Imágenes de página
PDF
ePub

rare des succès, celui de faire verser des larmes à la cour. Il fut obligé de s'arrêter après ces paroles : « O nuit désas>> treuse, nuit effroyable, où retentit tout-à-coup comme » un éclat de tonnerre cette étonnante nouvelle! Madame }) se meurt, Madame est morte, etc. » L'auditoire éclata en sanglots, et la voix de l'orateur fut interrompue par ses soupirs et par ses larmes.

M. Bossuet naquit à Dijon en 1627, et mourut à Paris en 1704.

Fléchier (Esprit ), né en 1632, au comtat d'Avignon, évêque de Lavaur, et puis de Nîmes, mort en 1710, est sur-tout connu par ses belles oraisons funèbres.

Mascaron (Jules), né à Marseille en 1634, mort évêque d'Agen en 1703. Ses oraisons funèbres sont celle d'Anne d'Autriche, reine de France, prononcée en 1669; celle d'Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans; celle du duc de Beaufort; celle du chancelier Séguier, et celle de M. de Turenne. Les oraisons que nous venons de citer balancèrent d'abord celles de Bossuet; mais aujourd'hui elles ne servent qu'à faire voir combien Bossuet étoit un grand homme.

Depuis cinquante ans, il ne s'est point élevé d'orateurs à côté de ces grands maîtres; et ceux qui viendront dans la suite trouveront la carrière remplie. Les tableaux des misères humaines, de la vanité, de la grandeur, des ravages de la mort, ont été faits par tant de mains habiles, qu'on est réduit à les copier ou à s'égarer. Aussi les oraisons funèbres de nos jours ne sont que d'ennuyeuses déclamations de sophistes, et, ce qui est pis encore, de bas éloges où l'on n'a point de honte de trahir indignement la vérité.

(M. de JAUCOURT.)

L'oraison funèbre, telle qu'elle est parmi nous, appartient, ainsi que le sermon, au seul christianisme. C'est une espèce de panégyrique religieux, dont l'origine est très-ancienne, et qui a un double objet chez les peuples chrétiens, celui de proposer à l'admiration, à la reconnoissance, à l'émulation, les vertus et les talens qui ont brillé dans les premiers rangs de la société, et en même

temps de faire sentir à toutes les conditions le néant de toutes les grandeurs de ce monde au moment où il faut passer dans l'autre. La philosophie de nos jours, qui blâme souvent et sans peine, parce qu'elle s'attache de préférence au côté défectueux de toutes les choses humaines, a réprouvé ce genre d'éloquence, parce qu'il n'est pas toujours conforme à la vérité, comme si elle étoit plus rigoureusement observée dans les autres genres qu'ellemême autorise ou fait valoir. Les éloges académiques sont-ils d'une véracité plus sévère que les oraisons funèbres? A Dieu ne plaise que je veuille, en aucun cas, justifier le mensonge. Mais d'abord il y a dans toute espèce de discours oratoires des convenances et des conventions qui sont du genre. On n'attend pas, on n'exige pas de l'orateur qui loue, la même fidélite, la même rigueur, que de l'historien qui raconte. L'éloquence de l'un a pour objet de donner plus de force à l'exemple du bien : le but principal de l'autre est de se servir également de l'exemple du bien et de celui du mal, et de faire voir que tous les deux, en quelque rang que l'on soit, n'échappent point aux regards de la postérité. D'après ces données reconnues, qu'on demande au panégyriste, c'est qu'il ne loue que ce qui est louable, et que son art, qui est celui de faire aimer la vertu, ne soit jamais celui d'excuser le vice. Ce n'est point à lui de montrer l'homme tout entier : il n'a pas devant lui l'espace de l'histoire; il n'a qu'une heure à parler, et ce doit être pour saisir dans son sujet tout ce qui peut agrandir en nous l'amour du devoir et l'idée du beau. S'il obtient cet effet, il a rempli sa mission et l'objet du panégyrique.

tout ce

Je ne prétends pas qu'en atteignant à ce but d'utilité, les Bossuet, les Fléchier, les Mascaron et leurs successeurs, n'aient jamais présenté les choses et les hommes que dans leur vrai point de vue; mais quand ils y ont manqué, ce qui est rare, leurs erreurs étoient celles du siècle; et quel siècle n'a pas les siennes ? et quel écrivain ne s'y laisse pas aller plus ou moins? C'est là le cas où la vraie philosophie sait reconnoître et excuser l'influence de l'opinion.

