Imágenes de página
PDF
ePub

en possession, et qui leur appartiennent légitimement, ils ne regarderoient point avec envie ceux des autres peuples; ils sentiroient que des conquêtes, payées du sang de leurs sujets, ne valent jamais le prix qu'elles ont coûté; mais, par une fatalité déplorable, les nations vivent entre elles dans une défiance réciproque; perpétuellement occupées à repousser les entreprises injustes des autres, ou à en former elles-mêmes, les prétextes les plus frivoles leur mettent les armes à la main, et l'on diroit qu'elles ont une volonté permanente de se priver des avantages que la providence ou l'industrie leur ont procurés. Les passions aveugles des princes les portent à étendre les bornes de leurs états: peu occupés du bien de leurs sujets, il semble qu'ils ne cherchent qu'à grossir le nombre des hommes qu'ils rendent malheureux. Ces passions allumées ou entretenues par des ministres ambitieux, ou par des guerriers dont la profession est incompatible avec le repos, ont eu, dans tous les âges, des effets les plus funestes pour l'humanité. L'histoire ne nous fournit que des exemples de paix violées, de guerres injustes et cruelles, des champs dévastés, des villes réduites en cendre. L'épuisement seul semble forcer les princes à la paix. Ils s'aperçoivent toujours trop tard que le sang de leurs sujets s'est répandn avec celui de l'ennemi : ce carnage inutile n'a servi souvent qu'à cimenter l'édifice chimérique du conquérant et de ses turbulens guerriers. Le bonheur des peuples est la première chose que l'on oublie, et dont on fait le sacrifice lorsque l'on entreprend une guerre.

Dans ces empires, établis autrefois par la force des armes ou par un reste de barbarie, la guerre seule mène aux honneurs, à la considération, à la gloire ; des princes ou des ministres pacifiques sont sans cesse exposés aux censures, au ridicule à la haine d'un tas d'hommes de sang que leur état intéresse au désordre. L'empereur Probus, guerrier doux et humain, fut massacré par ses soldats pour avoir décelé ses dispositions pacifiques. Dans un gouvernement militaire, le repos est, pour trop de gens, un état violent et incommode: il faut, dans le souverain, une fermeté inaltérable, un amour invincible de l'ordre et du bien public, pour résister aux clameurs

se

des guerriers qui l'environnent. Leur voix tumultueuse étouffe sans cesse le cri de la nation, dont le seul intérêt trouve dans la tranquillité et dans la paix. Les partisans de la guerre ne manquent point de prétextes pour exciter le désordre, et pour faire écouter leurs vœux intéressés : « C'est par la guerre, disent - ils, » que les états s'affermissent; une nation s'amollit, se » dégrade dans la paix; sa gloire l'engage à prendre part >> aux querelles des nations voisines; le parti du repos » n'est que celui des foibles. » Les souverains, trompés par ces raisons spécieuses, sont forcés d'y céder; ils sacrifient à des craintes, à des vues chimériques, la tranquillité, le sang et les trésors de leurs sujets. Quoique l'ambition, l'avarice, la jalousie et la mauvaise foi des peuples voisins ne fournissent que trop de raisons légitimes pour recourir aux armes, la guerre seroit beaucoup moins fréquente, si on n'attendoit que des motifs réels et légitimes, ou une nécessité absolue de la faire. Les princes qui aiment leurs peuples, savent que la guerre la plus juste est toujours funeste, et que jamais elle n'est utile qu'autant qu'elle assure la paix. On disoit au grand Gustave que, par ses glorieux succès, il paroissoit que la providence l'avoit fait naître pour le salut des hommes, que son courage étoit un don de Dieu et un effet visible de sa bonté : « Dites, répondit-il, que si la guerre que je >> fais est un remède, il est plus insupportable que vos

>> maux. >>

par traités

Les guerres se terminent des traités de paix que les souverains et les peuples devroient regarder comme sacrés et inviolables, parce que rien n'est plus important au repos et à la tranquillité du genre humain.

(Voyez Guerre.)

(ANONYME.)

N appeloit autrefois paladins ces fameux chevaliers errans, qui cherchoient des occasions pour se signaler par leur valeur et leur galanterie. Les combats et l'amour étoient leur unique occupation; et, pour prouver qu'ils n'étoient pas des hommes vulgaires, ils publioient de toutes parts que leurs maîtresses étoient les plus belles personnes qui fussent au monde, et ils obligeoient ceux qui n'en conyenoient pas volontairement de l'avouer, ou d'accepter le combat.

