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Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,
Qui tous de mon amaut empruntoient leur éclat,
Cette pourpre, cet or, qui rehaussoient sa gloire,
Et ces lauriers encor, témoins de sa victoire,
Tous ces yeux qu'on voyoit venir de toutes parts
Confondre sur lui seul leurs avides regards,
Ce port majestueux, cette douce présence, etc.

Tel est aussi, dans Andromaque, le souvenir de la prise de Troye.

Songe, songe, Céphise, à cette nuit cruelle,

Qui fut, pour tout un peuple, une nuit éternelle;

Figure-toi Pyrrhus, les yeux étincelans,

Entrant à la lueur de nos palais brûlans,

Sur tous mes fières morts se faisant un passage,

Et de sang tout couvert échauffant le

carnage.

Songe aux cris des vainqueurs; songe aux cris des mourans,"
Dans la flamme étouffés, sous le fer expirans ;

Peins-toi, dans ces horreurs, Andromaque éperdue.

Dans ce tableau, les yeux d'Andromaque ne se détachent point de Pyrrhus; elle ne distingue que lui; tout le reste est confus et vague c'est ainsi que tout, doit être relatif et subordonné à l'intérêt qui domine dans le moment de la narration.

Comme elle n'est jamais plus tranquille, plus désintéressée que dans la bouche du poète, elle n'est jamais plus libre de se parer des fleurs de la poésie : aussi, dans ce calme des esprits, a-t-elle besoin de plus d'ornemens que lorsqu'elle est passionnée. Or ses ornemens les plus familiers sont les descriptions et les comparaisons.

(M. MAR MONTEL.)

Le naturel, dans le style, annonce un auteur qui joint

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au sentiment de la belle nature une grande facilité pour la peindre c'est ce sentiment qui nous apprend à dire les choses comme chacun s'imagine qu'il les auroit dites; un esprit naturel, dédaignant les transitions éclatantes qui trahissent l'art et quelquefois l'effort, trouve les sciences dans l'ordre des choses; ses idées tiennent l'une à l'autre comme d'elles-mêmes : c'est la dépendance de ses pensées qui en forme la liaison; ce ne sont point des pièces de rapport, l'ouvrage est jeté en fonte un esprit naturel, ennemi de toute contrainte comme de toute affectation, ressemble à ces personnes qui, avec une démarche aisée, des attitudes nobles, mais simples, des ornemeus destinés à les vêtir plutôt qu'à les parer, nous plaisent, nous préviennent en leur faveur, et sont d'autant plus sûres de nos suffrages qu'elles ne paroissent pas y prétendre.

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Le moyen le plus sûr pour saisir ce ton naturel est de ne faire parade ni d'esprit ni d'érudition.

Un de nos poètes a dit ingénieusement que l'esprit qu'on veut avoir nuit à l'esprit qu'on a, et l'on s'imagine difficilement jusqu'à quel point cette manie de paroître ingénieux peut nous rendre ridicules. Dans une oraison funèbre du brave Crillon, prononcée à Avignon il y a environ cent cinquante ans, l'orateur s'écrie : « Je le vois au siége » de la Ferre féru, férir; battu, battre; choqué, choquer, » toujours Crillon. Je le vois à Montmeillan bruyant, bril» lant, brûlant du desir de combattre, toujours Crillon. » Il n'étoit pas seulement fort au pouce droit comme » Pyrrhus, ains en toutes les parties de son corps, fort en son cœur comme un Léonidas, fort en ses yeux » comme un Haspalicus, fort en sa prestance comme un » Marius, fort en son bras comme un Scanderberg. »

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Il est rare que l'affectation d'esprit et d'érudition soit portée à cet excès; mais, dès qu'elle se laisse apercevoir, elle détruit le naturel. Il est cependant, dans nos écrits comme dans nos gestes, la source des graces qui séduisent et de l'intérêt qui passionne : l'antithèse est de toutes les figures celle

qui lui est la plus opposée. J'avouerai que rien ne contribue plus à l'éclaircissement de deux idées que de faire apercevoir leur affinité ou leur différence, et que le contraste de deux objets, en les rendant plus remarquables, soulage notre attention et rend nos sensations plus distinctes.

Mais l'on avouera que l'antithèse, lorsqu'elle est prodiguée, annonce l'effort de l'esprit. Il faut éviter encore plus les jeux de mots, tellement accueillis autrefois qu'ils s'introduisirent jusque dans l'éloquence. Lorsque Pyrrhus

dit:

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai,

l'on ne peut disconvenir que les jeux de mots ne soient incompatibles avec le naturel, qui disparoît dès que l'esprit veut se montrer. Mais c'est peu de ne pas tomber dans ces abus, il faut encore éviter la prétention de donner de l'éclat au style et du saillant aux pensées.

