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ont été traduites du grec en latin. Il y a deux de ses oraisons pour Nicoclès, roi de Chypre, qui sont parvenues jusqu'à nous. La première traite des devoirs des princes envers leurs sujets, et la seconde de ceux des sujets envers leurs princes. Nicoclès, pour lui en témoigner sa reconnoissance, lui fit présent de vingt talens, c'est-à-dire de plus de quatre-vingt-trois mille livres de notre monnoie.

Flaton, comme un nouvel athlète, vint, les armes à la main, disputer à Homère le prix de l'éloquence. Le dialecte dont il se sert est l'ancien dialecte attique qu'il écrit dans sa plus grande pureté. Son style est exact, aisé, coulant, naturel, tel qu'un clair ruisseau qui promène, sans bruit et sans fierté, ses eaux argentines à travers d'une prairie émaillée de fleurs. Speusippe, son neveu, fit placer les statues des Graces dans l'académie où ce philosophe avoit coutume de dicter ses leçons, voulant par-là fixer le jugement qu'on devoit prononcer sur ses écrits, et l'idée véritable qu'il en falloit concevoir. Son défaut est de se répandre trop en métaphores; emporié par son imagination, il court après les figures, et surcharge ses écrits d'épithètes. Ses métaphores sont sans analogie, et ses allégories sans mesure; du moins c'est ainsi qu'en juge Denis d'Halycarnasse, après Démétrius de Phalère, et d'autres savans, dans sa lettre à Pompée.

Isée montra une diction pure, exacte, claire, forte, énergique, concise, propre au sujet, arrondie, et convenable au barreau. On aperçoit, dans les dix plaidoyers qui nous restent des cinquante qu'il avoit écrits, les premiers coups de l'art, et cette source où Démosthène forgea ces foudres et ces éclairs qui le rendirent si terrible à Philippe et à Eschine.

Hypéride joignit dans ses discours les douceurs et les graces de Lysias. Il y a dans ses ouvrages, dit Longin, un nombre infini de choses plaisamment dites: sa manière de railler est fine et a quelque chose de noble.

Eschine, enfant de la fortune et de la politique, est un de ces hommes rares qui paroissent sur la scène comme par une espèce d'enchantement. La poussière de l'école et du greffe, le théâtre, la tribune, la Grèce, la Macédoine, lui virent jouer tour-à-tour différens rôles. Maître d'école,

greffier, acteur, ministre, sa vie fut un tissu d'aventures; sa vieillesse ne fut pas moins singulière que sa jeunesse : il se fit philosophe, mais philosophe souple, adroit, ingénieux, délicat, enjoué. Il charma ses compatriotes, admiré et estimé de Philippe. L'obscurité de sa naissance, l'amour des richesses et de la gloire, piquèrent son ambition; il éprouva des malheurs qui n'altérèrent jamais les charmes et les graces de son esprit : il l'avoit extrêmement orné.

Une heureuse facilité, que la nature seule peut donner, règne par-tout dans ses écrits; l'art et le travail ne s'y font point sentir. Il est brillant et solide; sa diction, ornée des plus nobles et des plus magnifiques figures, est assaisonnée des traits les plus vifs et les plus piquans. La finesse de l'art ne se fait pas tant admirer en lui que la beauté du génie. Le sublime qui règne dans ses harangues n'altère point le naturel. Son style simple et net n'a rien de lâche ni de languissant, rien de resserré ni de contraint. Ses figures sortent du sujet sans être forcées par l'effort de la réflexion. Son langage châtié, pur, élégant, a toute la douceur du langage populaire. Il s'élève sans se guinder; il s'abaisse sans s'avilir ni se dégrader.

Une voix sonore et éclatante, une déclamation brillante, des manières aimables et polies, un air libre et aisé, une capacité profonde, une étude réfléchie des lois, une pénétration étendue, lui concilièrent les suffrages des tribus assemblées et l'admiration des connoisseurs. Par tous ces talens, que la nature lui prodigua, et que son génie sut merveilleusement cultiver, Eschine devint le digne rival de Démosthène et le compagnon des rois.