On a fait à l'oraison funèbre un autre reproche, celui de

n'être réservée que pour les rois et les grands, et l'on a demandé pourquoi la religion même accordoit au rang ce qui ne devoit appartenir qu'à la vertu. Cette question spécieuse, et qui peut prêter beaucoup au facile étalage des phrases, rentre, comme beaucoup de questions semblables, dans le systême d'égalité mal entendue, qui est l'opposé de tout systême politique et social. On ne fait pas attention que la religion, qui est temporellement dans l'état, doit se conformer au gouvernement dans tout ce qui n'est pas contraire aux dogmes et à la discipline. Or L'oraison funèbre, avec les caractères que je viens de marquer, et qui sont les siens, est un honneur public ́qui non seulement ne répugne en rien au christianisme, mais qui même est conforme à son esprit. L'évangile ordonne d'honorer les puissances, et nous enseigne qu'elles sont instituées de Dieu. Ce dernier hommage que l'église leur rend, ne tend, comme tous les autres, qu'à l'édification, et sur-tout à entretenir et fortifier le respect qu'elle nous prescrit pour ceux que la providence a placés au dessus de nous; respect que Montesquieu regarde comme un des. grands bienfaits de notre religion. Si elle ne décerne point ces honneurs solemnels à des particuliers, c'est que l'état n'en décerne aucun aux conditions privées, et qu'elle doit, dans les choses extérieures et temporelles, suivre la marche du gouvernement. Ne pourrois-je pas demander aussi pourquoi les académies ne décernent d'éloges qu'à leurs membres, quoiqu'il y ait hors de leur sein des talens et du mérite? Mais c'est que les choses d'ordre public ne sont pas et ne peuvent pas être réglées et mesurées sur une sorte d'autorité qui n'a elle-même ni règle ni mesure certaine, c'est-à-dire sur l'opinion. Un ordre quelconque est de tous les momens et doit être fixe : l'opinion est incertaine et variable, et ne se fixe tout au plus qu'avec le temps. Aussi tous ces honneurs convenus n'en sont ni le témoignage assuré ni l'expression infaillible: ils ont, comme je l'ai fait voir, un autre dessein et un dessein utile; et s'ils sont susceptibles d'abus, c'est cette même opinion qui en est le remède. Car on sait que tous ces honneurs ne lui commandent point, qu'elle sait bien se faire entendre, et parle plus haut que tous les panégyriques de cérémonie,

[ocr errors]
[ocr errors]

elle se

La vertu n'en a pas besoin : si elle est obscure, suffit à elle-même, et Dieu la voit : si elle est connue, elle occupe les cent voix de la renommée, plus fidelle encore et plus prompte à célébrer les talens. Ainsi tout est à sa place, et les choses restent ce qu'elles sont.

Au reste, on a vu des exceptions à cette attribution exclusive de l'oraison funèbre aux princes du monde et de l'église, et une, entre autres, dans nos jours, qui a également honoré le panégyriste et le héros; car c'en étoit un et de la religion et de l'humanité. Je veux parler du curé de Saint-André, le vénérable Léger, cet homme de Dieu, qui passa quarante ans à faire du bien dans une paroisse pauvre, qui n'en perdra jamais la mémoire. Il a été célébré et dignement célébré par un éloquent évêque, M. de Senez, qui avoit été son élève, et qui prononça son éloge funèbre dans la chaire évangélique, devant le plus nombreux auditoire et devant une foule de prélats, la plupart élèves aussi de ce même pasteur, et formés sous sa direction à toutes les vertus du sacerdoce, dans la communauté de Saint-André, l'un des plus illustres séminaires de l'épis copat. C'est une preuve qu'il y a des hommes privilégiés, pour qui le monde même déroge à ses usages, et il est beau que ce soit en faveur de la vertu modeste et presque ignorée; car cet homme respectable n'étoit guère connu que des pauvres, et de cette classe de pauvres dont la reconnoissance n'a rien à donner à la vanité.