Le coloris de nos nouveaux peintres, disoit Cicéron, est plus brillant que celui des anciens; cependant la séduction que nous cause la fraîcheur de leurs peintures dure peu, et nous préférons à ces tableaux modernes les tableaux antiques. Les sons pleins et graves ont moins de douceur que les demi-tons et les dièses, et cependant ces agrémens de la musique nous fatiguent lorsqu'ils sont prodigués; les parfums les plus spiritueux ne plaisent pas aussi long-temps que ceux qui frappent moins l'odorat; le toucher même se lasse des objets qu'un trop grand poli rend mols et glissans; et le plus voluptueux des sens, le goût, éprouve bientôt de la satiété pour ce qui le flatte trop délicieusement; les liqueurs qui ont beaucoup d'esprits émoussent les fibres du palais. C'est une loi de la nature que ce qui cause beaucoup de plaisir n'en cause pas longtemps. Concluons-en avec l'orateur romain qu'un discours où tout brille, où tout éclate, fait naître plutôt une espèce d'éblouissement qu'une admiration véritable, et qu'un écrivain déplaît souvent par l'effort même qu'il fait pour plaire.

Le naturel est un des caractères distinctifs des écrivains anciens. Dans ce qui nous reste d'Isocrate, on voit un style

doux, coulant, plein de graces naturelles, ni trop simple ni trop orné. Il est le premier, selon Cicéron, qui ait introduit dans la langue grecque ce nombre et cette cadence qui en fait la première des langues.

Le naturel distinguoit Démosthène comme Isocrate. Ce prince des orateurs avoit une éloquence rapide, forte, sublime; mais ce qu'on remarquoit le plus dans ses ha rangues, c'est que toutes ses pensées paroissoient naître du sujet, et toutes ses expressions convenir à ses pensées. Eschine, plus abondant, plus fleuri que son rival, savoit cependant réunir le naturel à l'élégance; Cicéron excella sur-tout dans l'arrangement des mots et dans l'art de flatter l'oreille par la suspension des phrases artistement cadencées. Personne n'eut à un si haut degré le talent de relever les choses les plus communes, et d'embellir celles qui paroissoient le moins susceptibles d'ornemens; mais tous ses discours sont marqués au coin de cette noble simplicité et de ce naturel sublime qui est le premier caractère de l'éloquence et le trait distinctif des orateurs anciens.

Sénèque fut le premier qui accrédita le style recherché: à une grande délicatesse de sentimens, il unissoit beaucoup d'étendue dans l'esprit; mais le desir de donner le ton à son siècle le jeta dans des nouveautés qui corrompirent le goût. Il substitua à l'heureuse simplicité des anciens le fard et la parure de la cour de Néron. Un style semé de pointes, de sentences et de peintures brillantes, mais trop chargées; des expressions nouvelles, des tours ingénieux, mais peu naturels. Peu content de plaire, il voulut éblouir, et il y réussit. Concis, et néanmoins diffus, il n'employa que le nioins de termes possibles pour exprimer sa pensée; mais il employa trop de pensées particulières pour dévclopper sa pensée principale. Il afficha l'art, et s'écarta de ce naturel qui est le premier charme du style. Cette qualité si précieuse est plus rare dans nos écrivains que dans ceux de l'antiquité. Nous avons cependant des auteurs qui peuvent servir de modèles dans ce genre. A leur tête, on doit placer Lafontaine; c'est le poète de la nature : sagesse du plan, ordonnance des tableaux, fraîcheur du coloris, choix des ornemens, richesse des détails, naturel des descriptions, vérité des caractères, finesse de morale, tout

fait sentir dans ses ouvrages une heureuse simplicité peu connue avant lui. Nos jeunes écrivains ne sauroient trop étudier sa versification et son style.

Après Lafontaine, nous placerons Jean Racine. La poésie française, portée au plus haut point de noblesse, d'élégance et de pureté, a consacré son nom à une gloire immortelle. Aucun poète n'a mieux connu, mieux éprouvé, plus vivement exprimé le sentiment par cette heureuse facilité d'animer tout ce qu'il dit, par l'heureux talent de parler intimément au cœur, de l'attendrir, de lui faire éprouver tous les mouvemens des passions; il s'est rendu maître de la scène tragique, en maniant, avec une supériorité sans égale, le plus intéressant de ses ressorts, la pitié qu'on parcoure ses tragédies; la sagesse et la vċrité des caractères, le pathétique et la chaleur qui les vivifie, offrent sans cesse des traits qui émeuvent les spectateurs. Par-tout une poésie noble, tendre, harmonieuse, présente des charmes séduisans, et lui ouvre, par les sens, le chemin de l'ame; et l'on peut dire de Îui:

Au flambeau de son cœur échauffant son esprit,

Il voit tout ce qu'il peint et sent tout ce qu'il dit.

Ce qui le distingue sur-tout, c'est le naturel; rien de forcé, point d'effort je me trouve à mon aise en le lisant, disoit une femme de la cour: c'est peut-être le plus bel éloge que l'on puisse faire de ce poète, qui a rappelé parmi nous cette élégante simplicité que nous admirons dans les

anciens.

Une pensée naturelle est nécessairement vraie; mais toute pensée vraie ne paroît pas toujours naturelle, parce que le rapport réel qui peut se trouver entre des idées n'est pas toujours sensible. Nous ne jugeons une pensée naturelle que lorsqu'elle se présente d'abord à l'esprit; si elle lui échappe, ou qu'elle ne se laisse qu'entrevoir, nous ne manquons pas de nous en prendre à l'auteur. Notre amour propre nous persuade aisément que ce que nous ne concevons par sans effort n'a pu être produit sans beaucoup de travail.

« Ce que je trouve de cruel dans quelques écrivains

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