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leurs lumières et de leurs talens piquoit la reconnoissance des particuliers. Isocrate prenoit mille dragmes, c'est-à-dire environ 730 livres pour quelques leçons de rhétorique. L'éloquence étoit hors de prix. Gorgias de Léontium avoit fixé son cours de leçons à cent mines pour chaque écolier (environ 7,200 liv.): Protagore d'Abdère amassa dans cette profession plus d'argent que n'auroient jamais pu faire dix Phidias réunis. Lucien appelle plaisamment ces orateurs marchands, des Argonautes qui cherchoient la toison d'or. Mais j'aime la générosité d'Isée qui, charmé du génie de Démosthène, et curieux de laisser un digne successeur, lui donna toutes ses leçons gratuites.

Les honneurs qu'on leur prodiguoit pendant leur vie et après leur mort, chatouilloient encore plus l'ambition que le salaire ne flattoit la cupidité. Au sortir de l'assemblée et du barreau, on les reconduisoit en cérémonie jusqu'en leur logis, et le peuple les suivoit au bruit des acclamations les parties assembloient leurs amis pour faire un nombreux cortége, et montrer à toute la ville leur protecteur on leur permettoit de porter la couronne dont ils étoient ornés, lorsqu'ils avoient prononcé des oracles salutaires à leur patrie: on les couronnoit publiquement en plein sénat, ou dans l'assemblée du peuple, ou sur le théâtre. L'officier qui présidoit aux jeux sacrés, revêtu d'un habit de pourpre, et tenant en main un sceptre d'or annonçoit à haute voix sur le bord du théâtre le motif pour lequel il décernoit la couronne, et présentoit en même temps le citoyen qui devoit la recevoir tout le parterre répondoit par des applaudissemens redoublés à cette proclamation, et les plus distingués des citoyens jetoient aux pieds de l'orateur les plus riches présens. Démosthène, qui fut couronné plus d'une fois, nous apprend, dans sa harangue pour Ctésiphon, que cet honneur ne s'accordoit qu'aux souverains et aux républiques.

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dès

Sous Marc-Aurèle, Polémon, que toute la Grèce, assemblée à Olympie, appela un autre Démosthène, reçut, sa jeunesse, les couronnes que la ville de Smirne vint, comme à l'envi, mettre sur sa tête. On vit, d'après le même usage, des empereurs romains monter sur le théâtre

pour y proclamer les savans dans les spectacles de la Grèce. En un mot, Athènes ne croyoit rien faire de trop en égalant ses orateurs aux souverains, et en prêtant à l'éloquence l'éclat du diadême; tandis qu'elle refusoit à Miltiade une couronne d'olivier, elle prodiguoit des couronnes d'or à des citoyens puissans en paroles.

Non content de cette pompe extérieure, le peuple d'Athènes nourrissoit ses orateurs dans le Prytanée, leur accordoit des priviléges, des revenus et des fonds; les portes de leur logis étoient ornées de lauriers; privilége singulier, qui, chez les Romains, n'appartenoit qu'aux Flamines aux Césars et aux hommes les plus célèbres comme le droit de porter la couronne sur la tête.

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Après leur mort, le public ou des particuliers consacroient dans les temples, à leur honneur, les couronnes qu'ils avoient portées, ou érigeoient quelque monument fameux dans les places ou sur leurs tombeaux. Timothée fit placer à Eleusine, à l'entrée du portique, la statue d'Isocrate, sculptée de la main de Léochares. On y lisoit cette inscription simple et noble : Timothée a consacré ceite statue d'Isocrate aux déesses pour marque de sa reconnoissance et de son amitié. Quelque temps avant Plutarque, on voyoit sur le tombeau de cet orateur une colonne de trente coudées, surmontée d'une syrène de sept coudées, pour désigner la douceur et les charmes de son éloquence. Tout auprès étoient ses maîtres. Gorgias, entre autres tenant à ses côtés Isocrate, examinoit une sphère, et l'expliquoit à ce jeune élève. Enfin, dans le Céramique, on avoit érigé une statue à la mémoire de l'orateur Lycurgue, qui, avant que d'entrer dans le tombeau, prit à témoin de son désintéressement le sénat et toutes les tribus assemblées.

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Je supprime à regret plusieurs autres détails sur les orateurs de la Grèce; mais j'ose croire qu'on ne désapprouvera pas cette esquisse tirée d'un des plus agréables tableaux qu'on ait fait du barreau d'Athènes. C'est à M. l'abbé d'Orgival qu'il est dû. Passons à la peinture des orateurs romains: elle n'est pas moins intéressante; je crains seulement de la trop affoiblir dans mon extrait.

ORATEURS ROMAIN S.

Je révolterai bien des gens en établissant des orateurs à Rome dès le commencement de la république; cependant plusieurs raisons me semblent assez plausibles pour ne point regarder cette idée comme chimérique, sous un gouvernement où rien ne se décidoit que par la raison et par la parole; car, sans vouloir donner les premiers Romains pour un peuple de philosophes, on est forcé de convenir qu'ils agissoient avec plus de prudence, plus de circonspection, plus de solidité qu'aucun autre peuple, et que leur plan de gouvernement étoit plus suivi. A la tête des légions, ils plaçoient des chefs hardis, intrépides, entendus: dans la tribune aux harangues, ils vouloient des hommes éloquens et versés dans le droit.

