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Les personnes d'un esprit ferme, qui savent supporter patiemment tous les maux de la vie, qui ne se laissent abattre par aucun événement, qui ne sont tourmentées ni par les desirs pressans, ni par une crainte industrieuse à grossir les objets, guérissent aisément de bien des maladies sérieuses, souvent même sans les secours de l'art, parce que la nature n'est point troublée dans ses opérations; tandis que des personnes timides, craintives, impatientes, foibles d'esprit, ou d'une grande sensibilité, éprouvent de plus grandes maladies et des plus difficiles à guérir, et rendent inefficaces, par ces différentes dispositions, les remèdes les mieux employés.

« Il y a, dit le chancelier Bacon, comme deux ames » dans l'homme; l'une, d'un ordre divin, et dont la >> connoissance appartient plus à la religion qu'à la phi>>losophie; ce n'est point à l'homme d'en parler; l'autre, » matérielle et sensible, qui nous est commune avec les » bêtes, et qu'on peut regarder comme l'instrument de » l'ame invisible. C'est un principe actif qui se nourrit » des élémens les plus subtils, qui a la vivacité du feu » et la divisibilité de l'air pour communiquer et recevoir » le mouvement le plus rapide, qui germe dans nos hu>> meurs et s'éteint sous nos cendres : le corps lui sert de » palais, et le cœur ou le cerveau de siége principal. C'est » de ce trône qu'elle part avec une promptitude incon» cevable, pour se répandre dans le sang, et donner le >> ressort aux nerfs et aux artères. On l'appelle esprit » terme qui s'applique aux sucs volatils et déliés de » toute espèce de matière. C'est la confusion de ces deux >> principes qui a donné lieu à toutes les opinions supers>> titieuses de la métempsycose et à tant d'autres erreurs » sur la nature de l'ame.

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» Les passions entretiennent l'alliance qui est entre l'ame » et le corps. Cependant on les peint comme des semences » de tempête qui portent le ravage et le désordre dans le >> cœur qui tourmentent la raison, et tyrannisent la >> liberté.

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» La cupidité, cet appétit inquiet du plaisir, s'allume dans >> le sang, et ne s'éteint qu'avec le mouvement : elle suit » les progrès de l'âge et des forces; d'abord timide, et Tome VIII.

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>> sc cachant sous le voile de la pudeur; enfin, rompant >> toutes les barrières de l'éducation et du respect humain, » elle oblige la vertu à justifier ses écarts ou à se retirer. » Elle ne s'arrête pas même à la jouissance; le goût d'un >> plaisir irrite la soif d'un autre : insatiable dans son avi» dité, elle se précipite vers le dernier objet avec autant » de fureur que si c'étoit l'unique ou le premier.

» L'admiration, qui est le germe de la science, est un » sentiment agréable; mais lorsqu'elle excite ou de vaines » terreurs ou une curiosité démesurée, elle devient le >> tourment de l'esprit.

» Les passions violentes sont autant de tigres qui nous » déchirent. Tous les monstres se peignent tour-à-tour sur » le visage d'un homme emporté par la vengeance ou » la colère. La rage du lion est sur son front; l'écume » de sa bouche est un poison comparable au fiel de l'aspic. » S'il étoit vrai que les passions des animaux circulent >> dans leur sang, ne devrions-nous pas abhorrer les viandes? » Mais la férocité du sanglier passeroit-elle dans l'ame du >>> chasseur?

» Les plus brillantes passions ont des retours honteux : » les grands airs de l'orgueil qui s'admire, et les frénésies >> d'un amour idolâtre de son objet, nous rendent ridi>>cules aux yeux de tous ceux qui nous considèrent de >> sang - froid. Une passion violente ne permet pas la » moindre réflexion à la raison, et ne sauroit écouter les >> avis de l'amitié, tant elle a horreur de se rencontrer elle» même. La passion dominante est un lierre qui s'attache » aux vertus mêmes, et les étouffe en les embrassant. >> Certaines passions n'ont qu'une ivresse passagère ; d'au>>> tres nous tiennent dans un délire continuel; mais en » général elles ne font jamais de si grands ravages que » lorsqu'elles sont menées par la superstition. Les actions » éclatantes et les services les plus signalés partent d'une » passion secrète qui les aviliroit, si elle osoit se démas» quer. Cependant les passions les plus déshonnêtes ont » trouvé des éloges. Que deviendra la vertu, si les muses »se prostituent?

>> Que faisons-nous, misérables esclaves des honneurs et 2 des richesses, ces tyranniques objets de nos passions?

» Nous nous livrons à des courtisannes que nos pères ont >> enfin laissées après en avoir été abusés.

» Si les passions sont des maladies dans la morale, elles » peuvent servir de remèdes dans l'ordre physique. Une » joie modérée adoucit les humeurs; une tranquille mé» lancolie arrête la dissipation des esprits; mais un état » d'incertitude exerce trop violemment les ressorts du » cœur par les dilatations de l'espérance et les resserre» mens de la crainte. La compassion, qui nous iutéresse >> pour un malheureux étranger, sans un retour prochain >> sur nous-mêmes, est un sentiment doux et délicat qui >> nous remue agréablement. Si elle part d'un rapport de » situation ou d'un mouvement d'intérêt personnel, elle >> flétrit le cœur et porte la désolation dans tous les

)) sens.

