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faire de grands biens. Les évêques l'aimèrent comme leur fille, les abbés comme leur sœur, et les gens du monde comme leur mère.

Cette abbaye jouit aujourd'hui de quinze à vingt mille livres de rente elle est chef d'ordre, et a plusieurs monastères et prieurés dans sa dépendance. Héloïse la gouverna pendant trente-trois ans, et mourut en 1163.

Les abbesses qui lui ont succédé, ont été assez souvent des plus anciennes maisons du royaume on doit mettre de ce nombre Jeanne Chabot, quoiqu'elle ait été obligée d'abdiquer sa place, à cause de la religion protestante qu'elle professoit, et qu'elle professa hautement jusqu'à la mort, sans néanmoins se marier, ni quitter son habit de religieuse.

Comme Héloïse n'entendoit pas seulement la langue latine, mais savoit encore très-bien la langue grecque, elle fit chanter la messe dans cette langue, tous les ans, le jour de la Pentecôte, qui étoit la principale fête de l'abbaye du Paraclet; et cet usage s'observe encore aujourd'hui.

Dès qu'Abélard fut mort, elle demanda son corps à l'abbé de Clugny. L'ayant obtenu, elle le fit mettre au Paraclet, et ordonna, en mourant, qu'on l'enterrât dans le même tombeau. On assure que, lorsqu'on ouvrit la tombe pour y déposer le corps d'Héloïse, Abélard lui tendit les bras pour la recevoir, et qu'il l'embrassa étroi

tement.

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Grégoire, de Tours, rapporte un fait semblable de deux personnes mariées, qui demeurèrent toujours vierges, et que les habitans du pays (Clermont en Auvergne) nommèrent les deux amans. La femme décéda la première, et le mari, en l'enterrant se servit de cette prière de l'écriture: « Je vous rends graces, ô mon Seigneur et » mon Dieu, de ce que je vous rends ce trésor dans » la même pureté qu'il vous a plû de me le confier. » La femme se mit à sourire: « Hé pourquoi, lui dit-elle, » parlez-vous d'une chose qu'on ne vous demande pas ? Le mari mourut peu de temps après, et on l'ensévelit vis-à-vis de son épouse: on trouva les deux corps ensemble dans la même tombe.

Il en est sûrement de ce conte comme de celui d'Héloïse et d'Abélard. On a même découvert que la volonté de l'abbesse du Paraclet n'avoit point été suivie, et que l'on ne l'avoit pas mise, suivant ses desirs, dans le tombeau de son époux. François d'Amboise nous apprend qu'étant au Paraclet, il avoit vu le fondateur et la fondatrice couchés l'un auprès de l'autre, dans deux monumens séparés. (M. de JAUCOURT.)

ESPÈCE de farce originairement préparée pour amuser le peuple, et qui souvent fait rire pour un moment la meilleure compagnie.

Ce spectacle tient également des anciennes comédies nommées plataria, composées de simples dialogues presque sans action, et de celles dont les personnages étoient pris dans le bas peuple, dont les scènes se passoient dans les cabarets, et qui, pour cette raison, furent nommées tabernariæ.

Les personnages ordinaires des parades d'aujourd'hui sont le bon homme Cassandre, père, tuteur ou amant suranné d'Isabelle le vrai caractère de la charmante Isabelle est d'être également foible, fausse et précieuse; celui du beau Léandre, son amant, est d'allier le ton grivois d'un soldat à la fatuité d'un petit - maître : un pierrot, quelquefois un arlequin et un moucheur de chan→ delles, achèvent de remplir tous les rôles de la parade dont le vrai ton est toujours le plus bas comique.

La parade est ancienne en France; elle est née des moralités, des mystères et des facéties que les élèves de la Basoche, les confrères de la passion, et la troupe du prince des sots, jouoient dans les carrefours, dans les marchés, et souvent même dans les cérémonies les plus augustes; telles que les entrées et le couronnement de nos rois.

La parade subsistoit encore sur le Théâtre-Français du temps de la minorite de Louis-le-Grand; et, lorsque Scarron, dans son Roman comique, fait le portrait du vieux comédien la Rancune et de mademoiselle de la Caverne, il donne une idée du jeu ridicule des acteurs et du ton platement bouffon de la plupart des petites pièces de ce temps.

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La comédie ayant enfin reçu des lois, de la décence et du goût, la parade cependant ne fut point absolument anéantie. Elle ne pouvoit l'être, parce qu'elle porte un ca→ ractère de vérité, et qu'elle peint vivement les mœurs du peuple qui s'en amuse; elle fut seulement abandonnée à la populace, et reléguée dans les foires et sur les théâtres

des charlatans qui jouent souvent des scènes bouffonnes pour attirer un plus grand nombre d'acheteurs.

