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CE mot, dans son étymologie, s'étend fort loin, signi

fiant en général tout homme qui harangue. Ici, il désigne un homme éloquent qui fait un discours public préparé avec art pour opérer la persuasion.

Quelque sujet que traite un tel orateur, il a nécessairement trois fonctions à remplir; la première est de trouver les choses qu'il doit dire; la seconde est de les mettre dans un ordre convenable; la troisième de les exprimer avec éloquence: c'est ce qu'on appelle invention, disposition, exprsssion. La seconde opération tient presque à la première, parce que le génie, lorsqu'il enfante, étant mené par la náture, va d'une chose à celle qui doit la suivre. L'expression est l'effet de l'art et du goût.

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On distingue trois devoirs de l'orateur, ou, si l'on veut, trois objets qu'il ne doit jamais perdre de vue: instruire plaire et émouvoir. Le premier est indispensable; car, à moins que les auditeurs ne soient instruits d'ailleurs, il faut nécessairement que l'orateur les instruise: cette instruction est quelquefois capable de plaire par elle-même; il y a pourtant des agrémens qu'on y peut répandre, ainsi que dans les autres parties du discours; c'est à quoi l'on oblige l'orateur par le second devoir qu'on lui prescrit, qui est de plaire. Il y en a un troisième, qui est d'émou voir; c'est en y satisfaisant que l'orateur s'élève au plus haut degré de gloire auquel il puisse parvenir; c'est ce qui le fait triompher, c'est ce qui brise les cœurs et les entraîne.

Le secret est d'abord de plaire et de toucher;
Inventez des ressorts qui puissent m'attacher.

Ces ressorts sont d'employer les passions, instrument dangereux quand il n'est pas manié par la raison; mais plus efficace que la raison même quand il l'accompagne et qu'il la sert. C'est par les passions que l'éloquence triomphe, qu'elle règne sur les cœurs; quiconque sait exciter les passions à propos maîtrise à son gré les esprits, il les fait

passer de la tristesse à la joie, de la pitié à la colère. Aussi véhément que l'orage, aussi pénétrant que la foudre, aussi rapide que les torrens, il emporte, il renverse tout par les flots de sa vive éloquence: c'est par-là que Démosthène a régné dans l'aréopage, et Cicéron dans les tribunes. Personne n'ignore que les orateurs, chez les Grecs et les Romains, étoient des hommes d'état, des ministres non moins considérables que les généraux qui manioient les affaires publiques, et qui entroient dans presque toutes les révolutions. Leur histoire n'est point celle de quelques particuliers, ni les matières qu'ils traitoient le spectacle d'un art inutile. Les harangues de Démosthène et de Cicéron offrent des tableaux vivans du gouvernement, des intérêts, des mœurs et du génie des deux peuples.

Bossuet, Fléchier, Bourdaloue, ont été, dans le dernier siècle, de grands orateurs chrétiens. Les oraisons funèbres des deux premiers les ont conduits à l'immortalité; et Bourdaloue devint bientôt le modèle de la plupart des prédicateurs. Mais rien parmi nous n'engage aujourd'hui personne à cultiver le talent d'orateur au barreau. C'est ce qui a fait dire un de nos auteurs modernes :

Egaré dans le noir dédale
Où le fantôme de Thémis,
Couché sur la pourpre et les lis,
Penche la balance inégale,
Et tire d'une urne vénale
Des arrêts dictés par Cypris.
Irois-je, orateur mercenaire
Du faux et de la vérité,

Chargé d'une haine étrangère,
Vendre aux querelles du vulgaire
Ma voix et ma tranquillité.

Il me paroît important de tracer ici avec quelque étendue le caractère des orateurs d'Athènes et de Rome: ce sera l'histoire de l'éloquence même.

ORATEURS GREC S.

POUR mettre de la méthode dans ce discours, nous partagerons les orateurs grecs en trois âges, conformément aux trois âges de l'éloquence d'Athènes.

PREMIER AGE.

Périclès fut proprement le premier orateur de la Grèce. Avant lui, nul discours, nul ornement oratoire. Quelques sophistes, sortis des colonies grecques, avec un style sententieux, des termes emphatiques, un ton ampoulé, et un amas fastueux d'hyperboles, éblouirent quelque temps les Grecs. Les Athéniens, frappés du style fleuri et métaphorique de Gorgias de Léontium, le respectèrent comme un enfant des dieux; ses talens lui méritèrent une statue d'or massif dans le temple de Delphes. Hyppias d'Elée, fameux par sa prodigieuse mémoire, étoit comme l'orateur commun de toutes les républiques grecques. Périclès, guidé par un génie supérieur, et formé par de plus habiles maitres, vint tout-à-coup éclipser la réputation que ces vains harangueurs avoient usurpée, et détromper ses compatriotes ses vertus, ses exploits, son savoir profond et ses rares qualités, donnèrent de l'éclat à cette magnifique éloquence qui, pendant quarante ans, le rendit le maître absolu de sa patrie et l'arbitre de la Grèce. Il n'a laissé aucun discours; mais les poètes comiques de son temps rapportent que la déesse de la persuasion, avec toutes ses graces, résidoit sur ses lèvres; qu'il foudroyoit, qu'il renversoit, qu'il mettoit en combustion toute la Grèce.