» La timidité, qui suit la modestie, nous met à l'abri » des dangers et des grandes agitations, et, par cela >> même, devient le pronostic d'une longue vie; mais la >>houte, qui vient de l'ignorance, est un poison lent qui >> mine et consume le tempérament. L'amour heureux, » qui n'est pas sujet à de brusques alternatives de chagrin » et de plaisir, assure de beaux jours. L'espérance est » la plus utile de toutes les affections de l'ame, parce » qu'elle entretient la santé par le repos de l'imagination. » Un homme, qui a des espérances pour de longues » années, fournit ordinairement une grande carrière : » s'il n'avoit sans cesse devant les yeux un projet à rem>> plir, son terme seroit proche, et sa vie s'éteindroit » avec ses desirs, L'espérance est une espèce de joie qui, » semblable à l'or en feuilles, se développe et s'étend sur » tous les momens de la vie.

» L'admiration, qui résulte de la spéculation de la na>>ture, est une émotion paisible qui chatouille les esprits et » tient les sens dans une activité favorable. On a remarqué » que les philosophes observateurs avoient long-temps »joui des charmes de la contemplation; témoins Démo» crite, Platon et Apollonius. Mais il s'agit ici de cette

» curiosité modérée par l'intérêt de sa propre satisfaction, » et non pas de cette avidité de connoître et de savoir » qu'inspire un esprit inquiet ou une ambition démesurée.

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» Celle-ci fait acheter l'immortalité au prix d'une courte >> vie; l'autre, au contraire, prolonge des jours qu'elle ne » peut éterniser. En général, la manie de penser use le » corps; celle de parler ne fait vivre que trop long-temps.

» Les vapeurs de la mélancolie et de l'ennui sont >> extrêmement contagieuses; les saillies de la joie aiment à »se communiquer. Les regards de l'envie sont fixes et >> sombres; elle empoisonne tous les plaisirs qu'elle voit : » les regards de l'amour sont pleins d'étincelles; il charme >> tous les soucis de ceux qui l'approchent. L'audace a un >> merveilleux ascendant sur tous les cœurs, comme la » pudeur sur les visages; enfin, tous les mouvemens de » l'ame et du corps tendent à se répandre. L'homme de » cœur glace un poltron, comme le chien arrête l'oiseau. » Les soupirs des amans sont des esprits entlammés qui >> forment cette chaîne invisible et mystérieuse, par où >> deux cœurs sont attirés et entraînés vers un centre » commun, symbole de l'union naturelle où tout reprend

sa place. Les vieillards, qui aiment la conversation de » la jeunesse, semblent puiser auprès d'elle une nou» velle vie. Enfin, on sent par-tout cette influence que les >> ames ont naturellement les unes sur les autres par la >> communication des passions.

>> Ce n'est point dans des traités de morale et de philo» sophie qu'il faut étudier les passions, mais plutôt chez » les poètes et dans l'histoire. Elles y sont développées » avec des couleurs et des images plus frappantes que » des analyses méthodiques. C'est là qu'on les voit peintes » dans ce désordre qui caractérise leur inconstance. » On y apprend par quels foibles ressorts elles se soulè» vent et s'appaişent, comment elles se cachent et se >> trahissent elles-mêmes, leur naissance, leurs progrès, >> leurs combats et leurs alternatives; comme elles sont >> subordonnées entre elles; l'empire que l'amour-propre exerce sur leurs intérêts, et comment il sait les mettre » aux prises, ainsi que le chasseur, animant les chiens >> contre les bêtes, ou le milan à la poursuite des oiseaux, » se fait un divertissement de la guerre et du carnage le » plus échauffé. Un roi, tenant en main le timon de l'em»pire, n'est pas plus habile à élever son autorité sur les

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» débris des factions opposées, que l'amour-propre n'est >> industrieux à se satisfaire aux dépens de chaque passion.

» Les passions une fois soumises à la raison, l'homme » n'aurait besoin ni de conseils ni d'exemples pour se » porter au bien; l'image de ses devoirs, toujours pré» sente à ses yeux, seroit la règle de ses actions; mais, » depuis le soulèvement et la révolte des passions, depuis » ce germe de contradiction enraciné dans le cœur hu >> main, la raison est en proie au désordre des sens; et ce >> seroit fait de son pouvoir, si l'éloquence ne venoit au >> secours pour la soustraire à l'esclavage dont elle est » perpétuellement menacée. Elle forme donc une ligue >> entre la raison et l'imagination, pour résister à leur ennemi

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» L'équilibre des passions répond à celui des humeurs, » les talens de l'esprit aux graces du visage, les vertus » à la vigueur des nerfs, et les consolations de la sagesse >> aux soupirs de la volupté. Mais quel triste mélange ! » Les talens sublimes sont ternis par des passions basses, » ou par une conduite déréglée; les ames d'une trempe >> mâle et vigoureuse n'ont pas cette urbanité de mœurs qui >> prévient et attire; les esprits lians sont d'un commerce >> dangereux par l'artifice qui passe du fond du cœur dans >> les manières; enfin les hommes les plus vertueux de>> viennent souvent inutiles à eux-mêmes par un défaut » d'industrie, ou importuns aux autres par un excès de » franchise. Mais qu'il faut plaindre ces farouches Stoï>>ciens pour qui la vertu n'est qu'un sujet de tourmens et » de pleurs ! A quoi sont-ils donc réservés ? »

On a tort de s'en prendre aux passions des crimes des hommes; ce sont leurs faux jugemens qu'il en faut accuser. Les passions nous inspirent toujours bien, puisqu'elles ne nous inspirent que le desir du bonheur : c'est l'esprit qui nous conduit mal, et qui nous fait prendre de fausses routes pour y parvenir. Ainsi nous ne sommes criminels que parce que nous jugeons mal; et c'est la raison et non la nature qui nous trompe. Mais, me dira-t-on, l'expérience est contraire à votre opinion, et nous voyons que les personnes les plus éclairées sont souvent les plus vicieuses. Je réponds que ces personnes sont en effet très

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