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LA A PANTOMIME est le langage de l'action, l'art de parler aux yeux, l'expression muète.

L'expression du visage et du geste accompagne naturellement la parole, et s'accorde avec elle pour peindre la pensée; en sorte que, plus l'expression de la parole est foible au gré de celui qui s'énonce, plus l'expression du geste et du visage s'anime pour y suppléer. De là vient que, chez les peuples doués d'une imagination vive et d'une grande sensibilité, la pantomime naturelle est plus marquée, ainsi que l'accent de la parole. De là vient aussi que, plus on a de difficulté à s'exprimer par la parole, soit à cause de la distance ou de quelque vice d'organe, soit manque d'habitude de la langue qu'on veut parler, plus on donne de force et de vivacité à cette expression visible. C'est donc sur-tout aux mouvemens de l'ame les plus passionnés que la pantomime est nécessaire : alors, ou elle seconde la parole, ou elle y supplée absolument.

L'expression du geste et du visage, unie à celle de la parole, est ce qu'on appelle action ou théâtrale ou

oratoire.

La même expression, sans la parole, est ce qu'on appelle plus particulièrement pantomime.

Chez les anciens, l'action théâtrale se réduisoit au geste. Les acteurs, sous le masque, étoient privés de l'expression du visage, qui, chez nous, est la plus sensible: et, si on demande pourquoi ils préféroient un masque immobile à un visage où tout se peint, c'est, 1o que, pour être entendu dans un amphithéâtre qui contenoit au moins six mille spectateurs, il falloit que l'acteur eût à la bouche une espèce de trompe; 2° que, dans l'éloignement, le jeu du visage eût été perdu, quand même on eût joué sans masque : or l'action théâtrale étant privée de l'expression du visage, on s'efforça d'y suppléer par l'expression du geste, et l'immensité des théâtres obligea de l'exagérer.

Par degrés, cet art fut porté au point d'oser prétendre à se passer du secours de la parole, et à tout exprimer lui

seul. De là, cette espèce de comédiens muets, qu'on n'avoit point connus dans la Grèce, et qui eurent à Rome un succès si follement outré.

Ce succès n'est pourtant pas inconcevable; et en voici quelqués raisons:

1o La tragédie grecque, transplantée à Rome, y étoit étrangère, et n'y devoit pas faire la même impression que sur les théâtres de Corinthe et d'Athènes.

2o Elle étoit foiblement traduite, et Horace le fait entendre en disant qu'on y avoit assez bien réussi.

3o Peut-être aussi foiblement jouée; et il y a apparence que les comédiens n'auroient pas été chassés par les pantomimes, s'ils avoient tous été des Esopus et des

Roscius.

4o Les Romains n'étoient pas un peuple sensible, comme les Grecs, aux plaisirs de l'esprit et de l'ame: leurs mœurs austères ou dissolues, selon les temps, n'eurent jamais la délicatesse des mœurs attiques; il leur falloit des spectacles, mais des spectacles faits pour les yeux. Or, la pantomime parle aux yeux un langage plus passionné que celui de la parole; elle est plus véhémente que l'éloquence même, et aucune langue n'est en état d'en égaler la force et la chaleur. Dans la pantomime, tout est action, rien ne languit, l'attention n'est point fatiguée en se livrant au plaisir d'être ému, on peut s'épargner presque la peine de penser; ou, s'il se présente des idées, elles sont vagues comme les songes. La parole retarde et refroidit l'action; elle préoccupe l'acteur, et rend son art plus difficile. La pantomime est tout à l'expression du geste; ses mouvemens ne lui sont point tracés; la passion seule est son guide. L'acteur est continuellement le copiste du poète; le pantomime est original: l'un est asservi au sentiment et à la pensée d'autrui; l'autre se livre et s'abandonne aux mouvemens de son ame. Il doit donc y avoir, entre l'action du comédien et celle du pantomime, la différence de l'esclavage à la liberté.

5o La difficulté vaincue avoit un autre charme; et cette surprise continuelle de voir un acteur muet se faire entendre devoit être un plaisir très-vif.

6o Enfin, dans l'expression du geste, les pantomimes

uniquement

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uniquement occupés des graces, de la noblesse et de l'énergie de l'action, donnoient à la beauté du corps des développemens inconnus aux comédiens, dont le premier talent étoit celui de la parole; et, comme on en peut juger encore par l'impression que font nos danses, l'idolatrie des Romains et des Romaines pour les pantomimes étoit un culte rendu à la beauté.

Si l'on joint à ces avantages de la pantomime celui de dispenser le siècle et le pays où elle fleurissoit de produire de grands poètes, de ne demander qu'une esquisse de l'action qu'elle imitoit, de sauver son spectacle de tous les écueils qui environnent la poésie, de tout réduire à l'éloquence du geste, et de n'avoir pour juges que les yeux, bien plus faciles à séduire que l'oreille, que l'esprit et que la raison, on ne sera pas étonné qu'un art dont les moyens étoient si simples, si puissans, et les succès si infaillibles, eût prévalu sur l'attrait d'un spectacle où l'esprit et le goût étoient rarement satisfaits.

On pourroit même présumer, d'après l'exemple des Romains, que, dans tous les temps et chez tous les peuples du monde, la pantomime, portée au même degré de perfection, éclipseroit la comédie et la tragédie elle-même; et c'est le danger de ce spectacle de dégoûter de tous les autres, semblable à une liqueur forte qui blase et qui détruit le goût.