Faite pour la chaire, l'oraison funèbre tient beaucoup du sermon, et doit être fondée comme lui sur une doctrine céleste, qui ne connoît de vraiment bon, de vraiment grand, que ce qui est sanctifié par la grace, et qui foudroie toutes les grandeurs du temps avec le seul mot d'éternité. Il en résulte pour l'orateur un double devoir : il faut que, pour remplir son sujet, il exalte magnifiquement tout ce que fut son héros selon le monde; et que, pour remplir son ministère, il termine tout cet héroïsme au néant selon la religion, si la piété ou la pénitence ne l'ont pas consacré devant Dieu. Ce plan n'est contradictoire que pour l'irréflexion, et difficile que pour la médiocrité : c'est au contraire une grande vue en morale, et un puissant véhicule pour le talent oratoire. En abattant d'une main

[ocr errors]

ce qu'il a élevé de l'autre, l'orateur chrétien ne se combat point lui-même; il ne combat que des illusions, et avec d'autant plus de supériorité, qu'après avoir, comme par complaisance, accordé ce qu'il devoit au siècle et à ses coutumes, il semble se jouer de toute la pompe qu'il a étalée un moment, et fait voir à ses auditeurs détrompés combien ce qu'ils admirent est peu de chose, puisqu'il ne faut qu'un mot pour en montrer le vide, et qu'un instant pour en marquer le terme.

Ce genre d'écrire a donc de merveilleuses ressources pour l'imagination et pour l'instruction: il est plus étendu', plus élevé, plus varié que le sermon. Dans la peinture des talens, des vertus, des travaux, qui ont illustré les empires, et servi ou embelli la société, il devance l'histoire, et peut prendre un ton plus haut qu'elle. Heureux quand elle n'a pas ensuite à le démentir! Mais combien imposante et majestueuse doit être la voix qui se fait entendre aux hommes entre la tombe des rois et l'autel du Dieu qui les juge! Ailleurs, le panégyriste des héros est d'autant plus intimidé qu'il a plus à faire; il borne son ambition et ses efforts à n'être pas au dessous de son sujet, à égaler les paroles aux choses: ici, l'orateur sacré, planant au dessus de toutes les grandeurs, les voit d'en haut, tient d'une main la couronne qu'il pose sur leur tête, et de l'autre l'évangile qui renverse toutes les couronnes devant celle de l'éternité. Mais combien aussi ces mains doivent être fermes et sûres ! Si elles sont incertaines et vacillantes; si tous les mouvemens n'en sont pas justes et décidés, l'effet est perdu. La tribune sainte est pour l'éloquence un théâtre auguste, d'où elle peut de toute manière dominer sur les hommes; mais il faut que l'orateur sache y tenir sa place. S'il vous laisse trop vous souvenir que c'est un homme qui parle; si Dieu n'est pas toujours à côté de lui, on ne verra plus qu'un rhéteur mondain, qui adresse à des cendres les derniers mensonges de la flatterie. Au contraire, s'il est capable d'avoir toujours l'œil vers les cieux, même en louant les héros de la terre; si, en célébrant ce qui passe, il porte toujours sa pensée et la nôtre vers ce qui ne passe point; s'il ne perd jamais de vue ce mélange heureux, qui est à la fois le comble de l'art et de la force, alors ce sera

tout

« AnteriorContinuar »