En effet, les historiens ne célèbrent pas moins l'éloquence des magistrats romains que l'habileté des généraux. Valérius-Publicola prononça l'oraison funèbre de Brutus son collègue. Valère-Maxime dit que l'éloquence du dictateur Marcus - Valérius sauva l'empire, que les discordes des patriciens et du peuple alloient étouffer dans son berceau. Tite-Live reconnoît des graces dans le vieux style de Menennius-Agrippa. Tullus, général des Volsques, ne permit pas à Coriolan de parler dans l'assemblée de la nation, parce qu'il redoutoit son talent dans la parole. Caïus-Flavius, élevé dans la poussière du greffe, fut créé édile-curule, à cause de la beauté de son élocution. Enfin Cicéron range dans la classe des orateurs romains les premiers magistrats de cet âge, et prouve par-là la perpétuité de l'éloquence dans la république.

Mais Cicéron ne parle-t-il point sur ce ton pour faire honneur à sa patrie, ou pour exciter, par des exemples, la jeunesse romaine à s'appliquer à un art qui rend les hommes qui le possèdent si supérieurs aux autres? Je le veux bien : cependant peut-on refuser le talent de la parole au tribun Marcus-Génucius, le premier auteur de la loi agraire; à Aulus-Virginius, qui triomphe de tout l'ordre des patriciens dans l'affaire de Coeson; à Lucius-Sextus, qui transmet le consulat aux plébéiens, malgré les efforts et l'éloquence d'Appius

d'Appius-Claudius? L'opposition éternelle entre les patriciens et les tribuns exigeoit beaucoup de talent, de génie, de politique et d'art. Ces deux corps s'éclairoient mutuellement avec une jalousie sans exemple, et cherchoient à se supplanter auprès du peuple par la voie de l'éloquence.

D'ailleurs le savoir étoit estimé dans ces premiers siècles de la république; on y remarque déjà le goût et l'étude des langues étrangères. Scævola savoit parler étrusque: c'étoit alors l'usage d'apprendre cette langue, comme l'observe Tite-Live. On ne mettoit auprès des enfans que des domestiques qui la sussent parler. L'insulte faite à un ambassadeur romain dans la Tarente, parce qu'il ne parloit pas purement le grec, montre qu'on l'étudioit au moins, et qu'on parloit les langues des autres peuples pour traiter avec eux. Dans les écoles publiques, des littérateurs enseignoient les belles-lettres. Du temps de nos aïeux, dit Suétone, lorsqu'on vendoit les esclaves de quelque citoyen, on annonçoit qu'ils étoient littérateurs, pour marquer qu'ils avoient quelque teinture des sciences.

que

Je conviens les séditions et les jalousies réciproques des deux corps qui agitèrent l'état, répandirent l'aigreur, le fiel et la violence dans les harangues des tribuns; un esprit farouche s'étoit emparé de ces harangueurs impétueux: mais, sous les Scipion, avec un nouvel ordre d'affaires, les mœurs changèrent, et les emportemens du premier âge disparurent. Annibal vaincu et Carthage humiliée, des rois traînés au capitole, des provinces ajoutées à l'empire, la pompe des triomphes et des prospérités toujours plus éclatantes, inspirèrent des sentimens plus généreux et des manières moins sauvages. L'air brusque des Iciliens céda à l'urbanité et à la sagesse de Lælius. La tribune admira des orateurs non moins fermes, ni moins hardis que dans les premiers temps, mais plus insinuans, plus ingénieux, plus polis; l'âcreté d'humeur s'étant adoucie comme par enchantement, les reproches amers se convertirent en un sel fin et délicat aux emportemens farouches des tribuns succédèrent des saillies heureuses et spirituelles. Les orateurs, transportés d'un nouveau feu, et changés en d'autres hommes, traitèrent les affaires avec magnificence en présence des rois et des peuples conquis, Tome VIII.

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semèrent de la variété et de l'agrément dans leurs discours, et les assaisonnèrent de cette urbanité qui fit aimer les Romains, respecter leur puissance, et qui les rend encore l'admiration de l'univers.

L'illustre famille des Scipion produisit les plus grands hommes de la république. Ces génies supérieurs, nés pour être les maîtres des autres, saisirent tout d'un coup l'idée de la véritable grandeur et du vrai mérite; ils surent adoucir les mœurs de leurs concitoyens par la politesse, et orner leur esprit par la délicatesse du goût. Instruits par l'expérience et par la connoissance du cœur humain, ils s'aperçurent aisément qu'on ne gagne un peuple libre que par des raisons solides, et qu'on ne s'attache des cœurs généreux que par des manières douces et nobles; ils joignirent donc à la fermeté des siècles précédens le charme de l'insinuation. Leur siècle fut l'aurore de la belle littérature et le règne de la véritable vertu romaine. La probité et la noblesse des sentimens réglèrent leurs discours comme leurs actions; leurs termes répondirent en quelque sorte à leurs hauts faits; ils ne furent pas moins grands, moins admirables dans la tribune, qu'ils ne furent terribles à la tête des légions: ils surent foudroyer l'ennemi armé et réduire les soldats rebelles : les souverains et l'étranger furent frappés par l'éclat de leurs vertus; le citoyen ne put résister à la force de leurs raisons.

Les Romains qui approchèrent le plus près de ces grands hommes, leurs amis, leurs cliens, prirent insensiblement leur esprit, et le communiquèrent aux autres parties de la république. On accorda à Lælius un des premiers rangs entre les orateurs. Caïus-Galba, gendre de Publius-Crassus, et qui avoit pour maxime de ne marier ses filles qu'à des savans et à des orateurs, étoit si estimé du temps de Cicéron, qu'on donnoit aux jeunes gens, pour les former à l'éloquence, la péroraison d'un de ses discours. Les harangues de Fabius-Maximus, graves, majestueuses, et remplies de solidité et de traits lumineux, marchoient de pair avec celles de Thucydide. L'éloquence harmonieuse de M.-Cornélius-Cétégus fut chantée par le premier Ho

mère latin.

Le génie de l'éloquence s'étoit emparé des tribunes

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