Qu'importe, dit-on communément, à quel spectacle on s'amuse? le meilleur est celui que l'on aime le plus. On pourroit dire également : Qu'importe de quelle liqueur on s'abreuve et de quels mets on se nourrisse? Mais, comme l'aliment le plus agréable n'est pas toujours le plus sain, le spectacle le plus attrayant n'est pas toujours le plus utile. De la pantomime rien ne reste que des impressions quelquefois dangereuses. On sait qu'elle acheva de corrompre les mœurs de Rome; au lieu que de la bonne tragédie et de la saine comédie il reste d'utiles leçons. Au spectacle de la pantomime, on n'est qu'ému; aux deux autres, on est instruit, Dans l'un, la passion agit seule et ne parle qu'aux sens; rien ne la corrige, et rien ne la modère; dans les deux autres, la raison, la sagesse, la vertu, parlent à leur tour; et ce que la passion a de vicieux ou de criminel est exposé Tome VIII.

V

à leur censure; le remède est toujours à côté du poison. Un gouvernement sage aura donc soin de préserver les peuples de ce goût dominant des Romains pour la pantomime, et de favoriser les spectacles où la raison s'éclaire, et où le sentiment s'épure et s'ennoblit.

Par induction, à mesure que l'action théâtrale donne moins à l'éloquence et plus à la pantomime, et qu'elle né-glige de parler à l'ame pour ne plus frapper que les yeux, le spectacle devient, pour la multitude, plus attrayant et moins utile. On ne forme point les esprits avec des tableaux et des coups de théâtre. Aristote n'admet les mœurs qu'à cause de l'action : la règle contraire est la nôtre; et, sur le théâtre moderne, l'action n'est employée qu'à peindre et corriger les mœurs.

Je ne dis pas qu'on doive s'interdire le plaisir de la pantomime; je dis seulement qu'on n'en doit jamais faire l'objet unique ni l'objet dominant d'un spectacle; je dis que, sur le théâtre où elle est admise, il est à craindre qu'elle n'efface ou n'affoiblisse l'action dont elle sera l'épisode. Tout paroît froid après une danse passionnée. Je pense donc que la pantomime d'un genre gracieux et doux peut s'entre-mêler avec l'action du poème lyrique, mais que la pantomime tragique doit faire à elle seule un spectacle isolé, et ne doit paroître sur le théâtre qu'après un drame d'un genre absolument contraire, par la raison que les contrastes ne peuvent jamais s'affoiblir ni se nuire mutuellement.

Dans l'article Poème lyrique, on n'a considéré que l'effet isolé de cette action muète et l'on n'a pas vu qu'elle détruisoit tout.

Quant au projet qu'on y propose d'associer la parole avec la danse pantomime, l'exécution n'en fût-elle pas impossible, ce projet de faire chanter le danseur ou de le faire accompagner par une voix que l'on croiroit la sienne seroit encore bien étrange; et l'exemple d'Andronicus, sur lequel on veut le fonder, ne l'autorise pas assez. On raconte, il est vrai, que, dans un temps où les Romains devoient être peu délicats sur l'imitation théâtrale, la voix ayant manqué à ce comédien, il fit réciter son rôle par un esclave qu'on ne voyoit pas, tandis qu'il en faisoit les

gestes. Je ne crois pas que, sur aucun théâtre du monde, un pareil exemple soit jamais suivi; mais, s'il pouvoit être imité, ce seroit dans la déclamation toute simple, et non pas dans une action aussi violente, aussi exagérée que doit Ï'être la pantomime. Andronicus ne dansoit pas.

Dès que l'action est parlée, elle a deux signes, celui de la parole et celui du geste; le geste n'a donc plus alors aucune raison d'être exagéré. C'est l'hypothèse d'un acteur muet ou trop éloigné pour se faire entendre qui donne de la vraisemblance à l'exagération des mouvemens pantomimes. Un acteur qui, en parlant ou en chantant, gesticuleroit comme un danseur pantomime, nous sembleroit outré jusqu'à l'extravagance. D'ailleurs qu'arriveroit-il si, tandis que le pantomime danse une voix étrangère exprimoit ce qu'il peint? De son côté, le mérite de faire entendre aux yeux le sentiment et la pensée, et, du nôtre, le plaisir de le deviner, de l'admirer, seroient détruits; la pantomime y perdroit tous ses charmes, et ne seroit plus qu'une expression exagérée, sans raison et hors de toute vraisemblance.

Il n'y a que deux circonstances où il soit possible de réunir ainsi fictivement la parole avec l'action de la danse; c'est dans les mouvemens tumultueux d'une multitude agitée de quelque passsion violente, comme dans un chœur de combattans, ou lorsque la danse n'est que l'expression vague d'un sentiment qui met l'ame en activité, et que la parole et le chant n'ont avec elle aucune identité, mais seulement de l'analogie, comme lorsqu'on voit des bergers, animés par la joie, chanter et danser à-la-fois. Dans l'un et l'autre cas, ce seroit une illusion

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agréable que de croire entendre chanter les mêmes personnes qui dansent; et, pour faire cette illusion, il est un moyen bien aisé ; c'est de cacher les chœurs dans les coulisses, et de ne faire paroître que les ballets. Mais dans la scène, dans le dialogue, le monologue, le duo imaginer de faire danser les acteurs, tandis que des chanteurs invisibles parleroient, chanteroient pour eux, c'est une invention qui, je crois, ne sera jamais adoptée.

La seule voix qu'on peut donner à l'acteur pantomime est celle de la symphonie, parce qu'elle est_vague et

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