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que l'on doit considérer principalement dans l'éloquence chrétienne; l'un dans l'oraison funèbre, et l'autre dans le sermon; mais il est à propos de présenter ici quelques réflexions que l'esprit du moment a rendues nécessaires par rapport aux différentes dispositions que chacun peut apporter à ces objets, suivant les diverses manières de penser. On ne peut se dissimuler que le degré d'attention et d'intérêt pour le talent de l'orateur dépend un peu, en ces matières, et sur-tout aujourd'hui, du degré de respect pour les choses, et, pour tout dire en mot, de la croyance ou de l'incrédulité. Celle-ci, devenue plus intolérante à mesure qu'elle est plus répandue, en vient enfin, depuis quelques années, jusqu'à vouloir détourner nos yeux des plus beaux monumens de notre langue, dès qu'elle y voit empreint le sceau de la religion. Je laisse de côté les opinions que personne n'a le droit de forcer ; mais je réclame contre cette espèce de proscription que personne n'a le droit de prononcer. Il faut se rappeler que tous ces discours sont du siècle de Louis XIV, et qu'ainsi l'on doit considérer à la fois, dans ce qui nous en reste, et l'esprit des écrivains et celui de leur siècle. Il étoit tout religieux : le nôtre ne l'est pas; mais, de quelque manière qu'on juge l'un et l'autre, on ne peut nier du moins que les écrivains et les orateurs ont dû écrire et parler pour ceux qui les lisoient et les écoutoient. C'est un principe de raison et d'équité que j'oppose d'abord à l'impérieux dédain de ceux qui voudroient qu'on n'eût jamais écrit et parlé que dans leur sens. Je n'examine point non plus si ce sens est le bon sens; mais je puis avancer que, dans ce siècle des grandeurs de la France, la religion, à ne la considérer même que sous les rapports humains, fut grande comme tout le reste, et que la France, son monarque et sa cour, furent, pour l'Europe entière, dans la religion comme dans tout le reste, un spectacle et un modèle. Il n'est permis ni de l'ignorer ni de l'oublier. Il faut donc avoir devant les yeux un Bossuet convertissant un Turenne; un Fénélon montant dans la chaire pour donner l'exemple de la soumission à l'église; un Luxembourg, au lit de la mort, préférant à toutes ses victoires le souvenir

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d'un verre d'eau donné au nom du Dieu des pauvres ; un Condé, un cardinal de Retz, une princesse palatine, donnant, après avoir joué de si grands rôles dans le monde, à la guerre, à la cour, l'exemple de la piété et du repentir, au pied des autels; une Lavalière allant pleurer aux Carmélites, jusqu'à son dernier jour, le malheur d'avoir aimé le plus aimable des rois; enfin ce roi luimême regardé comme le premier des hommes, humiliant tous les jours dans les temples un diadême de lauriers, et se reprochant ses foiblesses au milieu de ses triomphes. Revoyez, dans les Lettres de Sévigné, ces fideles images des mœurs de son temps; par-tout la religion en honneur, par-tout le devoir de se retirer du monde à temps, de se préparer à la mort, mis au nombre des devoirs, non pas seulement de conscience, mais encore de bienséance; ce qu'étoient la solemnité des fêtes et l'observance du jeûne prescrit; enfin un duc de Bourgogne, un prince de vingt ans, refusant au respect qu'il avoit pour le roi son aïeul d'assister à un bal qu'il regardoit comme une assemblée trop mondaine. Tel étoit l'empire de la religion : ceux qui n'en avoient pas (et ils étoient rares) gardoient au moins beaucoup de réserve, et ceux qui avoient de la religion en avoient avec dignité. Voilà les auditeurs qu'ont eus les Bossuet, les Fléchier, les Massillon seroit-il juste de les juger sur ceux qu'ils auroient aujourd'hui ?

(M. de LA HARPE.)

L'oraison funèbre, ou discours oratoire en l'honneur des morts, semble n'avoir commencé en Grèce qu'après la bataille de Marathon, qui précéda de seize ans la mort de Brutus. Dans Homère on célèbre des jeux aux obsèques de Patrocle, comme Hercule avoit fait auparavant aux funérailles de Pélops; mais nul orateur ne prononça son éloge.

Les poètes tragiques d'Athènes supposoient, il est vrai, que Thésée avoit fait un discours aux funérailles des enfans d'@dipe; mais c'est une pure flatterie pour la ville d'Athènes. Enfin, quoique le rhéteur Anaximènes attribue Tome VIII.

Q

à Solon l'invention des oraisons funèbres, il n'en apporte aucune preuve. Thucydide est le premier qui nous parle des oraisons funèbres des Grecs. It raconte dans son second livre que les Athéniens firent des obsèques publiques à ceux qui avoient été tués au commencement de la guerre du Péloponèse. Il détaille ensuite cette solemnité, et dit qu'après que les ossemens furent couverts de terre, le personnage le plus illustre de la ville, tant en éloquence qu'en dignité, passa du sépulcre sur la tribune, et fit l'oraison funèbre des citoyens qui étoient morts à la guerre de Samos. Le personnage illustre qui fit cet éloge est Périclès, si célèbre par ses talens dans les trois genres d'éloquence, le délibératif, le judiciaire et le démonstratif.