Socrate, sans être orateur ni maître de rhétorique, continua cette brillante réforme, et soutint ces heureux commencemens. Jules-César, dans le traité qu'il composa pour répondre à l'éloge historique que Cicéron avoit fait de Caton d'Utique, comparoit le discours de la vie de ce Romain à la conduite de Périclès, et au discours de Théramène par Socrate; éloge accompli dans la bouche d'un si grand homme qui, dit Plutarque, auroit effacé Cicéron même, si le barreau avoit pu être un théâtre assez vaste pour son ambition.

Lysias brilla dans le genre simple et tranquille; il effaça, par un style élégant et précis, tous ses devanciers, et Iissa peu d'imitateurs. Athènes s'applaudit de sa diction pure et délicate, et toute la Grèce lui adjugea plus d'une

LOR

fois le prix d'éloquence à Olympie. Les graces de l'atticisme dont il orne ses discours, dit Denis d'Halycarnasse sont prises dans la nature et dans le langage ordinaire. Il flatte agréablement l'oreille par la clarté, le choix et l'élégance de ses termes, et par l'arrangement harmonieux de ses périodes. Chez lui, chaque âge, chaque passion, chaque personnage a, pour ainsi dire, sa voix qui le distingue et le caractérise. Ses péroraisons sont exactes et mesurées, mais elles n'ont point ce pathétique qui ébranle et qui entraîne, Ce qu'on trouve de surprenant dans cet orateur, c'est une fécondité prodigieuse de génie. Dans environ deux cents plaidoyers qu'il débita ou composa pour d'autres, on ne remarquoit ni mêmes lieux, ni mêmes pensées, ni mêmes réflexions. Il trouva, ou au moins perfectionna l'art de donner aux choses une énergie, une force, et un caractère qui se reconnoît dans les pensées, dans l'expression, et dans l'arrangement de toutes les parties de ses discours.

Thucydide vint frapper l'esprit des Grecs par un nouvel éclat et un nouveau genre d'éloquence. A une naissance illustre, à un génie élevé, à une fierté de républicain, à un caractère sombre et austère, à un tempérament chagrin et inquiet, son éducation et ses malheurs ajoutèrent cette noblesse de sentimens, ce choix de paroles, cette hardiesse d'imagination, cette vigueur de discours, cette profondeur de raisonnement, ces traits, ces expressions, qui le constituent le premier et le plus digne historien des républiques. Son style singulier ne participe que trop à une humeur violente et agitée par les revers de la fortune. Il emploie l'ancien dialecte attique. Il crée des mots nouveaux, et en affecte d'anciens pour donner un air mystérieux à certaines pensées qu'il ne fait que montrer. Il change les cas, les temps, les personnes, les choses mêmes, suivant les mouvemens de son imagination, le besoin des affaires et les circonstances de son récit. Une figure qui lui est propre, et qui porte avec soi le caractère véritable d'une passion forte et violente, c'est l'hyperbate, qui n'est autre chose que la transposition des pensées et des paroles dans l'ordre et la suite d'un discours. Sa méthode de raisonner le distingue de tous les écrivains précédens.

Ses idées, d'un ordre supérieur, n'ont rien que de noble, et présentent même une espèce d'élévation dans les choses les plus communes; on ne sait pas si ce sont les pensées qui ornent les mots, ou les mots qui ornent les pensées; ses termes sont, pour ainsi dire, au même niveau que les affaires; vif, serré, concis, on diroit qu'il court avec la même impétuosité que la foudre qu'il allume sous les pas des guerriers dont il décrit les exploits.

Cicéron et Denis d'Halycarnasse exigeoient un grand discernement dans la lecture de ses harangues, parce qu'ils n'y trouvoient pas un style ni assez harmonieux, ni assez lié, ni assez arrondi; ils lui reprochoient d'avoir quelquefois des pensées obscures et enveloppées, des raisonnemens vicieux et des caractères forcés.

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Isocrate ouvrit ce beau siècle, et parut à la tête des orateurs qui s'y distinguèrent, comme un guide éclairé qui mène une troupe de sages par des chemins rians et fleuris, De son école, comme du cheval de Troye, dit Cicéron, sortit une foule de grands maîtres. Le genre d'éloquence qu'il introduisit est agréable, doux, dégagé, coulant, plein de pensées fines et d'expressions harmonieuses; mais il est plus propre aux matières de pur appareil qu'aux affaires épineuses du barreau. .

La multiplicité de ses anthitèses, ses phrases de même étendue, de mêmes membres, fatiguent le lecteur par leur monotonie. Il sacrifie la solidité du raisonnement aux charmes du bel esprit. Par une sotte ambition de ne vouloir rien dire qu'avec emphase, il est tombé, dit Longin, dans une faute de petit écolier. Quand on lit ses écrits, on se sent aussi ému que si on assistoit à un simple concert, Ses réflexions n'ont rien de ce merveilleux qui enlève; Philippe de Macédoine disoit qu'il ne s'escrimoit qu'avec le fleuret.

peu

Isocrate naquit quatre-cent-trente-six ans avant J. C., et mourut de douleur à l'âge de quatre-vingt-dix ans, en apprenant que les Athéniens avoient perdu la bataille de Chéronée. Il nous reste de lui vingt-une harangues, qui

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