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et il laissera desirer le charme d'un spectacle fait pour enivrer tous les sens.

Il a été long-temps d'usage de diviser l'opéra en cinq actes. Les Italiens l'ont réduit à trois : c'est un exemple bon à suivre. Il seroit à souhaiter qu'Armide cât un acte de moins. Le poète, séduit par son imagination, a trop présumé des secours de la musique, de la danse, de la peinture et de la mécanique, lorsqu'il a fait un acte des Chevaliers Danois. Isis ne demandoit peut-être guère plus d'étendue que le nouvel opéra de Psyché; car la différence des climats où la malheureuse lo se voit traînée ne change pas sa situation. Si l'opéra est coupé en trois actes, que l'un des trois actes représente un grand et magnifique tableau, que chacun des deux autres soit orné d'une fête, l'intérêt de l'action ne sera suspendu que deux fois par la danse; on y emploiera les talens d'élite, les ressources de l'art ne s'y épuiseront pas, et le public applaudira lui-même au soin qu'on prendra d'économiser ses plaisirs. Le rassassier de ce qu'il aime, ce n'est pas vouloir l'amuser long-temps.

Les décorations de l'opéra font une partie essentielle des plaisirs de la vue, et l'on sent combien les sujets pris dans le merveilleux sont plus favorables au décorateur et au machiniste que les sujets pris de l'histoire. Le changement de lieu, que les poètes italiens se sont permis non seulement d'un acte à l'autre, mais de scène en scène et à tout propos, occasionne des décorations où l'architecture, la peinture et la perspective, peuvent éclater avec magnificence; et la grandeur des théâtres d'Italie donne un champ libre, et vaste au génie des décorateurs. Mais des sujets où tout s'exécute naturellement ne sont guère susceptibles du merveilleux des machines; et le passage d'un lieu à un autre, réduit à la possibilité physique, rétrécit le cercle des décorations.

Dans un poème, quel qu'il soit, si les évènemens sont conduits par des moyens naturels, le lieu ne peut changer que par ces moyens même. Or, dans la nature, le temps, l'espace et la vitesse, ont des rapports immuables. On peut donner quelque chose à la vitesse on peut aussi étendre un peu le temps fictif au-delà du réel; mais, à

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cela près, le changement de lieu n'est permis qu'autant qu'il est possible dans les intervalles donnés. Le poème épique a la liberté de franchir l'espace, parce qu'il a celle de franchir la durée. Il n'en est pas de même du poème dramatique le temps lui mesure l'espace, et la nature le mouvement. Un char, un vaisseau, peut aller un peu plus ou un peu moins vîte, le teinps fictif qu'on lui donne peut être un peu plus ou un peu moins long; mais cela se borne à peu de chose. Ainsi, par exemple, si le premier acte du Régulus de Métastase se passoit à Carthage et le second à Rome, ce poème auroit beau être lyrique, cette licence choqueroit le bon sens.

Mais, dans un spectacle où le merveilleux règne, il y a deux moyens de changer de lieu qui ne sont pas dans la nature. Le premier est un changement passif : c'est le lieu même qui se transforme, non par un accident naturel, comme lorsqu'un palais s'embrâse ou qu'un temple s'écroule, mais par un pouvoir surnaturel, comme lorsqu'à la place du palais et des jardins d'Armide paroissent tout-à-coup un désert, des torrens, des précipices. Voilà ce qui ne peut s'opérer sans le secours du merveilleux. Le second changement est actif,. et c'est dans la vitesse du passage qu'est le prodige. On ne demande pas quel temps le char de Cybele emploie à passer de Sicile en Phrygie, et de Phrygie en Sicile, ni s'il est possible que les dragons d'Armide traversent en un instant les airs. Leur vitesse n'a d'autre règle que la pensée qui les suit.

Quinault, en formant le projet de réunir tous les moyens d'enchanter les yeux et les oreilles, sentit donc bien qu'il devoit prendre ses sujets dans le systême de la fable ou dans celui de la magie. Par-là il rendit son théâtre fécond en prodiges, il se facilita le passage de la terre aux cieux et des cieux aux enfers, se soumit la nature et la fiction, ouvrit à la tragédie la carrière de l'épopée, et réunit les avantages de l'un et de l'autre poème en un seul.

Je ne dis pas que le poème lyrique ait toute la liberté de l'épopée; il est gêné par l'unité du temps. Mais tout ce qui, dans le temps donné, se passeroit avec vraisemblance selon le systême du merveilleux, se passe en action sur le théâtre. Du reste, pour juger du genre qu'a pris

notre poète, il ne faut pas se borner à ce qu'il a fait : aucun des arts qui devoit le seconder n'étoit au même degré que le sien; il a été obligé de remplir souvent avec de froids épisodes un temps qu'il eût mieux employé s'il avoit eu plus de secours. Il ne faut pas même le juger tel que nous le voyons au théâtre; et, sans parler de la musique, il seroit ridicule de borner l'idée qu'on doit avoir du spectacle de Persée et de Phaeton à ce qu'on peut exécuter dans un espace aussi étroit, et avec aussi peu de moyens. Mais qu'on suppose la musique, la danse, la décoration, les machines, le talent des acteurs, soit pour le chant, soit pour l'action, au même degré que la partie essentielle des poèmes d'Atys, de Thésée et d'Armide, on aura l'idée de ce spectacle tel que je le conçois, et tel qu'il doit être pour remplir l'idée que Quinault luimême en avoit conçue.