Démosthène, le premier des orateurs grecs, mérite bien de nous arrêter quelque temps. Il naquit à Athènes, trois cent quatre-vingt-un ans avant Jésus-Christ. Il n'étoit point fils d'un forgeron, comme Juvénal veut le faire entendre, mais d'un homme assez riche pour faire valoir des forges. Il fut disciple d'Isocrate, de Platon et d'Isée et fit, sous ces grands maitres, de tels progrès, qu'à l'âge de dix-sept ans il plaida contre ses tuteurs, et les fit condamner à lui payer trente talens qu'il leur remit.

Né pour fixer le vrai point de l'éloquence grecque, il

eut ce qui forme les grands hommes, l'enthousiasme do la gloire et l'amour de la liberté ; c'est peut-être le républicain qui s'est montré le plus grand ennemi de toute dépendance et de toute servitude, et jamais Philippe, roi de Macédoine, ne seroit parvenu au degré de puissance qui causa la perte de la Grèce, si les Athéniens eussent voulu suivre les avis de cet orateur; mais il adressoit la voix à l'amour de la patrie, et cette belle passion n'échauffoit plus le cœur des Athéniens.

« Ce qui caractérise Démosthène plus que tout le reste, » dit M. Rollin, et en quoi il n'a point d'imitateurs, est » un oubli si parfait de lui-même, une exactitude si scru» puleuse à ne faire jamais parade d'esprit, un soin si » perpétuel de ne rendre l'auditeur attentif qu'à la cause, >> et point du tout à l'orateur, que jamais il ne lui échappe une expression, un tour, une pensée, qui n'ait pour >> but simplement que de plaire et de briller. Cette re>> tenue, cette sobriété dans un aussi beau génie qu'étoit » Démosthène, dans des matières si susceptibles de graces » et d'élégance, met le comble à son mérite, et est au >> dessus de toutes les louanges. »

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Quelqu'un l'interrogea, à trois différentes reprises, sur la qualité qu'il jugeoit la plus nécessaire à l'orateur; il ne dit autre chose, sinon que c'étoit la déclamation, voulant insinuer, par cette réponse répétée jusqu'à trois fois, que cette qualité étoit celle dont le défaut pouvoit le moins se couvrir, et celle qui étoit la plus capable de suppléer aux autres.

Un Athénien, qui étoit venu trouver Démosthène pour qu'il prît en main sa défense contre un homme qui l'avoit maltraité, lui faisoit tranquillement le récit des injures qu'il en avoit reçues; mais Démosthène se contenta de répondre qu'il n'en étoit rien. Comment, s'écria cet homme avec colère, je n'ai point été maltraité! Oh! présentement, répliqua Démosthène, j'entends la voix d'un homme qui a été véritablement insulté. Cet orateur étoit persuadé que le ton et le geste de celui qui parle sont nécessaires pour rendre croyable tout ce qu'il dit.

Quel orateur en effet posséda à un plus haut degré cette partie importante de l'art oratoire ? Le feu de ses yeux,

l'action de son visage, la véhémence de sa voix, d'accord avec ses expressions et ses pensées, et la vivacité de ses gestes, étoient comme un poids qui accabloit ses adversaires; et quiconque venoit l'entendre étoit comme transporté d'étonnement et d'admiration. Démétrius de Phalère, qui avoit été son disciple, assure qu'il haranguoit comme nn sage plein de l'esprit du dieu de Delphes.

Démosthène eut à combattre en même temps les obstacles de la nature et de la fortune. L'étude et la vertu s'efforcèrent, comme à l'envi, de le placer à la tête des orateurs, et de lui soumettre ses rivaux. Point d'homme qui ait été tant contredit, et point d'homme qui ait été tant admiré; point d'orateur plus mal partagé du côté de la nature, et plus aidé du côté de l'art; point de politique qui ait eu moins de loisir, et qui ait su mieux employer le temps. Son éloquence et sa vertu peuvent être regardées comme un prodige de la raison et le plus grand effort du génie.