Dans ce dernier genre, l'orateur pouvoit sans crainte étaler toutes les fleurs et toutes les richesses de la poésie. Il s'agissoit de louer les Athéniens en général sur les qualités qui les distinguoient des autres peuples de la Grèce'; de célébrer la vertu et le courage de ceux qui étoient morts pour le service de la patrie; d'élever leurs exploits au dessus de ce que leurs ancêtres avoient fait de plus glorieux; de les proposer pour exemple aux vivans; d'inviter leurs enfans et leurs frères à se rendre dignes d'eux; et de mettre en usage, pour la consolation des pères et des mères, les raisons les plus capables de diminuer le sentiment de leurs pertes. Platon, qui nous présente l'image d'un discours parfait dans le genre dont il s'agit, l'avoit vraisemblablement formé sur l'éloge funèbre que Périclès prononça dans cette occasion.

Il plut tellement qu'on choisit dans la suite les plus habiles orateurs pour ces sortes d'oraisons; on leur accordoit tout le temps de préparer leurs discours, et ils n'oublioient rien pour répondre à ce qu'on attendoit de leurs talens. Le beau choix des expressions, la variété des tours et des figures, la brillante harmonie des phrases, faisoient sur l'ame des auditeurs une impression de joie et de surprise qui tenoit de l'enchantement. Chaque citoyen s'appliquoit en particulier les louanges qu'on donnoit à tous les citoyens morts pour la patrie; et, se croyant tout-àcoup transformé en un autre homme, il se paroissoit à lui-même plus grand, plus respectable, et jouissoit du

plaisir flatteur de s'imaginer que les étrangers qui assistoient à la cérémonie avoient pour lui les mêmes sentimens de respect et d'admiration. L'impression duroit quelques jours, et il ne se détachoit qu'avec peine de cette aimable illusion, qui l'avoit comme transporté en quelque sorte dans les îles fortunées. Telle étoit, selon Socrate, l'habileté des orateurs chargés de ces éloges funèbres. C'est ainsi qu'à la faveur de l'éloquence, leurs discours pénétroient jusqu'au fond de l'ame, et y causoient ́ces admirables transports.

Le premier qui harangua à Rome aux funérailles des citoyens fut Valérius Publicola. Polybe raconte qu'après la mort de Junius Brutus, son collègue, qui avoit été tué, le jour précédent, à la bataille contre les Etrusques, il fit apporter son corps dans la place publique et monta sur la tribune, où il exposa les belles actions de sa vie. Le peuple, touché, attendri, comprit alors de quelle utilité il pouvoit être à la république de récompenser le mérite, en le peignant avec tous les traits de l'éloquence. If ordonna sur-le-champ que le même usage seroit perpétuellement observé à la mort des grands hommes qui auroient rendu des services importans à l'état.

I

Cette ordonnance fut exécutée; et Quintus Fabius Maximus fit l'oraison funèbre de Scipion. Souvent les enfans s'acquittoient de ce devoir, ou bien le sénat choisissoit un orateur pour composer l'éloge du mort. Auguste, à l'âge de douze ans, récita publiquement l'éloge de son aïeul, et prononca celui de Germanicus, son neveu, étant empereur. Tibère suivit le même exemple pour son fils, et Néron à l'égard de l'empereur Claude, son prédécesseur.

Sur la fin de la république, l'usage s'établit chez les Romains de faire l'oraison funèbre des femmes illustres qui mouroient dans un âge un peu avancé. La première dame romaine qui reçut cet honneur fut Popilia, dont Crassus, son fils, prononça l'oraison funèbre. César, étant questeur, fut le premier qui fit celle de sa première femme, morte jeune. Cicéron écrivit aussi l'éloge de Porcia, sœur de Caton, mais il ne le prononça pas.

Il résulte de ce détail que l'invention des oraisons

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funèbres paroît appartenir aux Romains; ils ont du moins cet avantage d'en avoir étendu la gloire avec plus de justice et d'équité que les Grecs. Dans Athènes, on ne louoit qu'une sorte de mérite, la valeur militaire ; à Rome, toutes sortes de vertus étoient honorées dans cet éloge public les politiques comme les guerriers, les femmes comme les hommes, avoient droit d'y prétendre; et les empereurs eux-mêmes ne dédaignèrent point de monter sur la tribune pour y prononcer des oraisons funèbres.

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Après cela, qui ne croiroit que cette partie de l'art oratoire n'ait été poussée à Rome jusqu'à sa perfection? Cependant il y a toute apparence qu'elle y fut très-négligée les rhéteurs latins n'ont laissé aucun traité sur cette matière, ou n'en ont écrit que très-superficiellement. Cicéron en parle comme à regret, parce que, dit-il, les oraisons funèbres ne font point partie de l'éloquence. Les Grecs, au contraire, aimoient passionnément à s'exercer en ce genre; leurs savans écrivoient continuellement les oraisons funèbres de Thémistocle, d'Aristide, d'Agésilas, d'Épaminondas, de Philippe, d'Alexandre, et d'autres grands hommes. Épris de la gloire du bel esprit, ils laissoient au vulgaire les affaires et les procès; au lieu que les Romains, toujours attachés aux anciennes mœurs, ignoroient ou méprisoient ces sortes d'écrits d'appareil.

(ANONYME.)

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