Depuis ce poète on a suivi ses traces ; et le poème de Jephté, celui de Dardanus, celui même d'Issé, quoique pastoral, peuvent être cités après les siens, mais à une grande distance : je ne vois que Castor et Pollux qui se soutienne, par sa richesse, à côté des poèmes de Quinault.

On a imaginé depuis un genre d'opéra plus facile, et qui plaît sur-tout par sa variété : ce sont des actes détachés et réunis sous un titre commun. La Motte en a été l'inventeur. L'Europe Galante en fut l'essai, et mérita d'en être le modèle. L'avantage de ces petits poèmes lyriques est de n'exiger qu'une action très-simple, qui donne un tableau, qui amène une fête, et qui, par le peu d'espace qu'elle occupe, permet de rassembler dans un même spectacle trois opéra de genres différens. L'acte de Coronis, celui de Pigmalion, celui de Zélindor, sont remarquables dans ce genre. On peut citer aussi comme modèles l'acte de la vue dans le ballet des Sens, et presque tout le ballet des Elémens. Le choix des sujets, dans ces petits opéra, se décide par les mêmes qualités que dans les grands: des tableaux, des sentimens, des images, c'est là que seroient insoutenables les détails qui ne sont pas faits pour le chant. Les épisodes sur-tout n'y doivent jamais avoir lieu. Ce poème, à raison du peu d'espace qu'il occupe, exige moins de

diversité dans les incidens et dans les peintures; mais le plus petit tableau doit avoir un certain mélange d'ombre et de lumière; l'intrigue la plus simple a ses gradations; les détails même ont des nuances qui les font valoir l'un par l'autre et, en petit comme en grand, il faut, pour plaire, concilier l'ensemble et la variété.

L'opéra ne s'est pas borné aux sujets tragiques et merveilleux. La galanterie noble, la pastorale, la bergerie, le comique, le bouffon même, sont embellis par la' musique, et chacun de ces genres a ses agrémens. Mais l'on sent bien qu'ils ne sont faits que pour occuper un instant la scène. Les plus animés sont les plus favorables: le comique sur-tout, par ses mouvemens, ses saillies, ses traits naïfs, ses peintures vivantes, donne à la musique un jeu et un essor que les Italiens nous ont fait connoître, et dont, avant la Serva Padrona, l'on ne se doutoit point en France. Mais les arts connoissent-ils la différence des climats, leur patrie est par-tout où l'on sait les goûter. Les beautés de l'opéra italien seront celles du nôtre, quand il nous plaira. Déjà, dans le comique, nous avons réussi ; en élevant ce genre au dessus du bouffon, nous en avons étendu la sphère. Il dépend de nous, en donnant à Quinault de légères formes lyriques, de faire, de ses beaux poèmes l'objet de l'émulation des plus célèbres compositeurs. Laissons aux voix brillantes et légères que l'Italie admire, les ariettes qui déparent les scènes les plus toùchantes; mais tâchons d'imiter ces accens si vrais, si sensibles, ces accords si simples et si expressifs, ces modulations dont le dessin est si pur, si facile et si beau, enfin ce chant qui, pour émouvoir, n'a presque pas besoin d'être chanté, et qui, avec un clavecin et une voix foible, a le pouvoir d'arracher des larmes.

Mais gardons-nous de renoncer à ce beau genre de Quinault; encourageons les jeunes poètes à l'accommoder au goût d'une musique qui lui fut inconnue, et dont il ⚫est si digne; et n'allons pas croire que, dans ce nouveau genre, le récitatif, quelque bien fait qu'il soit, et de quelque harmonie que son expression soit soutenue, ait seul assez d'attrait et assez de charme pour nous. La période musicale, le chant mélodieux, dessiné, arrondi, décrivant

son cercle avec grace, l'air enfin, une fois connu, fera par-tout et dans tous les temps les délices de l'oreille, et jamais des phrases tronquées, des mouvemens rompus, des dessins avortés, en un mot un chant mutilé ne satisfera pleinement. Les Italiens le disent, et l'on doit les en croire. L'excellence de la musique est dans le chant, et la mélodie en est l'ame. (Voyez Lyrique.)

(M. MARMON TEL.)

L'opéra francais, dit un auteur moderne, est parmi les drames ce que l'orlando est parmi les poèmes épiques Lully et Quinault peuvent en être regardés comme les créateurs.

La danse remplit aujourd'hui tellement les divers actes de nos opéra, que ce théâtre paroît dressé moins pour la représentation d'un poème lyrique que pour une académie de danse. La longueur de notre récitatif n'est pas la moindre cause de ce goût vif des spectateurs pour la danse aussi un homme d'esprit, à qui on demandoit un moyen pour soutenir un opéra prêt à tomber, répondit assez plaisamment qu'il n'y avoit qu'à allonger les danses et raccourcir les jupes.

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Dans le temps qu'on jouoit Arion, opéra de roi, il y avoit, au fond du cul-de-sac de l'opéra, sur une affiche: Marion vend de la glace. On ne fit qu'effacer la première lettre M.

(ANONYME) -

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