Quelques auteurs célèbres et plusieurs personnes pleines d'esprit s'amusent encore quelquefois à composer de petites pièces dans ce même goût. A force d'imagination et de gaieté, elles saisissent ce ton ridicule; c'est en philosophes qu'elles ont travaillé à connoître les mœurs et la tournure de l'esprit du peuple; c'est avec vivacité qu'elles les peignent. Malgré le ton qu'il faut toujours affecter dans ces parades, l'invention y décèle souvent les talens de l'auteur; une fine plaisanterie se fait sentir au milieu des équivoques et des quolibets, et les graces parent toujours de quelques fleurs le langage de Thalie, et le ridicule déguisement sous lequel elles s'amusent à l'envelopper.

On pourroit reprocher avec raison aux Italiens, et beaucoup plus encore aux Anglais, d'avoir conservé dans leurs meilleures comédies trop de scènes de parade; on y voit souvent régner la licence grossière et révoltante des anciennes comédies nommées tabernariæ.

On peut s'étonner que Te vrai caractère de la bonne comédie ait été si long-temps inconnu parmi nous. Les Grecs et les Latins nous ont laissé d'excellens modèles; et, dans tous les âges, les auteurs ont eu la nature sous les yeux. Par quelle espèce de barbarie ne l'ont-ils si longtemps imitée que dans ce qu'elle a de plus abject et de plus désagréable?

Le génie perça cependant quelquefois dans ces siècles dont il nous reste si peu d'ouvrages dignes d'estime. La farce de Patelin feroit honneur à Molière. Nous avons peu de comédies qui rassemblent des peintures plus vraies plus d'imagination et de gaieté.

Si nous sommes étonnés avec raison que la farce de Patelin n'ait point eu d'imitateurs pendant plusieurs siècles, nous devons l'être encore plus que le mauvais goût de ces siècles d'ignorance règne encore quelquefois sur notre théâtre nous serions bien tentés de croire que l'on a peutêtre montré trop d'indulgence pour ces espèces de recueils de scènes isolées qu'on nomme comédies à tiroirs. Momus, fabuliste, mérita sans doute son succès par l'invention et l'esprit qui y règnent; mais cette pièce ne devoit point

:

former un nouveau genre, et n'a eu que de très - foibles imitateurs.

Quel abus ne fait-on pas tous les jours de la facilité qu'on trouve à rassembler quelques dialogues sous le nom de comédies? Souvent, sans invention, et toujours sans intérêt, ces espèces de parades ne renferment qu'une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures, ou de petites esquisses mal dessinées des mœurs et des ridicules; quelquefois même on y voit régner une licence grossière; les jeux de Thalie n'y sont plus animés par une critique fine et judicieuse; ils sont avilis, déshonorés par les traits les plus odieux de la satyre.

Pourra-t-on croire un jour que, dans le siècle le plus ressemblant à celui d'Auguste, dans la fête la plus solemnelle, sous les yeux d'un des meilleurs rois qui soient nés pour le bonheur des hommes ? pourra-t-on croire que le manque de goût, l'ignorance ou la malignité, aient fait admettre et représenter une parade de l'espèce de celles que nous venons de définir?

Un citoyen, qui jouissoit de la réputation d'honnête homme (M. Rousseau de Genève,), y fut traduit sur la scène avec des traits extérieurs qui pouvoient le caractériser. L'auteur de la pièce, pour achever de l'avilir, osa lui prêter son langage. C'est ainsi que la populace de Londres traîne quelquefois dans le quartier de Drurylane une figure contrefaite, avec une bourse, un plumet et une cocarde blanche, croyant insulter notre nation.

Un murmure général s'éleva dans la salle; il fut à peine contenu par la présence d'un maître adoré : l'indignation publique, la voix de l'estime et de l'amitié, demandèrent la punition de cet attentat : un arrêt flétrissant fut signé par une main qui tient et qui honore également le sceptre des rois et la plume des gens de lettres. Mais le philosophe, fidèle à ses principes, demanda la grace du coupable, et le monarque crut rendre un plus digne hommage à la vertu en accordant le pardon de cette odieuse licence, qu'en punissant l'auteur avec sévérité. La pièce rentra dans le néant avec son auteur; mais la justice du prince et la générosité du philosophe passeront à la postérité, et nous ont paru mériter une place dans I'Encyclopédie.

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