On dit que cette manie commença dans la cour d'Artus, roi d'Angleterre, qui recevoit avec beaucoup de politesse et de bonté les chevaliers de son royaume et ceux des pays étrangers, lorsqu'ils s'étoient acquis par leurs défis la réputation de braves et de galans chevaliers. Lancelot, étant arrivé à la cour de ce prince, devint amoureux de la reine Genèvre, et se déclara son chevalier; il parcourut toute l'ile; il livra divers combats, dont il sortit victorieux ; et, se rendant ainsi fameux par ses faits guerriers, il publia la beauté de sa maîtresse, et la fit reconnoître pour être infiniment au dessus de toutes les autres beautés de la terre. Tristan, d'un autre côté, amoureux de la reine Issorte, publioit de même la beauté et les graces de sa maîtresse, avec un défi à tous ceux qui n'en conviendroient pas.

L'amour qui est fondé sur le bonheur attaché au plaisir des sens, sur le charme d'aimer et d'être aimé, et encore sur le desir de plaire aux femmes, se porte plus vers une de ces trois choses que vers les deux autres, selon les circonstances différentes dans chaque nation et dans chaque siècle. Or, dans le temps des combats établis par la loi des Lombards, ce fut, dit M. de Montesquieu, l'esprit de galanterie qui dût prendre des forces. Des paladins, toujours armés dans une partie du monde pleine de châteaux, de forteresses et de brigands, trouvoient de l'honneur à punir l'injustice, et à défendre la foiblesse. De là encore, dans nos romans, la galanterie

fondée sur l'idée de l'amour, jointe à celle de la force et de la protection. Ainsi naquit la galanterie, lorsqu'on imagina des hommes extraordinaires, qui, voyant la vertu jointe à la beauté et à la foiblesse, furent portés à s'exposer pour elle dans les dangers et à lui plaire dans les actions ordinaires de la vie. Nos romans de chevalerie flattèrent ce desir de plaire, et donnèrent à une partie de l'Europe cet esprit de galanterie, que l'on peut dire avoir été peu connu des anciens.

Le luxe prodigieux de cette immense ville de Rome flatta l'idée des plaisirs des sens. Une certaine idée de tranquillité dans les campagnes de la Grèce fit décrire les sentimens de l'amour, comme on peut le voir dans les romans grecs du moyen âge. L'idée des paladins, protecteurs de la vertu et de la beauté des femmes, conduisit à celle de galanterie. Cet esprit se perpétua par l'usage des tournois, qui, unissant ensemble les droits de la valeur et de l'amour, donnèrent encore à la galanterie une grande importance.

Les entreprises de guerre et de chevalerie, sur-tout celles des croisades, étoient annoncées et publiées avec un appareil capable d'inspirer à tous les guerriers l'ardeur d'y concourir, et de partager la gloire qui devoit en être le prix. L'engagement en étoit scellé par des actes de religion, et par des vœux dont rien ne pouvoit dispenser.

Le plus authentique de tous les vœux étoit celui que l'on appeloit le vœu du paon ou du faisan. Ces nobles oiseaux, car on les qualifioit ainsi, représentoient, par l'éclat et la variété de leurs couleurs, la majesté des róis, et les superbes habillemens dont ces monarques étoient parés pour tenir ce qu'on nommoit cour plenière, La chair du paon ou du faisan étoit, si l'on en croit nos vieux romanciers la nourriture particulière des preux et des amoureux. Enfin, selon Mathieu Pâris, une figure de paon servoit de but aux chevaliers qui s'exerçoient à la course des chevaux et au maniement de la lance.

,

Le jour que l'on devoit prendre l'engagement solemnel, un paon ou bien un faisan quelquefois rôti, mais

toujours paré de ses plus belles plumes, étoit apporté majestueusement par des dames ou par des demoiselles dans un grand bassin d'or ou d'argent, au milieu de la nombreuse assemblée des chevaliers convoqués. On le présentoit à chacun d'eux, et chacun faisoit son vœu sur l'oiseau; ensuite on le reportoit sur une table, pour être enfin distribué à tous les assistans. L'habileté de celui qui tranchoit, consistoit à le partager de manière que tous pussent en avoir. Les dames ou demoiselles choisissoient un des plus braves de l'assemblée, pour aller avec elles porter le paon au chevalier qu'il estimoit le plus preux. Le chevalier choisi mettoit le plat devant celui qu'il croyoit mériter la préférence, coupoit néanmoins l'oiseau et le distribuoit sous ses yeux; et cette distinction si glorieuse attachée à la plus éminente valeur, ne s'acceptoit qu'après une longue et modeste résistance.

(M. de JAUCOURT.)

[ocr errors]
« AnteriorContinuar »