Timarète s'en est allée :

L'ingrate, méprisant mes soupirs et mes pleurs,
Laisse mon ame désolée

A la merci de mes douleurs.

Je n'espérai jamais qu'un jour elle eût envie
De finir de mes maux le pitoyable cours;
Mais je l'aimois plus que ma vie,
Et je la voyois tous les jours.

Il doit être naïf.

Si vous vouliez venir, ô miracle des belles !
Je veux vous le donner pour gage de ma foi,
Je vous enseignerois un nid de tourterelles :
Car on dit qu'elles sont fidelles comme moi.

Il est gracieux dans les descriptions.

Qu'en ses plus beaux habits, l'aurore au teint vermeil
Annonce à l'univers le retour du soleil,

Et qu'autour de son char ses légères suivantes
Ouvrent de l'orient les portes éclatantes;
Depuis que ma bergère a quitté ces beaux lieux,
Le ciel n'a plus ni jour ni clarté pour mes yeux.

Les bergers ont des tours de phrase qui leur sont familiers, des comparaisons qu'ils emploient sur-tout quand les expressions propres leur manquent.

Comme en hauteur ce saule excède les fougères,
Araminte en beauté surpasse nos bergères.

Des symmétries.

Il m'appeloit sa sœur, je l'appelois mon frère ;
Nous mangions même pain au logis de mon père;
Et, pendant qu'il y fut, nous vécûmes ainsi:
Tout ce que je voulois, il le vouloit aussi.

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