C'est en effet un génie supérieur qui s'est ouvert une nouvelle carrière qu'il a franchie d'un pas audacieux, sans laisser aux autres que la seule consolation de l'admirer et le désespoir de ne pouvoir l'atteindre. Lorsqu'il entra dans les affaires, et qu'il commença à parler en public, quatre orateurs célèbres s'étoient déjà emparés de l'admiration publique; Lysias, par un style simple et châtié; Isocrate, par une diction ornée et fleurie; Platon, par une élocution noble, pompeuse et sonore; Thucydide, par un style serré, brusque et impétueux. Démosthène réunit tous ces caractères, et, prenant ce qu'il y avoit de plus louable en chaque genre, il s'en forma un style sublime et simple, étendu et serré, pompeux et naturel, fleuri et sans fard, austère et enjoué, véhément et diffus délicat et brusque, propre à tracer un portrait, et à enflammer une passion.

Tout ce que l'esprit a de plus subtil et de plus brillant, tout ce que l'art a de plus fin et, pour ainsi dire, de plus rusé, il le trouve et le manie admirablement bien. Rien de plus délicat, de plus serré, de plus lumineux, de plus châtié que son style; rien de plus sublime ni de plus véhément que ses pensées, soit par la majesté qui les accom

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soit

pagne, par le tour vif et animé dont il les exprime. Nul n'a porté plus loin la perfection des trois styles; nul n'a été plus élevé dans le genre sublime, ni plus délicat dans le simple, ni plus sage dans le tempéré.

Dans sa méthode de raisonner, il sait prendre des détours et marcher par des chemins couverts, pour arriver plus sûrement au but qu'il se propose : c'est ainsi que, dans la harangue de la flotte qu'il faisoit équiper contre le roi de Perse, il rend au peuple la difficulté de l'entreprise si grande, que, voulant la lui persuader en apparence, il l'en dissuade en effet, comme c'étoit son dessein. Il supprime quelquefois adroitement des actions glorieuses à sa patrie, lorsqu'en les rapportant, il pourroit choquer des alliés. Dans la quatrième Philippique, il dit qu'Athènes sauva deux fois la Grèce des plus grands dangers, à Marathon, à Salamine. Il étoit trop habile pour rappeler l'honneur qu'Athènes s'étoit acquis en affranchissant la Grèce de l'empire de Sparte, parce qu'il avoit tout à ménager dans les conjonctures critiques où il parloit. Il aime mieux dérober quelque chose à la gloire de sa république, que de faire revivre un souvenir injurieux à Lacédémone, alors alliée d'Athènes.

Ce qu'on doit sur-tout admirer en lui, ce sont ces couleurs vives, ces traits touchans et pénétrans, ces terribles images qui abattent et effraient, ce ton de majesté qui impose, ces mouvemens impétueux qui entraînent, ces figures véhémentes, ces fréquentes apostrophes, ces interrogations réitérées qui animent et élèvent un discours; en sorte que l'on peut dire que jamais orateur n'a donné tant de force à la colère, à la haine, à l'indignation, à tous ses mouvemens, ni à toutes ses passions.

Démosthène n'est point un déclamateur qui joue librement sur des sujets de fantaisie, et qui, selon le reproche calomnieux de ses ennemis, s'inquiète bien plus de la cadence d'une période que de la chute d'une république. C'est un orateur dont le zèle infatigable ne cesse de réveiller les esprits lethargiques, de rassurer les timides, d'intimider les téméraires, de ranimer les voluptueux, qui ne vouloient ni servir la patrie ni qu'il la servit : 'est enfin un ami du genre humain, qui ne s'occupe

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